La valeur travail, la morale du travail capitaliste : une manipulation pour nous enfumer

Le travail ce n’est pas l’activité humaine, c’est une création du capitalisme et du productivisme, s’en libérer est vital

lundi 19 septembre 2022, par Ni chômage ni travail.

Roussel du PC idolâtre le travail, Ruffin de LFI ressort la « valeur travail », Macron veut taper encore sur les chômeurs…
Pratiquement tout le monde assimile le travail très spécifique du système social capitaliste à l’activité humaine en général. Confusion et tournage en rond dans de vieux sillons.La valeur travail, la morale du travail capitaliste : une manipulation pour nous enfumer Image illustrative de Marker

 Faut-il célébrer la « valeur travail » pour défendre les travailleurs ?
A intervalles réguliers, la notion de « valeur travail » revient dans le débat politique français. Ce terme est le parfait exemple d’une expression qui n’existe que dans la sphère politico-médiatique, du moins dans son sens moral (et non son sens économique, selon lequel la valeur d’une marchandise est déterminée par la quantité de travail qu’il a fallu pour la produire). Au quotidien, on entend surtout « faire des efforts », « bouger son boule » voire « se sortir les doigts du cul ». En politique, la « valeur travail » est toujours présentée comme un horizon avec lequel il faudrait renouer. En 2007 puis 2012, Nicolas Sarkozy avait réussi à capter un électorat plus populaire en parlant de la « valeur travail », sous le slogan « travailler plus pour gagner plus ». Dans les faits, il s’est agi surtout de travailler plus pour gagner moins.
La nouveauté, cette année, c’est que cette notion a été réintroduite par des personnalités de gauche : le député France Insoumise François Ruffin l’a évoqué en parlant des explications idéologiques au vote RN en Picardie. Autrefois bastions de la gauche, les départements de la région Hauts-de-France ont basculé vers la droite extrême, et Ruffin cherche à en comprendre les raisons. Les personnes rencontrées par le député lui ont dit que pour elles, la gauche était associée au « parti des assistés » et non plus à la « valeur travail » donc. Fabien Roussel, député communiste qui vit de la politique depuis son plus jeune âge, lui a emboîté le pas, sur un mode non plus descriptif mais prescriptif, en multipliant les sorties opposant travailleurs et chômeurs.
(…)La valeur travail, la morale du travail capitaliste : une manipulation pour nous enfumer

Critiquer et rejeter le travail, indissociable du système capitaliste, ce n’est pas rejeter toute activité ni labeur

Plutôt qu’idôlatrer le travail (le travail est une institution spécifique liée au capitalisme et au productivisme), comme le fait l’idéologie bourgeoise et capitaliste, et aussi hélas une immense partie de la gauche (comme Ruffin et Roussel), la raison et les sens appellent plutôt à l’abolir.
Il faudrait en effet bien distinguer les activités de subsistance auto-organisées du concept de Travail fabriqué par le système social capitaliste qui vise à servir les plus riches et à augmenter le volume d’argent via n’importe quelles activités. Le travail, comme l’argent, est une marchandise.

Le travail ET le capital, deux faces indissociables d’une même pièce pourrie

Le problème du travail, ce n’est pas juste qu’il profite aux détenteurs de capitaux, qu’il est mal payé ou pénible, c’est qu’il fait totalement partie d’un système social néfaste et irréformable, qu’il absorbe, uniformise, marchandise et « perverti »toutes les formes d’activités humaines, y compris le sens et les « utilités qu’elles peuvent avoir.
Il ne s’agit donc pas de revaloriser le travail par rapport au capital (et à ses extensions dans la finance et la spéculation), ni même de faire du travail auto-géré ou coopératif en restant dans l’économie de marché, mais d’abolir le travail ET le capital, deux faces indissociables d’une même pièce pourrie.

 Sur ces sujets :

Enfumer en mélangeant des notions distinctes

Les capitalistes, technocrates et politiciens jouent plus ou moins habilement sur le mélange de notions distinctes. Ils mélangent des activités de subsistance, un goût humain pour l’activité et la création avec le système du travail.
Arrêtons de marcher dans la combine (et de taper sur les chômeurs, les RSA, les déserteurs…), fusse-t-elle assénée par des gens-de-gauche, arrêtons de prendre des instruments de torture pour des outils d’émancipation, arrêtons de naturaliser le système qui nous tue.

Le travail c’est juste un truc qu’on doit (trop) souvent exécuter pour obtenir la saloperie d’argent indispensable hélas à la survie matérielle dans ce système social destructeur, rien de plus.
Qu’on arrive malgré tout à y trouver parfois du plaisir, du sens ou des relations humaines satisfaisantes ne change rien au problème.

Le travail est une création du capitalisme et du productivisme, s’en libérer est vital tant pour les questions écologiques pour les questions sociales. Se libérer du travail est indispensable pour se sortir des castrophes écologiques ET des problèmes sociaux.La valeur travail, la morale du travail capitaliste : une manipulation pour nous enfumer

ROUSSEL, LA GAUCHE, LA DROITE ET LE CULTE DU TRAVAIL

« Le travail rend libre. » (Arbeit macht frei)
— Credo nazi. C’est le général SS Theodor Eicke qui ordonna l’apposition de la phrase à l’entrée des camps de concentration et des camps d’extermination, notamment Auschwitz, Dachau, Gross-Rosen, Sachsenhausen, et à la prison de la Gestapo de Theresienstadt en République tchèque. Avant cela, cette phrase avait été utilisée par la société allemande IG Farben au-dessus du fronton de ses usines.

« Par le travail, la liberté ! »
— Credo soviétique. Formule que l’on trouvait inscrite sur un panneau à l’entrée de l’un des camps du goulag des îles Solovki.

« Le travail […] est, pour chaque citoyen apte au travail, un devoir et une question d’honneur selon le principe : qui ne travaille pas ne mange pas. »
— Article 12 de la Constitution soviétique de 1936

« La transition énergétique peut créer 684 000 emplois. »
— Cyril Dion

« Le travail c’est la dignité. »
— Manuel Valls

« Le travail c’est une valeur. »
— Manuel Valls

« Le travail, c’est l’instrument de l’émancipation, de la dignité, de l’accomplissement de soi-même. »
— François Hollande

« La gauche doit défendre le travail. »
— Fabien Roussel

« Tout mon système économique a été construit sur le concept du travail. »
— Adolf Hitler

« La réforme de l’aide sociale doit avoir pour objectif la création de bons emplois. […] nous devons toujours nous rappeler que l’objectif est de réduire la dépendance à l’égard du gouvernement et d’offrir à chaque Américain la dignité d’un travail. »
— George W. Bush

« Maintenant, vous nous dites que pour vivre il nous faut travailler ; or le Grand Esprit ne nous a pas faits pour travailler, mais pour vivre de la chasse. […] Vous autres, hommes blancs, vous pouvez travailler si vous le voulez, nous ne vous gênons nullement ; mais à nouveau vous nous demandez : “Pourquoi ne devenez-vous pas civilisés ?” Nous ne voulons pas de votre civilisation ! »
— Crazy Horse, chef sioux Oglala, Pieds nus sur la terre sacrée.

« Mes jeunes gens ne travailleront jamais, les êtres humains qui travaillent ne peuvent rêver, et la sagesse nous vient des rêves. »
— Smohalla, Amérindien membre de la tribu des Wanapums, Pieds nus sur la terre sacrée.

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Le travail, au sens où nous l’entendons généralement, désigne un type d’activité très spécifique

Le travail n’est pas l’activité. Le travail, au sens où nous l’entendons généralement, désigne un type d’activité très spécifique, dont l’invention, il y a quelques siècles, est concomitante de celle du capitalisme. Le travail, c’est l’activité vendue, l’activité aliénée, c’est-à-dire la vie aliénée (https://www.partage-le.com/2020/06/04/la-reproduction-de-la-vie-quotidienne-par-fredy-perlman/ ). De nombreuses sociétés dites « traditionnelles », sociétés de chasseurs-cueilleurs, horticoles ou autres, n’ont (et surtout, n’avaient) pas de mot équivalent à celui de « travail ».

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En 1922, la Deutsche Schulverein de Vienne, une organisation nationaliste ethnique de « protection » des Allemands dans l’Autriche-Hongrie, imprime des timbres d’adhésion avec la phrase « Arbeit macht frei » [en français : « Le travail rend libre »]. La citation est adoptée en 1928 par le gouvernement de Weimar comme un slogan vantant les effets de leur politique souhaitée de grande échelle de travaux publics programmés pour mettre fin au chômage. L’expression « Arbeit macht frei » se retrouve dans les cercles de la droite nationaliste allemande, ce qui explique son adoption ultérieure par le NSDAP lors de son accession au pouvoir en 1933.
On la trouve également au Goulag : ainsi, dans les années 1920, on peut voir à l’entrée de l’un des camps des îles Solovki une inscription proclamant « Par le travail, la liberté ! »

Ce slogan fut également repris par les nazis dans les années 1930. C’est le général SS Theodor Eicke qui ordonna l’apposition de la phrase à l’entrée des camps de concentration et des camps d’extermination, notamment Auschwitz, Dachau, Gross-Rosen, Sachsenhausen, et à la prison de la Gestapo de Theresienstadt en République tchèque. Avant cela, cette phrase avait été utilisée par la société allemande IG Farben au-dessus du fronton de ses usines.

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Tolstoï s’inquiétait déjà en son temps, soit il y a plus d’un siècle, de la manière dont la servitude moderne passait pour naturelle et juste aux yeux de la plupart. Il remarquait, dans un livre intitulé L’Esclavage moderne (1900), que :
« L’abolition du servage et l’affranchissement des noirs marquèrent seulement la disparition d’une ancienne forme vieillie et inutile de l’esclavage, et l’avènement immédiat d’une forme nouvelle plus solide, plus générale et plus oppressive. »

Et, ainsi, que :
« L’esclavage existe encore dans toute sa force, mais nous ne la percevons pas, comme en Europe à la fin du dix-huitième siècle l’esclave des serfs n’étaient pas perçus. Les gens de cette époque-là pensaient que la position des êtres humains obligés de labourer la terre pour leurs seigneurs, et les obéir, était une condition économique de la vie naturelle et inévitable, et ils ne l’appelaient pas esclavage. Il en est de même parmi nous ; les gens d’aujourd’hui considère la position des travailleurs comme étant une condition économique naturelle et inévitable, et ils n’appellent pas ça de l’esclavage.

Et comme, à la fin du dix-huitième siècle, les gens de l’Europe ont commencé petit à petit à comprendre que ce qui semblait jadis une forme de vie économique naturelle et inévitable – soit la position des paysans qui étaient complètement au pouvoir de leurs seigneurs – était injuste, erronée, et immorale et demandait un changement, aussi les gens d’aujourd’hui commencent à comprendre que la position de travailleur engagé, et de la classe laborieuse en général, qui semblait autrefois tout à fait normale et naturelle, n’est pas ce qu’elle devrait être, et exige un changement.[…]

L’esclavage des travailleurs à notre époque ne fait que commencer à être reconnue par les gens avancés de notre société ; la majorité est encore convaincue que l’esclavage n’existe pas parmi nous. »

Lutter misérablement pour une réduction des heures de travail ou une augmentation de quelques sous

Malheureusement, l’esclavage que constitue le salariat, les injustices fondamentales sur lesquelles le capitalisme se fonde (propriété privée, notamment), ne sont pas plus reconnus et contestés aujourd’hui qu’à son époque. Aujourd’hui encore, « ne connaissant que les séductions de la vie » moderne, de la vie dans la civilisation techno-industrielle, les humains « ajoutent foi à cette thèse » selon laquelle le salariat, le travail, la propriété privée, l’argent, etc., tout cela est à peu près normal, bel et bon, « et appliquent toutes leurs forces à lutter misérablement contre les capitalistes pour une réduction des heures de travail ou une augmentation de quelques sous » (Tolstoï).

D’Oxfam à Gaël Giraud, de Montebourg à X autre imbécile de gauche, on réclame une « fiscalité plus équitable », des « grandes fortunes qui paient leur juste part d’impôt », on propose de réformer ci et là le capitalisme industriel (et de le repeindre en vert), et c’est à peu près tout.

L’immense majorité des « écologistes » d’aujourd’hui se demandent par quels moyens techno-industriels remplacer la production d’énergie fossile (et, parfois, nucléaire), placent leurs espoirs qui dans l’hydrogène vert, qui dans l’éolien, qui dans le photovoltaïque ou l’hydroélectrique. Le fait que le monde qu’ils cherchent à perpétuer repose sur l’esclavage moderne, au même titre que toutes les technologies et industries de production d’énergie dite verte dans lesquelles ils placent leurs espérances, tout cela n’importe pas beaucoup.

Autrement dit, la liberté leur importe moins qu’une stabilisation du taux de carbone atmosphérique en vue de préserver l’avenir de la civilisation, ou que le fait de parvenir à un système techno-industriel exploitant le monde de manière soutenable.

(Cela s’explique en partie parce que beaucoup pensent vivre dans une société somme toute relativement libre. On leur dit qu’ils vivent en démocratie, on leur suggère que l’essentiel de ce qui constitue la civilisation industrielle — le salariat, le travail, d’immenses division et spécialisation du travail, la propriété privée, etc. — est comme normal, juste, et ils le croient.)

Tout ça rappelle ce mot attribué à Harriet Tubman, militante pour l’abolition de l’esclavage des Afro-Américains : « J’ai libéré un millier d’esclaves, j’aurais pu en libérer mille fois plus si seulement ils avaient su qu’ils étaient esclaves. »

Celles et ceux qui ne voient pas en quoi la situation des humains des temps présents, dans le type d’organisation sociale désormais planétaire qu’on observe, relève encore d’une forme d’esclavage ne s’y opposeront pas. Ils voudront juste s’assurer que cette organisation perdure, se verdisse, et quelques agrémentations de leur condition dans son sein.

& aussi :
 Le travail (par Roger Belbéoch) : https://www.partage-le.com/2017/03/16/le-travail-par-roger-belbeoch/
 L’idéologie du travail (par Jacques Ellul) : https://www.partage-le.com/2016/02/25/lideologie-du-travail-par-jacques-ellul/

(Post de Nicolas Casaux)

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