Russie : L’organisation de combat anarcho-communiste – Un entretien avec un groupe anarchiste clandestin

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Sabotage Russie

Lorsque l’armée russe a envahi l’Ukraine à la fin du mois de février 2022, les anarchistes et d’autres manifestant·e·s anti-guerre ont défié les mesures draconiennes anti-protestation pour descendre dans la rue afin d’exprimer leur opposition. Au cours des mois qui ont suivi l’écrasement de ces manifestations, la résistance à l’invasion a pris de nouvelles formes. Dans toute la Russie, des attaques clandestines ont visé des voies ferrées, des centres de recrutement militaire, des véhicules appartenant à des fanatiques de la guerre et des messages de propagande de l’État russe en faveur de la guerre.

Traduction d’un texte paru sur Crimethinc.org

L’un des groupes à l’origine de ces attaques est connu sous le nom d’Organisation de combat anarcho-communiste. Dans l’interview qui suit, illes parlent de la façon dont illes voient leurs prédécesseurs dans l’histoire régionale des mouvements anarchistes, de la façon dont la situation politique en Russie s’est détériorée à tel point qu’il a été possible de supprimer les mouvements sociaux et d’envahir l’Ukraine, et du type d’organisation envisageable dans les conditions actuelles. Nous leur avons également demandé de détailler certains de leurs protocoles opérationnels, au cas où cela serait utile aux anarchistes d’autres pays qui pourraient être contraint·e·s d’adopter des stratégies similaires alors que la répression étatique s’intensifie dans le monde.

C’est nous, et non l’auteur·e ou les auteur·e·s, qui avons ajouté les hyperliens et les notes entre parenthèses qui apparaissent ci-dessous dans le but d’aider le lecteur ou la lectrice.

Nous, l’Organisation de combat anarcho-communiste, avons saboté les voies ferrées (coordonnées : 56 16’44 « N 38 12’40.5 « E) menant à la 12e Direction générale du ministère de la Défense de la Fédération de Russie – nous avons dévissé plusieurs boulons et arraché les rails…

D’après ce que nous comprenons, l’Organisation de combat anarcho-communiste gère diverses pages de médias sociaux, maintient un fonds pour soutenir les groupes menant des actions directes clandestines, et aide à publier des rapports d’actions directes et des informations sur les prisonnièr·e·s capturé·e·s au cours de la lutte. Dites-nous comment vous appréhendez votre travail de publication et de diffusion, car c’est la principale façon dont les gens entendent parlent de vos actions.

De la part de certain·e·s camarades, nous avons rencontré des critiques concernant notre activité sur les réseaux sociaux : il s’agirait d’un flux sans fin de messages courts, qui ne laissent aucun impact dans l’esprit des lecteur·rice·s.

Nous considérons nos efforts en matière de réseaux sociaux comme une partie importante de notre travail médiatique, dans le sens où cet effort nous permet de propager nos idées. Notre plateforme préférée qu’on utilise à cette fin est Telegram, car elle est moins censurée et propose un environnement un peu plus intellectuel et politisé.

Dans le même temps, nous savons que les propriétaires de toute plateforme de réseaux sociaux, sans parler des fournisseurs de services, peuvent coopérer avec l’appareil répressif de tout État. Par conséquent, il est important pour nous de garantir l’anonymat dans notre travail médiatique. Nous utilisons un système d’exploitation basé sur Linux, qui permet de se connecter à Internet exclusivement via TOR. Cela vaut également pour Telegram, que nous utilisons uniquement de cette manière. Pour enregistrer les comptes nécessaires à notre activité, nous utilisons des numéros et des adresses électroniques anonymes et virtuelles sur riseup.net, qui est le projet dans le domaine de la technologie Internet auquel nous faisons le plus confiance. Nous considérons également qu’il est important d’effacer les métadonnées des fichiers médias – images, vidéos et textes. Certains systèmes d’exploitation basés sur Linux vous permettent de le faire en deux clics ; avec d’autres, vous devez installer des programmes particuliers. Dans tous les cas, c’est toujours accessible et indispensable.

L’un de vos rôles consiste à rapporter les actions directes et autres en Russie. Comment confirmez-vous les les informations qui vous parviennent avant de les partager ?

En ce qui concerne les informations que nous trouvons en ligne ou qui nous sont envoyées – si elles nous sont envoyées directement, nous commençons par évaluer leur plausibilité sur la base de notre propre expérience. Nous tenons compte de l’authenticité et de la clarté du texte du communiqué (en général, ceux qui tentent de falsifier un communiqué ne savent pas se faire passer pour des anarchistes), de la lisibilité des photos ou des vidéos et des coordonnées précises concernant le lieu, la date et la cible de l’attaque. Si l’information que nous avons reçue est fiable selon ces critères, nous la considérons comme vraie et la publions. Si l’événement est également rapporté par les médias de masse, y compris les médias d’entreprise, cela peut servir de confirmation supplémentaire que l’événement en question s’est réellement produit.

Quel processus utilisez-vous pour décider qui soutenir avec votre fonds d’action lorsqu’il n’y a aucun moyen d’établir un contact direct ?

Il n’est pas facile de décider qui soutenir avec le fonds que nous avons créé, surtout si l’on considère qu’il s’agit d’un fonds à petite échelle. Au début, nous avons envoyé de petites sommes à tou·te·s celles et ceux qui demandaient de l’aide. Rapidement, nous avons découvert que dans la plupart des cas, nous ne recevions en retour aucune sorte de confirmation qu’une action réelle avait été entreprise par ces personnes. C’est pourquoi nous avons maintenant commencé à fournir un soutien du fonds après coup, lorsqu’il y a des preuves que des actions ont eu lieu.

Les transferts monétaires ont lieu entre des portefeuilles de crypto-monnaies BTC. Avec cela, nous envoyons aux destinataires des instructions concernant la manière d’anonymiser la crypto-monnaie lors de l’achat de monnaie fiat pour celle-ci.

Nous souhaitons faire une recommandation importante à tous les futurs participants à la résistance partisane : effectuez des tests préliminaires de tous les moyens de combat que vous prévoyez d’utiliser dans vos actions. Que vous utilisiez un cocktail Molotov ou des moyens plus avancés, cela vous permettra d’éviter des erreurs et des problèmes malheureux au moment de l’action directe.

En regardant l’histoire de la Russie et des régions environnantes, quelles organisations et luttes considérez-vous comme vos prédécesseurs ?

Nous nous situons dans la tradition anarchiste révolutionnaire de l’Europe de l’Est. Nous considérons les groupes anarchistes militants du début du siècle dernier comme nos précurseurs : Chernoe Znamia[« Bannière noire », une fédération de cadres fondée à Białystok en 1903], « Beznachaliye » [« Sans autorité », le principal cercle anarchiste de Pétersbourg au début du XXe siècle], et le « Groupe anarchiste-syndicaliste de la Russie du Sud« . Ce qui nous inspire dans ces organisations, c’est leur engagement dans une activité militante résolue et leur désir d’impliquer les larges masses du peuple dans le travail de combat, d’unir la lutte politique et économique en une seule lutte pour la révolution sociale. Nous nous considérons également comme les successeurs de l’Armée révolutionnaire insurrectionnelle d’Ukraine (RPAU) [les forces associées à Nestor Makhno, également connues sous le nom d’Armée noire] et des anarchistes de la clandestinité qui, pendant la guerre civile, se sont opposés à la dictature réactionnaire et bolchevique les armes à la main.

En ce qui concerne les temps plus récents, notre anarchisme partisan apporte une approche créative aux idées et pratiques de la Nouvelle Alternative Révolutionnaire des années 1990 [un groupe anarchiste insurrectionnel russe qui a mené une série d’attaques contre des cibles gouvernementales pendant la guerre de Tchétchénie] et des groupes organisés autour du « Black Blog » à la fin des années 2000 et au début des années 2010. À côté de cela, nous sommes inspirés par l’abnégation héroïque de Mikhaïl Zhlobitsky, qui a fait exploser le siège du FSB à Arkhangelsk le 31 octobre 2018, et nous admirons ce qu’il a fait.

En regardant l’expérience et l’exemple de nos prédécesseurs, nous concluons que le succès du travail révolutionnaire nécessite une organisation disciplinée composée de camarades déterminés, désintéressés et dévoués.

« Lorsque le mouvement anarchiste renaîtra, il sera régulièrement confronté à des tâches tactiques et stratégiques qui ne peuvent être résolues que par des moyens armés. Il faut être prêt pour cela. » –Un article d’Anarchist Combatant sur l’histoire de l’anarcho-syndicalisme russe.

Au cours des années de votre activité, vous avez vu le gouvernement de Poutine devenir de plus en plus répressif. Lorsque le gouvernement renforce la répression, le mouvement anarchiste est confronté à un dilemme : devons-nous devenir plus publics, prendre plus de risques, afin d’essayer de prévenir un retour de bâton dans la société ? Ou devons-nous entrer dans la clandestinité pour nous préparer à la répression ? Est-il possible de faire les deux ? Comment trouver un équilibre entre le besoin d’organisation communautaire et la nécessité de préserver la sécurité de nos projets ?

Nous avons connaissance d’exemples dans lesquels certain·e·s camarades ont réussi à trouver un équilibre entre la visibilité et la clandestinité pendant une longue période, et à être très actif·ve·s dans les deux. Cependant, il s’agit de l’exception à la règle. Une certaine division en ailes « aériennes » et « souterraines » est inévitable. L’expérience de nombreux mouvements révolutionnaires du vingtième siècle l’atteste.

Il est important que les deux ailes existent et soient fortes. En même temps, nous insistons sur le fait qu’il doit y avoir des liens entre elles, y compris la possibilité pour les militant·e·s de passer d’une aile à l’autre. Dans le passé, nous avons parfois entendu une opinion selon laquelle, pour des « raisons de sécurité », les ailes publique et clandestine devraient être complètement isolées l’une de l’autre. D’après notre expérience, il y a toujours des liens transitoires et des canaux de communication d’une certaine sorte.

Quels conseils pouvez-vous donner aux anarchistes d’autres régions du monde qui ne sont pas actuellement organisé·e·s en structures souterraines, mais qui pourraient être amené·e·s à le faire ? Quelles mesures devraient-ils prendre maintenant qui pourraient être plus difficiles à l’avenir ?

Il est très difficile de répondre à cette question sans être intimement familier avec les réalités spécifiques des parties du monde dont nous parlons. Par conséquent, nous ne pouvons que souligner les points les plus généraux.

Tout d’abord, les camarades doivent faire de l’agitation au sein du mouvement anarchiste lui-même pour la création de structures armées clandestines – pour autant que nous le sachions, les anarchistes de la plupart des pays n’en comprennent pas du tout la nécessité.

Ensuite, il faut créer les organisations primaires de ces structures, et plus largement, un réseau de contacts fiables dans les différentes régions du pays – en prenant bien sûr toutes les mesures de sécurité nécessaires.

Dans le même temps, les camarades doivent organiser des formations et des exercices dans divers domaines militaires.

Il n’est jamais trop tôt pour commencer à économiser de l’argent, des armes et des équipements. Et préparer des cadres entièrement sécurisés pour l’information publique et non publique et l’activité des médias, ainsi que pour les transferts d’argent non monétaire. Il semble que ce soit là l’essentiel.

Un bureau de conscription militaire russe brûle au printemps 2022.

Si l’on considère les quinze dernières années en Russie, une forme quelconque de solidarité et de soutien international aurait-elle pu permettre aux anarchistes russes d’empêcher Poutine d’acquérir un contrôle suffisant sur la société russe pour pouvoir envahir l’Ukraine ?

Il est peut-être utile de revenir à une période encore plus ancienne, en 1993 et 1996, lorsque Eltsine et les oligarques ont consolidé leur pouvoir et écrasé leurs rivaux politiques. Aussi antipathiques que ces rivaux aient pu être, il semble aujourd’hui que la voie de la construction d’un État autoritaire capable de supprimer toute alternative politique était déjà tracée à ce moment-là. Poutine n’a fait que suivre cette logique, et il a déjà rencontré moins d’obstacles qu’Eltsine. Puis sont venues les années 2000 apolitiques (ou « rassasiées », comme on dit), où il n’y avait pratiquement aucune possibilité de faire bouger les choses. Peut-être, en théorie, la crise politique de 2011-2012 aurait-elle pu mettre fin au règne de Poutine, si toutes les forces d’opposition avaient agi de manière plus cohésive et radicale. Les anarchistes ont essayé de radicaliser la contestation, mais nos forces n’étaient pas suffisantes, et les autorités ont décidé de lancer les premières vagues sérieuses de répression.

Il est difficile pour nous de dire quel type de soutien international aurait pu rendre notre mouvement plus fort à l’époque. La prise de la Crimée et le déclenchement de la guerre contre l’Ukraine en 2014 ont provoqué une grande poussée de sentiments réactionnaires en Russie, et le pays est allé tout droit vers le désastre actuel.

Aux États-Unis, certain·e·s « anti-impérialistes » (dont un petit nombre de prétendu·e·s anarchistes) estiment que tou·te·s celles et ceux qui soutiennent les anarchistes ukrainien·ne·s impliqué·e·s dans la résistance militaire à l’invasion combattent « côte à côte » avec les fascistes ukrainien·ne·s, soutiennent le gouvernement Zelensky et font avancer les intérêts de l’OTAN. Pourriez vous expliquer votre propre position sur la façon dont vous pensez que les anarchistes russes et ukrainien·ne·s devraient agir dans cette situation et ce que les anarchistes d’autres parties du monde devraient faire en solidarité.

La défaite de l’Ukraine entraînera le triomphe des forces les plus réactionnaires en Russie, finalisant sa transformation en un camp de concentration néo-stalinien, avec un pouvoir illimité concentré dans le FSB [le service fédéral de sécurité, successeur du KGB] et une idéologie impériale orthodoxe totalitaire. Dans l’Ukraine occupée, tout germe de société civile et de liberté politique sera détruit et l’existence même de la culture ukrainienne sera remise en question. D’un autre côté, si la Russie est vaincue, il y aura inévitablement une crise pour le pouvoir de Poutine et une perspective de révolution. Pour les anarchistes, le choix entre ces alternatives semble clair. Contre les annexions et l’agression impériale

Une déclaration des anarchistes russes contre l’agression russe en Ukraine. Cette déclaration a été publiée en russe sur avtonom.org, un projet médiatique issu du réseau communiste libertaire Action (…)

Quoi qu’il en soit, nous, ici en Europe de l’Est, considérons tout cela comme beaucoup plus urgent et réel que les discussions (que les gens peuvent avoir sans s’engager à quoi que ce soit) sur les jeux géopolitiques des États-Unis et de l’OTAN, que nous préférons laisser aux propagandistes de Poutine. Ainsi, la solidarité avec nous signifie la solidarité avec l’Ukraine, avec sa victoire.

Vous avez eu plus de six mois pour évaluer les différentes stratégies anarchistes en Russie, au Belarus et en Ukraine en réponse à l’invasion. A quoi vous attendiez-vous et qu’est-ce qui vous a surpris ? Par exemple, quel a été, selon vous, le résultat des manifestations publiques contre la guerre en février et mars 2022 ? Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur l’efficacité de l’Opération Solidarité, du Comité de résistance, de la Résistance féministe contre la guerre, de l’Action autonome ou d’autres organisations des deux côtés de la frontière qui ont tenté de répondre à l’invasion ?

Pour être honnêt·e·s, après six mois, on ne sait toujours pas quelle combinaison de stratégies est la plus efficace. Toutes les actions des camarades ont été d’une grande importance, et nous ne pouvons pas encore dire que le mouvement anarchiste en Russie/Biélorussie ou en Ukraine est en plein essor, bien qu’en Ukraine nous voyons une mobilisation inspirante.

Nous soutenons la décision des anarchistes en Ukraine de prendre les armes et de se joindre à la confrontation militaire avec l’impérialisme. Tout mouvement politique révolutionnaire doit être combatif, doit démontrer sa capacité de combat en temps de guerre et participer avec la société dans son ensemble à sa lutte. Nous sommes agréablement surpris du niveau de réussite logistique, de la collecte d’aide matérielle et d’articles nécessaires, et de la résonance médiatique que l’ »aile civile » du mouvement libertaire en Ukraine a réussi à obtenir. Anarchistes et guerre : Perspectives anti-autoritaires en Ukraine

Ce texte a été composé collectivement par plusieurs activistes anti-autoritaires d’Ukraine. Nous ne représentons aucune organisation, mais nous nous sommes réuni·es pour écrire ce texte et nous préparer à une éventuelle (…)

Cependant, nous aimerions voir plus d’organisation et de structure parmi les anarchistes du côté ukrainien, ainsi qu’une position politique plus clairement et activement exprimée. Le manifeste du Comité de Résistance est à lui seul insuffisant pour cela.

En ce qui concerne la Russie, nous pensons que toutes les actions – pacifiques, violentes, symboliques et informatives – sont très importantes. Tout ce qui peut toucher l’esprit et l’âme des gens dans notre société. En même temps, nous sommes adeptes des méthodes partisanes : sabotage, action directe, guerre partisane contre le régime fasciste. À notre avis, ce sont ces moyens qui produiront la plus grande résonance et auront le plus grand potentiel politique et révolutionnaire dans les conditions actuelles.

Pensez-vous que des personnes extérieures à la Russie auraient pu faire quelque chose pour que la première étape du mouvement anti-guerre russe se déroule différemment ?

Il faut dire que, même si peu de gens croyaient qu’une invasion à grande échelle aurait lieu, un énorme mouvement de solidarité internationale a émergé dès les premières heures de la guerre. Les anti-autoritaires qui ont rejoint la résistance armée au poutinisme en Ukraine ont été rapidement pourvu·e·s et équipé·e·s de la plupart des éléments nécessaires. Des volontaires, y compris des membres d’initiatives anarchistes, ont également aidé les réfugiés ukrainiens. Des actions de solidarité, des réunions et des discussions ont eu lieu. Beaucoup de travail a été fait, et ici nous ne pouvons que remercier les camarades.

Mais il y a presque toujours plus à faire dans le domaine des actions de solidarité ou de la collecte de fonds pour les mouvements libertaires en Ukraine et en Russie. Nous entendons souvent dire que les Occidentaux sont progressivement « fatigué·e·s du sujet de la guerre », et nous ne voyons plus le même consensus qu’auparavant sur la question de l’isolement international du régime de Poutine. Ce qui est important maintenant, c’est de maintenir un « ton de solidarité », de maintenir un niveau élevé de sensibilisation et d’activité.

Depuis que Bakounine a quitté la Russie en 1840, et peut-être même avant, les générations successives de radicaux et radicales russes ont dû fuir la Russie et s’organiser à l’extérieur. Pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur les problèmes liés à l’organisation de mouvements qui incluent des émigrés politiques en exil ? Par exemple, comment maintenir les liens entre les personnes à l’intérieur et à l’extérieur de la Russie ? Comment trouver un équilibre entre l’influence des camarades russes qui « représentent » le mouvement en tant qu’émigré·e·s en Europe occidentale et les perspectives de ceux qui se trouvent encore à l’intérieur du pays et qui, de ce fait, sont exposé·e·s à davantage de risques ?

D’après ce que nous pouvons voir, l’un des problèmes importants de l’émigration est de rester politiquement actif, de maintenir une perspective radicale et de trouver un équilibre entre l’intégration dans une nouvelle communauté et le maintien du lien avec les réalités et le mouvement dans le pays d’origine.

La communauté actuelle des exilé·e·s de Russie est, pour autant que l’on puisse en juger, assez dispersée. Cependant, il existe plusieurs groupes d’anarchistes russes à l’étranger. C’est une chose très positive, qui doit être développée.

À notre avis, nous ne pouvons parler de « représentation » que si nous parlons d’une organisation ayant des branches à la fois en Russie et à l’étranger. Sinon, nous ne parlons pas de représentation, mais seulement des opinions et des perspectives de certains groupes et individus.

Quant aux connexions entre les émigré·e·s et ceux et celles qui sont actif·ve·s en Russie, elles existent. L’Internet et les moyens de communication anonymes contribuent largement à leur existence. Là encore, il conviendrait de dire que nous avons besoin de plus d’organisation pour que ces connexions deviennent systématiques et politiquement significatives, plutôt que des communications individuelles sporadiques. Il y a des mouvements dans la bonne direction, mais nous ne pouvons pas en révéler les détails.

En regardant de près, le spectateur peut voir que quelqu’un a gravé les lettres « BOAK », pour « Anarcho-Communist Combat Organization », sur le côté du rail saboté.

La scission au sein de l’Operation Solidarity a soulevé des questions sur la résolution des conflits et sur la façon dont les membres du mouvement peuvent coopérer les uns avec les autres sous une pression intense. Comment les valeurs et les idéologies de l’ordre dominant – comme le capitalisme, le patriarcat et l’individualisme libéral – se manifestent-elles dans les activités et le comportement des révolutionnaires des anciennes républiques soviétiques ?

Il nous est difficile de juger la scission dont nous n’avons pas été témoins. Cependant, nous pouvons partager une vision commune de la « culture des scissions », qui prospère non seulement dans le mouvement anarchiste, mais dans la société contemporaine en général.

Parfois, nous entendons des camarades dire : « Les scissions sont bonnes ; si les gens ont des contradictions entre eux, ils devraient se séparer ». On ne peut pas construire un mouvement fort avec ce genre de logique. Par expérience, nous pouvons dire que derrière les « scissions idéologiques », il y a toujours non seulement des différences théoriques et pratiques, mais aussi des conflits d’ambition, une lutte pour le pouvoir et les ressources, et de l’égoïsme. Ceci est typique non seulement pour les novices qui viennent de rejoindre le mouvement, mais aussi pour les vieux·vieilles révolutionnaires chevronné·e·s qui sont impliqué·e·s depuis de nombreuses années.

Nous ne connaissons pas de formule infaillible pour éviter de telles scissions. Malheureusement, tous les mouvements que nous connaissons ont traversé des conflits dramatiques, y compris certains qui étaient assez massifs et réussis. Si quelque chose sert probablement à protéger contre les scissions, c’est l’autodiscipline collective – la compréhension que les intérêts de la lutte sont au-dessus des désirs et des préférences individuels, que les décisions collectives ne sont pas toujours ce qu’un individu particulier souhaiterait, mais qu’elles sont quand même importantes pour maintenir la cohésion du groupe.

Cela peut sembler naïf, mais l’amour camarade et les relations chaleureuses au sein du collectif peuvent également protéger des scissions. Mais nous savons pertinemment qu’ils ne garantissent rien, qu’ils ne peuvent pas éliminer complètement les conflits. Cependant, même si les scissions ne peuvent être évitées complètement, nous devons nous efforcer de les minimiser.

En dehors de la Russie, nous avons l’impression que Poutine attire des recrues dans les petites villes afin de minimiser les effets de la guerre à Moscou et à Saint-Pétersbourg. Que peut-on faire pour perturber une stratégie politique qui vise à contenir l’impact de la guerre ? Comment, face à une répression puissante, les anarchistes peuvent-ils·elles transmettre quelque chose à ceux et celles qui ont des raisons d’être indigné·e·s par la guerre ?

C’est une impression très correcte, à notre avis. Et ici, la guerre elle-même, par son inévitabilité fatale, agit comme l’agent principal du renversement du régime. Ce rôle ne peut être défait, ne peut être ramené en arrière, ni par le gouvernement russe s’il le voulait, ni par les opposant·e·s au régime – aucun autre facteur ne pourra éclipser cette guerre.

Quant à savoir comment nous pourrions faire passer notre message au peuple dans ces conditions de répression… nous essayons de mettre notre vision en action. Il faut montrer aux partisan·e·s de la politique de Poutine et à ceux et celles qui sont indifférent·e·s que la guerre peut être très proche d’eux et elles. Il faut montrer aux opposant·e·s à la guerre des moyens efficaces de la combattre.

Pensez-vous que l’invasion de l’Ukraine est un signe des choses à venir dans le monde – un avenir dans lequel la guerre devient plus répandue, alors que le capitalisme entre dans une série de crises économiques et environnementales ? Que devraient faire les gens pour s’y préparer ?

Il s’agit d’un scénario très probable. Bien sûr, la réponse universelle que nous pouvons donner est que nous devrions faire une révolution anarchiste dès que possible :)).

Les conseils plus « réalistes » devraient néanmoins toujours faire appel au renforcement du contrôle démocratique de la part des larges masses populaires sur les autorités – plus ce contrôle sera efficace, plus les problèmes pourront être évités à l’avenir. Mais il s’agit encore d’un scénario relativement optimiste – il est probable que la société ne sera pas assez forte, et que les élites mèneront leurs peuples au désastre. Ce qui reste à faire ici est probablement d’essayer autant que possible de développer des liens horizontaux complets, y compris parmi les membres idéologiquement motivé·e·s du mouvement anarchiste, afin que ces liens ne se limitent pas à l’activisme, mais fonctionnent également dans la sphère économique. De tels groupes basés sur la confiance peuvent grandement aider à survivre aux périodes difficiles, et des personnes extérieures, issues du chaos social atomisé, peuvent se rassembler autour d’eux.

Enfin, décrivez comment, selon vous, les personnes extérieures à la région peuvent soutenir au mieux les anarchistes en Russie, au Belarus et en Ukraine.

Participez aux initiatives qui soutiennent les révolutionnaires d’Europe de l’Est matériellement et dans le domaine de l’information. En particulier, nous vous encourageons à faire un don à notre Fonds révolutionnaire anarchiste – cela aide énormément lorsqu’il s’agit de mener la lutte et de couvrir ses coûts.

Il est important que la stratégie révolutionnaire anarchiste ne se limite pas à un pays ou à une région. L’État et le capitalisme doivent être attaqués partout dans le monde.

Vous pouvez suivre l’Organisation de combat anarcho-communiste sur Telegram à BOAK et Anarchist Combatant.
Autres lectures

En français, une interview antérieure de l’Organisation de combat anarcho-communiste

Une interview en anglais réalisée par le Final Straw Radio Show

La chanson « Arrêtez la guerre » du groupe punk kazah Adaptation : https://www.youtube.com/embed/nZv5ylCs-oU Liberté pour les peuples – mort aux empires ! Soutenons nos camarades en Ukraine et alentours !

Depuis Marseille, nous sommes nombreux·ses à suivre jour après jour les évolutions de la situation en Ukraine. La guerre a éclaté à plusieurs milliers de kilomètres, les enjeux sont complexes, mais nous ne devons pas (…)

PS :

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https://crimethinc.com/2022/08/22/russia-the-anarcho-communist-combat-organization-an-interview-with-a-clandestine-anarchist-group

https://mars-infos.org/russie-l-organisation-de-combat-6482

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