Après un été aux incendies records, la politique de casse du service publique des forêts et le financement au rabais des pompiers interrogent.
Avec 62 023 hectares de forêt partis en fumée, l’été 2022 a été rythmé par les incendies. Oui, nous avons bien affaire à une année exceptionnelle, puisque ce bilan est bien supérieur à la moyenne annuelle des 15 dernières années (voir graphique ci-dessous). Il s’approche même des records des années 1976 et 2003 où 88 000 et 73 000 hectares avaient brûlé. Mais ce caractère exceptionnel pourrait bien devenir la norme, tant le réchauffement climatique, largement imputable à notre mode de production capitaliste, nous assure de futurs étés toujours plus chauds et secs.
Or pour y faire face, la gestion néolibérale de la fonction publique française semble profondément inadaptée. Depuis les années 1980, l’Etat et les collectivités territoriales réduisent les moyens de l’Office national des forêts (ONF) et des services départementaux d’incendie et de secours (SDIS), premiers remparts contre les incendies. Les fonctionnaires sont remplacés par des contractuels précaires et les effectifs fondent plus vite encore que nos glaciers. Lentement mais sûrement, l’Etat hypothèque nos chances de surmonter au mieux les catastrophes environnementales à venir.
L’ONF : privatisation et réduction des effectifs
L’Office national des forêts est créé en 1964. Aujourd’hui placé à la fois sous la tutelle du ministère de la transition écologique et de celui de l’agriculture, il subit de plein fouet la logique néolibérale adoptée par l’Etat. Privatisation d’une part, réduction des effectifs de l’autre.
Alors que cet établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC) comptait près de 15 000 salariés en 1985, ils et elles ne sont plus que 8200 aujourd’hui. Une dynamique qui s’est accélérée sous le précédent quinquennat Macron, puisque pas moins de 1 000 emplois ont alors été supprimés. La saignée est loin d’être terminée puisqu’en avril 2022, la direction de l’ONF a annoncé la suppression de près de 500 postes supplémentaires d’ici 2025 via un contrat Etat/ONF. De quoi faire hurler cinq organisation syndicales de l’ONF, qui ont attaqué ce contrat au tribunal administratif fin juin.
En plus de réduire les effectifs, les fonctionnaires qui quittent la profession sont remplacés par des contractuels, sous contrats de droit privé. « Depuis 2017, il n’y a plus de recrutement de fonctionnaires pour les techniciens forestiers ! La part de contractuels a atteint 50% à l’ONF », assure Patrice Martin du SNUPFEN, premier syndicat de l’établissement, affilié à l’union syndicale Solidaires. L’ONF n’est donc pas à proprement parler privatisée… mais simplement vidée de ses fonctionnaires, ce qui n’est pas sans conséquence sur son activité. « Le statut de fonctionnaire nous protège des pressions financières et des objectifs de rentabilité auxquels nous sommes de plus en plus soumis », continue le syndicaliste Patrice Martin. Le remettre en cause c’est donc fondamentalement changer le sens du métier.
« La forêt française est gérée comme son agriculture »
Or les agents de l’ONF sont le premier rempart de la force publique pour lutter contre les incendies. Ils sont chargés de la gestion des forêts publiques (environ 25% de la forêt française), mais surveillent également l’entretien des forêts privées. « Les propriétaires ont des obligations de débroussaillage. Cela permet de protéger les habitations en évitant que les éventuels feux ne se propagent. Avec les réductions d’effectifs, nous sommes de moins en moins nombreux à assurer cette mission et les incendies deviennent de plus en plus dangereux », explique Patrice Martin du SNUPFEN.
Dans un récent rapport, des sénateurs Les Républicains constatent que l’obligation légale de débroussaillage, qui concerne environ 3 millions de propriétaires privés, est appliquée par moins de 30 % d’entre eux. Ils préconisent alors de ne plus rogner sur les effectifs de l’ONF et de revenir sur les 500 suppressions de postes prévues pour 2025.
Enfin le développement tous azimuts de la fonction commerciale de l’ONF, consistant à planter des arbres afin qu’ils soient exploités, pose également question. « La forêt française est gérée comme son agriculture. On n’a d’ailleurs pas affaire à une forêt mais à des champs d’arbres, destinés à être rentables. Or faire de la monoculture de résineux, c’est planter des arbres qui seront de potentielles torches. Pour mieux résister aux incendies il faut mélanger les essences et ne pas penser uniquement à la rentabilité », conclut Patrice Martin.
Pompiers : gestion décentralisée et manque d’effectifs
Si les pompiers manquent d’effectifs et de moyens pour lutter contre les incendies, c’est avant tout parce que leur gestion est confiée aux collectivités territoriales. En effet, les services départementaux d’incendie et de secours (SDIS) sont financés à 42% par les communes et à 58% par les départements. Sur un budget total d’environ 5,16 milliards d’euros en 2022, l’Etat n’a contribué à leur financement qu’à hauteur de 7 millions d’euros. Une participation tout à fait marginale.
Interrogé par Le Média, Sébastien Delavoux, animateur du collectif CGT des SDIS résume le problème : « Si vous êtes dans un département rural avec un conseil départemental qui n’a pas les mânes liées au tourisme, vous aurez peu d’argent. Il y a une inégalité du secours aujourd’hui en France. »
« Dans le département du Nord (59). On considère qu’il nous manque environ 150 pompiers professionnels à mettre sur le terrain, plussoie Marc Lehoucq, secrétaire général de la CGT des SDIS 59, sans quoi on n’est pas en capacité d’assurer pleinement la sécurité de notre territoire. » En outre, les pompiers ne sont pas susceptibles d’intervenir seulement sur leur territoire. Quand surviennent les grands incendies de forêt, comme cela a été le cas cet été, les pompiers des départements non concernés viennent en renfort. « Cet été, quand nous avons dû partir sur les incendies du sud, notre département s’est retrouvé en sous-effectif et nos équipes difficilement en mesure de gérer nos risques courants », témoigne Marc Lehoucq de la CGT des SDIS 59.
Des volontaires plutôt que des fonctionnaires
La France compte au total 251 900 pompiers. Or parmi eux, 197 000, soit à peu près 80%, sont volontaires. Les pompiers professionnels, fonctionnaires, ne sont qu’au nombre de 41 800. « Le problème c’est que les volontaires restent en moyenne deux ans dans la profession. C’est normal, puisqu’ils ont un travail à côté. Ils ne sont pas non plus mobilisables tout le temps, et sont plus disponibles les soirs et les week-ends. Ce qui veut dire que bien souvent on est en sous-effectif », continue Marc Lehoucq, de la CGT.
Ainsi, les départements peuvent compter sur l’armée de réserve de ces volontaires pour baisser le budget des SDIS. « En 2016, c’est ce qui s’est passé dans mon département. Le département a mis en place une politique de non remplacement des départs de professionnels. Ils ont été remplacés, de fait, par des volontaires. De plus, depuis deux ans un nouveau système se met en place : les volontaires sont parfois embauchés en CDD. Cela leur permet d’avoir un contrat de travail mais jamais d’être titularisés. De ce fait, on pérennise l’idée que les pompiers ne sont pas des fonctionnaires », conclut Marc Lehoucq.
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