Rentrée scolaire
1er septembre 2022 par Emma Bougerol
L’apprentissage du consentement dès l’école est l’un des piliers de la lutte contre les violences sexistes et sexuelles. En cette rentrée scolaire, Basta! s’intéresse à la manière dont le consentement est – insuffisamment – enseigné.
Publié dans Société
Vous aurez beau fouiller dans les programmes de l’Éducation nationale, vous n’y trouverez pas le mot « consentement ». Malgré #MeToo, malgré les chiffres alarmants de l’inceste et malgré la « grande cause » du dernier quinquennat, consacrée à l’égalité femmes-hommes et à la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, la question est absente des manuels scolaires.
Au collège, les adolescentes et adolescents se confrontent pour beaucoup à la puberté, et, parfois, aux premiers rapports sexuels. Consentis ? Encore faudrait-il en parler. « Si on n’explique pas le consentement, comment peut-on le faire respecter ? questionne Yuna, enseignante et militante féministe à NousToutes. Beaucoup de personnes s’obligent à avoir des rapports sexuels sans se rendre compte qu’ils et elles peuvent les refuser. »
L’école pourrait être le lieu d’apprentissage d’une sexualité pacifiée, tant dans le rapport à soi qu’aux autres. Mais les programmes scolaires sont – au mieux – imprécis sur l’enseignement des questions liées au genre, à la sexualité et au consentement. Au collège, on parle de « respect d’autrui » au sens large en éducation morale et civique (EMC), de « respect mutuel fille-garçon » et de « comportements responsables » en sciences et vie de la Terre (SVT). Dans ces textes pour les classes de cinquième, quatrième et troisième, on ne trouvera pas plus de précision. Les termes restent vagues, et l’enseignement conditionné à la volonté et à l’engagement des professeurs.
Trois séances par an et par niveau … Vraiment ?
« La sexualité n’est pas abordée en famille, leurs seules sources, ce sont internet et les discussions entre eux », constate Nathalie, infirmière scolaire dans un collège en Gironde. Hors de la maison, l’école aurait vocation à être le lieu pour parler librement de sexualité. « On voit que les élèves sont très en demande, témoigne Floriane, enseignante de SVT en collège. Les rapports à ces sujets sont différents selon les âges, mais les élèves ont toujours de nombreuses questions. »
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L’enseignement sur la sexualité est essentiel dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, affirment les associations féministes et de lutte contre les LGBTQIA+phobies (lesbien, gay, bisexuel, transgenre, queer, intersexe, asexuel). « Le collège et le lycée sont des moments importants, témoigne Yuna, de NousToutes. Les premières violences sexuelles et sexistes dans le couple arrivent souvent dès le collège. »
Dans leur enquête #SexEducationNationale, le collectif dénonce le manque de cours d’éducation à la sexualité. Depuis 2001, pourtant, le Code de l’éducation impose trois séances annuelles consacrées à l’information et à l’éducation sur ces questions. Vingt ans plus tard, ce même texte est modifié pour ajouter que ces moments doivent aussi servir à sensibiliser « aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu’aux mutilations sexuelles féminines ».
« Notre constat est que, malgré l’existence d’une loi, on est encore loin du compte, observe Yuna. Aucun organisme n’est chargé de surveiller sa mise en place. Dans l’Éducation nationale, il n’y a aucun suivi. La non-application de la loi a des conséquences très graves pour les jeunes. » Les professeurs interrogés témoignent en ce sens : il leur est difficile de trouver un moment pour parler de la sexualité hors des considérations reproductives. Aucun créneau n’est sanctuarisé dans l’emploi du temps des élèves pour ces cours, et les programmes sont déjà très denses.
« Le nombre de cours liés à ces questions est ridicule »
Les enseignants les plus volontaristes essayent de trouver des prétextes pour en parler, faute de mieux. « C’est très dur, le nombre de cours liés à ces questions est ridicule, souffle Patrice, professeur d’histoire-géographie et d’éducation morale et civique dans un collège de Mayenne. Il n’y a pas de cours spécifiquement consacré à ça, on en parle au fil des chapitres qui s’y prêtent. »
Patrice est l’enseignant–référent égalité filles-garçons dans son collège, il est donc « forcément très engagé sur ces questions ». Mais nombre de ses collègues ne pensent même pas à parler d’égalité, de questionnements de genre, d’orientation sexuelle ou de consentement. « C’est une démarche personnelle que de l’inclure dans mes cours, d’en parler, d’apprendre aux enfants à être maîtres de leur corps et de leur pensée », explique l’enseignant.
Dans ses cours de SVT, Manon, enseignante au collège en Seine-Saint-Denis, essaye d’aborder la sexualité dès la sixième. Le programme ne le mentionne pas, mais elle profite du chapitre sur le développement des êtres vivants (plantes, insectes puis mammifères) pour parler de celui des humains. Avec la question de la puberté, « plein de questions viennent », constate-t-elle.
Elle a trouvé une stratégie : « Je leur fais écrire leurs questions sur des papiers – les élèves peuvent être timides au début – et je laisse la boîte à questions sur mon bureau. De temps en temps, je l’ouvre et je prends le temps de répondre devant la classe. Les discussions partent toujours de leur corps et de ses changements, puis en découlent celles sur les relations sexuelles, l’orientation sexuelle… » Les questions, formulées dans un vocabulaire « enfantin », traduisent les angoisses et interrogations de l’adolescence, que l’on n’ose pas toujours poser à l’oral. Les élèves se demandent par exemple : « D’où vient le sang qui coule chez les filles ? », « le pénis se dresse le matin ou pendant la nuit ? », « est-ce que c’est obligé d’avoir des relations sexuelles pendant sa vie ? »
Associations et infirmières, intervenantes essentielles
En classe de quatrième, le programme est plus explicite sur la sexualité. Mais les aspects émotionnels et personnels sont « masqués derrière le biologique », déplore Floriane, elle aussi enseignante en Seine-Saint-Denis. C’est aussi l’année où ses collégiens ont la visite du Planning familial, association de prévention sur les questions de contraception, d’avortement et d’éducation à la sexualité. « Pour pallier ce manque dans les programmes, on fait appel à des intervenants », explique la professeure de sciences.
Une des organisations qui intervient dans des établissements scolaires est l’Association française des centres de consultations conjugales (AFCCC). Maryse Pascau en est la directrice. « Nous faisons entre autres de la prévention sur la vie affective et sexuelle au sens large, sur le consentement, les violences sexuelles, la connaissance de son corps … », explique-t-elle.
Pour elle, la question du consentement ne touche pas qu’à la sexualité, c’est une notion « centrale » de la vie de chacune et chacun : « Le consentement est une question de respect de soi et de l’autre. Il est en filigrane partout, c’est une idée générale qui ne peut pas être travaillée au cours d’une séance précise – sinon, ça couperait vite court. C’est important de le reprendre tout au long de la vie, avec différents intervenants et différents prismes, pour affiner la connaissance de soi et de ce que l’on veut. »
L’AFCCC est le plus souvent sollicitée par les infirmières et infirmiers scolaires pour venir dans les établissements. Nathalie, infirmière en primaire et collège, est ainsi la principale interlocutrice sur ces questions pour les jeunes comme pour les professeurs de son établissement. « Les années de collège sont particulièrement importantes », insiste-t-elle. Alors, elle tâche de trouver des moments dans l’emploi du temps des élèves pour venir parler de sexualité. En quatrième, elle anime une session avec le ou la professeure de SVT. « Ce n’est que deux heures. Et même pour ça, je prends des heures aux collègues enseignants. On court toujours après le temps », regrette Nathalie.
« Nous ne sommes pas formés »
L’infirmière aimerait faire venir plus d’associations, car elle n’a pas le temps d’animer à la fois ces ateliers, de remplir ses obligations médicales, d’éduquer aux premiers secours … Mais l’éloignement géographique de son collège, à plusieurs dizaines de kilomètres de Bordeaux, ne lui facilite pas la tâche. « Nous sommes loin des grandes villes, donc c’est très compliqué – ou alors onéreux – de faire venir des associations. Le Planning familial vient une fois par an, mais seulement sur les questions de contraception et de maladies sexuellement transmissibles, il n’a pas le temps de faire plus. »
Repère :
Livres, séries, podcasts pour en savoir plus sur le consentement et en parler
Dans le collège de Floriane, en Seine-Saint-Denis, comme dans beaucoup d’autres, les infirmières viennent régulièrement à manquer. « Là, c’était l’ancienne infirmière qui était en contact avec le Planning familial et organisait les interventions. Depuis son départ, c’est moi qui les organise », témoigne l’enseignante.
Contrainte supplémentaire, les infirmières comme les professeurs n’ont pas forcément la formation nécessaire. « C’est important de parler de ces questions mais ça peut faire un peu peur, vu que nous ne sommes pas formés là-dessus, souligne Floriane. On peut avoir peur de heurter les élèves par exemple. » La formation de base des professeurs ne mentionne pas l’éducation à la sexualité. Il est même difficile de se former plus tard.
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« Il y a bien des formations disponibles pour tous les profs de l’Éducation nationale, intitulées « éduquer à la sexualité de manière positive », note Manon. Ça m’intéresse, ça fait trois ans que je la demande, mais je n’ai jamais réussi à l’avoir. » Sans désespérer d’y avoir accès un jour, elle essaye de voir l’aspect positif des choses : « Si cette formation est très demandée, ça veut au moins dire que les profs se saisissent de ces questions. »
Emma Bougerol
Photo : Un collage féministe à Paris en 2020. ©GuyPichard
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