Dans les établissements scolaires, la courbe des contaminations croît parallèlement à celle de la colère des enseignants. Pour s’opposer à la gestion catastrophique de la pandémie de Covid-19 dans les écoles, les collèges et les lycées, une grève dans l’éducation est prévue ce jeudi 13 janvier. Et la mobilisation risque bien d’être massive.
Enseignant dans un collège de Vaulx-en-Velin (banlieue lyonnaise), Arnaud n’est pas un habitué des manifestations. “D’habitude je ne fais pas grève quand j’estime que les revendications concernent seulement les enseignants. Mais cette fois-ci, tout le monde est touché : les profs, les administratifs et surtout les élèves.” Pourtant, ce jeudi 13 janvier, il sera dans la rue, exaspéré par la situation sanitaire dans son établissement et le manque de moyens octroyés pour y répondre. Et il y a fort à parier qu’il ne sera pas le seul, parmi ces enseignants peu habitués à descendre dans la rue, à les rejoindre demain.
La journée du 13 janvier s’annonce extrêmement suivie dans l’Éducation nationale. “Dans le premier degré, grâce aux déclarations d’intention de grève, qui doivent être déposées 48h à l’avance, on sait déjà que 75% des enseignants seront en grève et que la moitié des écoles pourraient être fermées. Dans le secondaire, on n’a pas ce genre de données, mais les retours du terrain nous laissent penser que la grève sera aussi très suivie“, estime Claire Guéville, secrétaire nationale du SNES-FSU (syndicat majoritaire dans l’enseignement secondaire). “La mobilisation pourrait bien être historique. Dans le 1er degré, on parle d’une journée de mobilisation plus massive que le premier jour de grève contre la réforme des retraites (NDLR le 5 décembre 2019)“, rapporte Samuel Delor, co-secrétaire de la CGT Éduc’action dans le Rhône.
Grève dans l’éducation : une “mobilisation jamais vue”
Et pour cause : l’arc syndical ayant appelé à la grève ce jour-là est quasiment inédit “de mémoire de syndicaliste, je n’ai jamais vu ça. Peut-être qu’il faut remonter à l’époque de Claude Allègre (NDLR ministre de l’Éducation nationale en 1999, sous le gouvernement Jospin, que la mobilisation enseignante avait poussé à la démission) pour trouver une telle union ?“, s’interroge Claire Guéville.
De fait, l’appel à la grève est signé par l’ensemble des syndicats enseignants, de la FSU au Sgen-Cfdt (qui n’a rejoint la mobilisation que tardivement) en passant par la Fnec-FP-FO, le Snalc, le SNE, la CGT Éduc’action et l’Unsa-éducation. S’ajoute à cela la FCPE, principale association de parents d’élèves, et des syndicats lycéens (Fidl, MNL et la Voix lycéenne). La fédération syndicale SUD éducation appelle, d’ores et déjà, à construire “un mouvement reconductible massif“.
Outre les enseignants, les parents et les élèves, la grève du 13 janvier mobilise toutes celles et ceux qui travaillent entre les murs des établissements scolaires. Localement, des appels à la grève d’agents territoriaux en charge des cantines scolaires et de l’accueil des élèves ont aussi été déposés. Les infirmières scolaires du Snies-Unsa seront également en grève pour obtenir des masques FFP2, dont elles ne disposent toujours pas. Même le syndicat majoritaire chez les personnels, le SNPDEN-Unsa, sera de la partie. Si ce dernier, rarement opposé aux décisions de Jean-Michel Blanquer, n’appelle pas à la grève, il déclare néanmoins s’associer au mouvement de protestation du 13 janvier. Dans l’enseignement supérieur enfin, si aucun syndicat n’appelle concrètement à faire grève ce jour-là, un communiqué rassemblant tous les principaux syndicats du secteur a été publié ce matin pour soutenir le mouvement.
13 janvier : une grève contre le “sentiment d’absurdité”
Pour comprendre pourquoi l’appel à la grève du 13 janvier s’est répandu comme une traînée de poudre, il suffit de laisser parler les enseignants trois minutes. “On a environ une dizaine d’élèves absents par classe, quand ils reviennent, ils n’ont pas toujours rattrapé les cours et d’autres tombent malades, ce qui fait que plus personne n’avance au même rythme. De leur côté, les administrations croulent sous le travail lié à la gestion des contaminations“, explique Arnaud, depuis son collège de la banlieue lyonnaise. Depuis la rentrée du 3 janvier, le nombre de contaminations a atteint un record chez les enseignants, avec 5 631 personnes infectées au 6 janvier, soit 0,4% du total (1 201 500 personnes). Or, bon nombre d’entre eux ne sont pas remplacés, ce qui accroît la charge de travail de leurs collègues.
Nicolas, lui, fait partie de ces trop rares enseignants remplaçants. Il exerce dans le premier degré, dans l’académie de Toulouse, et raconte la constante désorganisation dans les classes. “Récemment, j’ai remplacé un enseignant qui avait le Covid. Au départ, les parents n’étaient pas au courant que j’étais là, donc les élèves sont arrivés au compte goutte. Ils étaient 5, puis 9 … et finalement, on a appris que l’un d’entre eux avait aussi le Covid, ils ont dû rentrer chez eux illico“, explique ce militant de la CGT Éduc’action.
“Sentiments d’absurdité“, “tête sous l’eau“, “angoisse“, les mots pour dépeindre le malaise enseignant pleuvent au fur et à mesure des interviews. Cerise goût cynisme sur le gâteau de l’absurdité : la situation des précaires de l’éducation, qu’ils soient AED (surveillants), AESH (accompagnants d’élèves en situation de handicap) ou enseignants contractuels. “En tant qu’AESH nous ne sommes même pas comptabilisés comme cas contacts dans les classes“, rappelle Jérôme Antoine, AESH dans le 94 et élu CGT. Or, ces salariés sont littéralement assis à côté des élèves qu’ils assistent “même les enseignants ne sont pas aussi physiquement proches des élèves que nous“, souligne l’AESH. Dans son département, les AESH ont entamé une grève d’une semaine contre des augmentations du temps de travail, et celle-ci pourrait être reconduite lundi 17 janvier. En attendant, ils et elles se joindront logiquement aux cortèges du 13 janvier.
Blanquer jette de l’huile sur le feu
Face à l’exaspération générale, le gouvernement a choisi sa stratégie : éviter à tout prix les fermetures de classe… quitte à alléger le protocole sanitaire. Ainsi, Jean Castex a annoncé lundi soir, sur le plateau du journal de 20h de France 2, que les élèves qui étaient cas contacts pourraient attendre la fin de la journée avant de rentrer chez eux, mais aussi que trois auto-tests suffiraient désormais pour assurer le retour en classe, s’ils étaient accompagnés d’une attestation sur l’honneur signée des parents. Parallèlement, le Premier ministre annonçait que 10 453 classes étaient fermées en France à cause du Covid, soit un quasi record depuis le début de la pandémie. Une contradiction que les enseignants n’ont pas manqué de soulever : “Plus il y a de cas de Covid, moins le protocole est protecteur”, souligne Samule Delor. De son côté, expert dans l’art de jeter de l’huile sur le feu, Jean-Michel Blanquer déclare sur BFM le lendemain : “on ne fait pas grève contre un virus“, niant ainsi la légitimité du mouvement du 13 janvier.
Dans leur communiqué intersyndical, les organisations qui appellent à la grève demandent, pêle-mêle et de manière assez floue “des moyens humains mais aussi matériels pour stopper le niveau des contaminations dans les établissements“. Des revendications larges qui rappellent que ce communiqué a été écrit à plusieurs mains, par des organisations aux sensibilités diverses et qui interrogent sur l’avenir de cette journée de grève. “La reconduction de la grève sera décidée dans les assemblées générales de grévistes, on ne peut pas se prononcer avant“, explique Claire Guéville du SNES-FSU. “Tout est possible et rien n’est certain”, synthétise Samuel Delor, de la CGT Éduc’action du Rhône.
Enfin, au-delà de la colère, un autre élément explique le succès annoncé de la mobilisation de demain : la journée du 13 janvier permettra aussi aux travailleurs de l’éducation de reprendre leur souffle. “À l’annonce du nouveau protocole par Jean Castex, des collègues ont reçu des mails de parents à 22h pour leur poser des questions sur l’organisation de la classe. Le lendemain, ils étaient en arrêt maladie, ils n’ont pas attendu la grève pour craquer“, conclut Nicolas.
Photo : © UNESCO/Fabrice GENTILE
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