La filiale de La Poste et son sous-traitant Derichebourg disent ne pas les connaître, mais depuis huit semaines plus de 70 travailleurs sans-papiers d’un entrepôt DPD dans l’Essonne tiennent un piquet de grève 24 heures sur 24. Ils ont été imités par une centaine de sans-papiers travaillant pour Chronopost à Alfortville, une autre filiale du groupe La Poste.
Le 15 novembre, 70 sans-papiers travaillant pour DPD à Coudray-Monceau (91) décidaient de se mettre en grève pour obtenir la fin de la sous-traitance et la délivrance des documents de travail permettant leur régularisation (voir notre reportage). Huit semaines plus tard, ils sont près d’une centaine à se relayer sur le piquet de grève installé aux portes de l’entrepôt de livraison de colis, après avoir été délogés de l’intérieur du site par une décision de justice le 30 novembre. Certains avec des contrats de travail sont formellement en grève, d’autres en mission intérim pour l’entreprise Derichebourg ont arrêté d’accepter des missions pour cette entreprise. Non seulement aucun n’a cessé le mouvement, mais quelques intérimaires sans-papiers supplémentaires ont rejoint la mobilisation en cours de route.
Depuis 50 jours, ils s’organisent avec leurs soutiens pour assurer la logistique de leur présence : des repas, des boissons chaudes et le couchage. Et évidemment, la solidarité financière pour tenir. Le tout ponctué de manifestations et d’actions régulières pour mettre la pression sur leurs différents employeurs (filiale de La Poste et Derichebourg). Depuis le 3 décembre, une centaine d’autres travailleurs sans-papiers tiennent un second piquet de grève à Alfortville (94). Cette fois, devant le site de Chronopost qui avait connu un conflit similaire en 2019. Parmi eux : quelques anciens du conflit précédent qui n’avaient pas été régularisés et dont la situation n’a jamais été réexaminée malgré les promesses de la préfecture. Mais aussi des nouveaux travailleurs sans-papiers, embauchés par diverses agences d’intérim, dont encore et toujours Derichebourg.
Une détermination sans faille
« Ils sont tous partis sur la durée », certifie Giorgio Stassi du syndicat SUD-PTT 91 à propos des grévistes de DPD à Coudray-Monceau. « Personne n’envisage un pas en arrière. Comme ils le disent eux-mêmes, à partir du moment où ils sont sortis du bois et que maintenant cela fait un mois et demi, ils n’ont pas le choix. Dès le premier jour, ils avaient en tête l’exemple de Chronopost Alfortville en 2019 qui avait duré 7 mois », explique le syndicaliste. Par conséquent : un conflit potentiellement appelé à durer. Et une lutte qui s’est déjà élargie, avec l’entrée en action des sans-papiers de Chronopost à Alfortville.
« Le lien se fait de plus en plus entre la grève dans le 91 et celle dans le 94. Jeudi matin, nous faisons un rassemblement commun devant le siège de Chronopost à Paris, dans le 14e arrondissement », explique Adrien du syndicat SUD. Dans les deux départements, les postiers sans-papiers réclament la même chose à leurs employeurs : les documents de travail permettant de déposer une demande de régularisation auprès de la préfecture. Et par la suite, ne plus subir la surexploitation permise par leur condition de sans-papiers.
Si une extension du conflit à de nouveaux entrepôts de la région parisienne au sein des filiales de La Poste reste difficile – sans collectif de sans-papiers préalablement organisé localement – le Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry-sur-Seine (CTSPV94) sert de liant entre les différents piquets de grève déjà installés. Il permet que la solidarité se développe entre les postiers sans-papiers des différents sites. Et même au-delà. « Lorsqu’il y a une action à Chronopost, ceux de DPD ou de RSI à Gennevilliers [une agence intérim ne travaillant pas avec La Poste – NDLR] envoient une délégation », confirme un militant de Solidaires du Val-de-Marne.
Vers une résolution du conflit ?
Jusqu’à ce début d’année, les directions de la filiale de La Poste et de Derichebourg n’ont pas répondu aux demandes des grévistes, préférant s’enferrer dans l’affirmation selon laquelle elles ne connaissent pas ces travailleurs. Mais leurs positions évoluent sensiblement en ce début d’année.
Un contrôle de l’inspection du travail sur le site DPD de Coudray-Monceau pendant les fêtes n’y est peut-être pas totalement étranger. En tout cas, après cette visite, l’inspection du travail a proposé une médiation aux représentants des grévistes mardi 4 janvier. Et ce coup-ci, des représentants de DPD et de Derichebourg logistique ont accepté de s’y rendre, reconnaissant implicitement qu’elles étaient concernées par ces travailleurs qu’elles ne « connaissent pas ».
Si la filiale de La Poste s’est drapée dans une indignation de circonstance en se présentant comme victime d’une tromperie, le sous-traitant Derichebourg logistique a fait un pas en avant en se disant ouvert à l’examen des situations de travail, selon un représentant des grévistes. Autre bruissement : la préfecture de l’Essonne a reçu fin décembre une délégation de grévistes du 91 pour évaluer les conditions d’un examen de leurs demandes. Une prise de contact relativement encourageante pour Adrien de SUD-PTT. Et probablement le signe que les lignes bougent un peu pour ces postiers sans-papiers, après sept semaines de conflit.
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