Régionales 2021
par Ivan du Roy 21 juin 2021
Le premier tour des élections régionales et départementales, marqué par une abstention historique, délivre des enseignements contrastés et révèle une béance entre des institutions politiques à la peine et une population désenchantée.
Notre système électoral représentatif est en voie d’effondrement. Deux électeurs sur trois ne se sont pas déplacés. Il s’agit d’un record d’abstention historique sous la 5ème république. La machine électorale elle-même s’enraye. Dans plusieurs endroits, les électeurs n’ont pas reçu les informations indispensables pour exercer leur droit de vote : les professions de foi des candidats et leurs programmes ne sont jamais parvenus à leurs domiciles. La distribution de ce matériel électoral avait été confiée, dans sept régions [1], par le ministère de l’Intérieur à une société privée spécialisée dans les prospectus publicitaire, Adrexo, en remplacement de La Poste. À Marseille, faute de personnels, plusieurs bureaux de vote ont ouvert avec trois heures de retard. Ces dysfonctionnements, s’ils se reproduisent à l’avenir, risquent d’entamer la confiance dans la sincérité des scrutins futurs.
S’y ajoute l’absence de débats de fond vis-à-vis du scrutin et de ses enjeux. De nombreux médias s’en sont largement désintéressés – combien de sujets sur les transports, le logement, les minimas sociaux, les cantines scolaires, la transition énergétique, et ce que proposaient (ou pas) les diverses listes ? Dans un contexte de grande défiance à l’encontre des partis politiques, le sentiment que ce n’est pas dans ces assemblées que l’avenir se joue, combiné à une présidentialisation et une personnalisation à l’extrême de la vie politique, constituent les principaux ingrédients pour une abstention importante.
Les raisons d’une abstention record
Celle-ci a été massive chez les moins de 35 ans (+ de 80 % de non votants), et bien plus faible chez les retraités, dont la moitié s’est déplacée dans leur bureau de vote. L’abstention est quasiment aussi élevée chez les diplômés que chez les non-diplômés, mais on vote deux fois moins parmi les populations pauvres que parmi les catégories aisées [2]. La crainte de la pandémie semble avoir très peu pesé dans l’abstention. Qu’il s’agisse d’un « désintérêt », d’une « grève civique » consciente ou d’une « forme de schisme » d’une majorité des citoyens, l’abstention touche inégalement les électorats.
C’est l’électorat de droite qui s’est le moins démobilisé, et dans une moindre mesure les électeurs LREM. Ceux-ci ont cependant préférer se tourner vers leurs anciennes sympathies politiques (LR d’abord, PS ensuite) que de voter pour une liste du parti présidentiel. Le mouvement macroniste demeure quasi inexistant au sein des collectivités locales et régionales. Il subit même un cinglant revers dans les Hauts-de-France, où la présence de plusieurs ministres – Gérald Darmanin, Éric Dupond-Moretti, Laurent Pietraszewski… – n’a même pas permis à leur liste de franchir la barre des 10 %. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que ce soient les majorités sortantes des assemblées régionales, LR comme PS, qui arrivent en général en tête : les 30 % de votants, plutôt âgés et de catégorie aisée ont préféré reconduire leurs schémas traditionnels.
Le RN en baisse, un reflux provisoire ?
S’il réalise des pourcentages encore élevés, le RN n’a pas profité de l’extrême droitisation du débat dans certaines sphères médiatique. De quoi rappeler que ce qui se passe sur les plateaux des chaînes d’infos et leurs commentaires sur les réseaux sociaux n’a, pour l’instant, qu’un impact limité sur la vie réelle. Même en PACA, unique région où l’extrême droite arrive en tête (36,4 %) et serait en mesure de l’emporter, l’ex-FN perd quasiment la moitié de ses électeurs de 2015 (420 600 voix pour Thierry Mariani contre 719 700 pour Marion Maréchal-Le Pen six ans plus tôt). Dans les Hauts-de-France, Sébastien Chenu (24,3 %) attire à peine un tiers des électeurs qui avaient placé Marine Le Pen en tête, à plus de 40 % en 2015. La vague brune tant annoncée ne s’est – heureusement – pas produite. Pour l’instant.
Avec un tel niveau d’abstention, il est difficile de tirer des leçons de ces élections « intermédiaires » et de l’évolution des rapports de force politiques. Certains enseignements sont cependant inquiétants, en particulier pour la gauche censée incarner davantage de justice sociale et environnementale. Son éventuel renouveau reste très balbutiant. Dans les Hauts-de-France, la dynamique d’union (hors Lutte ouvrière) emmenée par la députée européenne écologiste Karima Delli n’a pas réussi à remobiliser l’électorat écologiste et progressiste. Avec 19 % des suffrages exprimés, sa liste arrive en troisième position derrière Xavier Bertrand (41 %) et le RN. Une large part (40 %) de l’électorat de gauche de 2015 – à l’époque dispersé entre socialistes, communistes et écologistes, et déjà refroidi par le quinquennat de François Hollande – ne s’est pas rendu aux urnes. L’union, la perspective de reprendre la région à la droite et la crainte d’une nouvelle poussée de l’extrême droite n’ont pas été des leviers suffisants pour enrayer la spirale de l’abstention et de la défiance.
Des résultats contrastés pour la gauche
Le scénario est identique en Île-de-France, où, cette fois, les trois principales forces de gauche (EELV, PS, LFI) se présentaient en ordre dispersée. Aucune des trois listes n’a réussi à remobiliser l’électorat qui avait placé la gauche à la tête de la région pendant dix-sept ans (de 1998 à 2015). La liste EELV de Julien Bayou (13 %) arrivant légèrement devant celle d’Audrey Pulvar (PS, 11 %) et de Clémentine Autain (LFI, 10 %), le candidat écologiste devrait emmener une gauche rassemblée au second tour pour espérer battre la présidente sortante Valérie Pécresse (36 %), avec un RN affaibli mais encore qualifié. La liste d’union devra surtout séduire un électorat de gauche particulièrement démobilisé : un demi-million des votants de gauche de 2015 manquent à l’appel. Un immense défi. En PACA, les partis traditionnels de gauche sont quasiment en voie d’extinction : depuis la victoire de 2010, elle perd la moitié de ses voix à chaque scrutin régional. Avec moins de 17 % des suffrages exprimés et 195 000 votants, la liste d’union EELV, PS et PCF séduit moitié moins d’électeurs qu’en 2015 quand socialistes, écologistes et Front de gauche réalisaient déjà une contre-performance.
Le PS, et ses alliés, devraient conserver les régions qu’ils présidaient – Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Centre-Val de Loire et Bourgogne-Franche-Comté. Cette relative « résistance » des exécutifs sortants, malgré le niveau d’abstention, ne doit pas masquer l’échec de plusieurs figures socialistes censées incarner un renouvellement de gauche. Dans le Grand Est, l’ancienne ministre de la Culture Aurélie Filippetti (8,6 %) arrive derrière EELV (14,6 %). Idem en Auvergne-Rhône-Alpes, où l’ancienne ministre de l’Éducation, Najat Vallaud-Belkacem (11,4 %), ne réalise pas la percée espérée et devra se ranger derrière la candidate écologiste Fabienne Grebert (14,5%). Mais malgré les alliances, la conquête de ces deux régions se révèlera quasi impossible en l’absence de mobilisation de l’électorat de gauche et écologiste au second tour.
La région des Pays de la Loire pourrait cependant basculer à gauche. Matthieu Orphelin, déjà soutenu par les écologistes et les insoumis, mènera une liste d’union face à Christelle Morançais (LR) concurrencée par le maintien du RN (12,5 %) et de l’ancien ministre macroniste François de Rugy (12 %). En Bretagne, la majorité socialiste sortante (21 %), très critiquée pour son soutien inconditionnel à l’agro-industrie, est mise à mal par la liste EELV (15 %) qui bénéficie d’une petite réserve de voix. Cela pourrait donner lieu à une quinquangulaire inédite, avec le maintien de LR (16,3 %), de la liste LREM de Thierry Burlot (le « monsieur agriculture » de Macron, à 15,5 %), et du RN (14,3 %).
Une question centrale demeure, posée par une large partie des abstentionnistes dans toutes les régions : pourquoi aller voter ? Pour quels réels changements susceptibles d’améliorer la vie quotidienne, et à quel rythme ? Comment sera comblé le fossé entre les citoyens et les personnes censées les représenter ? La possibilité d’exercer son droit de vote est l’un des leviers essentiels de la vie démocratique, aux côtés de la liberté d’expression, de manifestation ou de faire grève – ces deux derniers étant déjà méprisés par le gouvernement. Qu’arrivera-t-il si même le vote n’est plus considéré comme un moyen de pouvoir agir sur la société et son avenir ?
Ivan du Roy
Photo : CC Havang(nl)
Notes
[1] Hauts-de-France, Grand Est, Normandie, Centre-Val de Loire, Bourgogne-Franche-Comté, Pays de la Loire et Auvergne-Rhône-Alpes.
[2] Voir les éléments apportés par l’enquête « jour de vote » réalisée par l’Ifop pour TF1 et LCI, auprès de 2642 interviewés.
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