Un comité de déshonneur

Quand la LICRA recrute Édouard Philppe et Manuel Valls

par Jérôme Martin
18 avril 2021

À l’heure où cette association s’enorgueillit de deux nouvelles nominations dans son « comité d’honneur », en la personne d’Édouard Philippe et de Manuel Valls, il est utile de le rappeler : la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’antisémitisme) n’est pas une petite officine réactionnaire née de la dernière pluie, mais une grande et ancienne association, dont les origines sont bien plus « honorables », pour reprendre ce mot, que ce qu’elle est devenue aujourd’hui, si l’on en juge à sa sidérante complaisance à l’égard d’un ministre de l’Intérieur issu de l’extrême droite monarchiste et homophobe, alimentant l’islamophobie et reprenant à son compte, dans un livre, des stéréotypes antisémites d’un autre siècle [1].

Si l’on se réfère à l’histoire de l’association, telle que la résume bien la notice Wikipedia de la LICRA, nous avons assurément affaire à quelque chose de bien plus « honorable », quelque chose d’admirable même, qui a plus à voir avec le combat contre l’antisémitisme, et le soutien aux antiracistes, fussent-ils radicaux, qu’avec le souci de respectabilité et de notabilité qui semble de mise aujourd’hui, et de copinage avec les puissants – et pas les plus antiracistes d’entre eux :

« Le 25 mai 1926, le militant révolutionnaire (bolchévique, puis anarchiste) Samuel Schwartzbard abat de sang-froid à Paris le leader nationaliste ukrainien Symon Petlioura, qu’il juge responsable des pogroms organisés en Ukraine à l’époque où il y était actif. Bernard Lecache (1895-1968), issu d’une famille juive d’Ukraine, exclu du Parti communiste en 1923 (il rejoindra par la suite la SFIO), suit le procès en tant que journaliste au Quotidien. Voulant apporter son aide à Samuel Schwartzbard, il se lance dans une campagne médiatique et fonde un groupement, la Ligue contre les pogroms. »

« Après l’acquittement de l’accusé, le groupement, organisé en association, devient en février 1928 la Ligue internationale contre l’antisémitisme (LICA). Des personnalités influentes et d’origines politiques diverses y adhérent : Victor Basch, Séverine, Pierre Bonardi, Paul Langevin, Maxime Gorki, Léon Blum, Lazare Rachline, la comtesse de Noailles, Georges Zérapha, Georges Pioch, Edmond Fleg, André Spire, Albert Einstein. Une de ses premières tâches est de cartographier les pogroms en Europe. En 1932, le nom devient Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme mais le sigle LICA est conservé. Le sigle LICRA n’est adopté qu’en 1979. »

Nous sommes loin, aujourd’hui, de ces glorieuses origines puisque, ce vendredi 16 avril, la LICRA a annoncé avoir élu à son comité d’honneur Manuel Valls et Édouard Philippe.

Manuel Valls

Le 8 juin 2009, Direct 8 diffuse une vidéo où Manuel Valls, candidat à la primaire socialiste se promène dans les allées d’une brocante à Evry, soupire et demande à l’homme qui les accompagne :

« Belle image de la ville d’Evry…Tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques blancos. »

Le 24 septembre 2013, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, déclare à propos des rroms :

« Ces populations ont des modes de vie extrêmement différents des nôtres et qui sont évidemment en confrontation ».

Il insiste :

« C’est illusoire de penser qu’on règlera le problème des populations roms à travers uniquement l’insertion. » Selon lui, il n’y a « pas d’autre solution que de démanteler ces campements progressivement et de reconduire (ces populations) à la frontière ». Il rajoute : « les Roms ont vocation à revenir en Roumanie ou en Bulgarie, et pour cela il faut que l’Union européenne, avec les autorités bulgares et roumaines, puissent faire en sorte que ces populations soient d’abord insérées dans leur pays. »

L’ensemble de ce discours est introduit alors par Manuel Valls par cette formule :

« Il faut dire la vérité aux Français. »

Une circulaire du 26 août 2012, soit un an auparavant, entendait pourtant réguler le démantèlement de camps en rappelant la nécessité d’un diagnostic social préalable. En 2016, un rapport du Défenseur des droits dénoncera son manque d’application par le ministère de l’Intérieur. Dans ce même rapport, le Défenseur des droits dénonce les refus d’inscription par les maires, officiers d’État, des enfants rroms et le fait que les préfectures, représentant de l’État et de chacun des ministères, n’impose pas l’inscription.

Le 27 avril 2014, Manuel Valls annonce depuis le Vatican que le Parti socialiste au pouvoir n’honorera pas la promesse électorale d’ouvrir la Procréation Médicalement Assistée, notamment aux lesbiennes. C’est la première fois depuis la fin du dix-neuvième siècle qu’une mesure de politique intérieure satisfaisant les demandes catholiques est ainsi annoncée depuis le siège du pape. Quelques semaines plus tard, le gouvernement Valls fait retirer un outil pédagogique de lutte contre le sexisme et les LGBTQIphobies, sous pression religieuse, là encore du Vatican. C’est la première fois depuis 1887 qu’un outil scolaire est retiré pour satisfaire un lobby religieux. A ces deux occasions, la laïcité a été gravement atteinte, aux détriments des droits et de la sécurité des femmes et des personnes LGBTQI.

Le 28 décembre 2015, le Premier ministre Manuel Valls monte au créneau pour défendre le projet de déchéance de nationalité, une revendication de l’extrême-droite. Pendant des mois, le chef du gouvernement va porter cette réponse politique aux attentats. Amener les démocraties à sacrifier leurs principes et démanteler l’état de droit est un des objectifs poursuivis par les terroristes. En ce sens, Manuel Valls leur a donné ce qu’ils veulent. Outre ce projet applaudi par l’extrême-droite, et finalement abandonné par les socialistes, son gouvernement a voté un projet de loi Renseignement liberticide et inefficace, a poussé les forces de l’ordre à persécuter tout musulman par des perquisitions illégales et des rétentions abusives. Le Premier ministre a lui-même érigé l’obscurantisme autoritariste en boussole de l’action contre les terroristes en repoussant les travaux de recherche sur les radicalisations.

Le 26 août 2016, Manuel Valls soutient, comme il l’a fait durant tout l’été, la traque de femmes musulmanes sur les plages, lancée par des maires de droite extrême à travers des arrêtés municipaux que le Conseil d’État vient d’annuler. Au prétexte de lutter contre les « burkinis », c’étaient bien toutes les femmes portant le voile qui étaient inquiétées. Manuel Valls regrette la décision du Conseil d’État, qui fait valoir les libertés fondamentales et invoque le droit des femmes, qu’il avait oublié deux ans plus tôt au Vatican, pour continuer à harceler des femmes pourtant respectueuse de la laïcité. Il le fait dans des termes excluant les musulmans de la communauté nationale . Ainsi, la phrase : « Les Français, tous les Français, et les musulmans eux-mêmes, attendent un regard lucide, des réponses claires » marque-t-elle bien l’exclusion des musulmans, hors de l’ensemble de « tous les Français ».

Les mandats de Manuel Valls ont été marqués par une augmentation des enfants enfermés en centres de rétention administrative (CRA). En totale contradiction avec les engagements de campagne de François Hollande, les conventions internationales et les droits humains fondamentaux, Manuel Valls a fait passer le nombre d’enfants enfermés de 2674 en 2012 à 3607 en 2013. En 2016, soit sa dernière année de mandat complète, ce nombre était de 4500, soit 10 % des personnes enfermées en CRA.

À propos de ce parcours, et pour justifier l’élection de Manuel Valls à son comité « d’honneur », la Licra écrit :

« Son engagement contre le racisme et l’antisémitisme, notamment lors des attentats de 2015, son courage à défendre la laïcité et la fraternité sont autant de pierres apportées à notre édifice commun. »

Édouard Philippe

Le 17 mai 2017, Édouard Philippe nomme à son gouvernement plusieurs figures des droites extrêmes, des député·es ayant soutenu la mesure du FN de déchéance de nationalité ou encore des homophobes ayant manifesté avec La Manif pour Tous, contre l’égalité des droits. Parmi ces figures, Gérald Darmanin était déjà connu pour avoir été un compagnon de route de l’organisation royaliste à l’antisémitisme meurtrier Action Française, et pour être un séparatiste homophobe refusant de marier des couples d’homosexuels malgré la loi. Fort de cette chance qu’Édouard Philippe lui a donnée, Gérald Darmanin est aujourd’hui ministre de l’Intérieur, en charge de la lutte contre le séparatisme, et écrit un livre dans lequel il justifie sa politique actuelle contre les musulmans en s’appuyant sur la politique de Napoléon contre les Juifs. Il le fait en tenant lui-même des propos antisémites, que la Licra a défendus dans un communiqué déformant les propos d’un historien spécialiste de la politique bonapartiste à l’égard des Juifs.

Dès les premiers mois du mandat d’Édouard Philippe, son gouvernement aggrave les conditions de vie des migrants dans la région de Calais : privation de distribution de nourriture, de points d’eau, démantèlement des campements sans solution d’hébergement pérenne, etc.

Edouard Philippe continue la politique d’enfermement d’enfants accélérée par son prédécesseur. Son gouvernement s’oppose le 21 avril 2018 à un amendement interdisant cet enfermement. La loi Asile et immigration qui devait être ainsi amendée sanctionne la restriction des droits des demandeur·ses d’asile et des migrant·es, dénoncée par l’ensemble des associations travaillant réellement en faveur de droits humains universels.

En janvier 2018, le gouvernement d’Édouard Philippe projette des hommages officiels du gouvernement à Charles Maurras ou Pierre Loti, deux figures du racisme, notamment de l’antisémitisme et de l’arménophobie. Le projet n’est abandonné que sous l’indignation générale.

Le 31 décembre 2019, le gouvernement d’Édouard Philippe publie un arrêté retardant l’accès à l’Aide Médicale État pour certaines personnes sans papier. Ce dispositif est une sous-couverture médicale pour les personnes exclues de la CMU. Elle autorise moins de soins. Il s’agit d’une négation du droit à la santé qu’aggrave Édouard Philippe.

On sait par ailleurs que cette discrimination coûte à la France : exclues des soins précoces, les personnes doivent attendre une évolution grave de leur maladie pour être prises en charge, ce qui revient toujours plus cher. Edouard Philippe ne peut l’ignorer : les économistes en santé l’ont montré depuis des décennies. Il est donc prêt à faire payer plus pour que des étrangers ne puissent exercer un droit effectif à la santé. Malgré la pandémie, son gouvernement a refusé de retirer cet arrêté. Comme il a refusé de vider les centres de rétention administrative, malgré les recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté ou de la CNCDH en ce sens.

À propos de ce parcours, la Licra écrit pour justifier l’élection d’Édouard Philippe à son comité « d’honneur » qu’il « succède notamment à Jacques Chirac, dont il partage le combat contre les extrémismes. C’est grâce à lui et que nous organisons chaque année nos universités d’été au Havre. Son engagement dans le Prix #IlanHalimi a été exemplaire. »

Notes

[1] Du moins aurait-on aimé l’espérer…

https://lmsi.net/Un-comite-de-deshonneur

2 commentaires sur Un comité de déshonneur

  1. N’importe quoi. Ce site dérape totalement. Napoléon n’a jamais mené une politique anti-Juifs. Il est au contraire reconnu comme le seul dirigeant de son époque ayant donné aux Juifs les mêmes droits qu’aux Chrétiens : c’est l’un des seuls points positifs de son règne . Durant le dix-neuvième de nombreux Juifs européens vouaient une admiration à Bonaparte pour cette raison.

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