Journaliste et auteur du livre Flics, un journaliste a infiltré la police, Valentin Gendrot a travaillé six mois dans le commissariat du 19eme arrondissement de Paris. Avec nous il revient sur la vision que les policiers ont d’eux-mêmes et de leur fonction. « Bras armé de l’Etat luttant contre la délinquance » ? « Fonctionnaires en charge d’une mission de service public » ? Ou encore « justiciers contraints de se substituer à l’action des juges », considérés comme trop laxistes ? Interview.
Pas une fois dans votre livre vous ne parlez de la fierté d’avoir aidé des gens en tant que policier. Pourquoi ?
Je n’ai pas le souvenir d’être rentré chez moi le soir avec ce sentiment. Quand vous êtes policier, vous passez par tout un tas d’émotions différentes dans votre journée. Ponctuellement ça peut arriver de se sentir utile. Quand on se rend sur des incendies par exemple. Par contre quand j’étais en patrouille le matin sur la place Stalingrad (19eme arrondissement de Paris), que je faisais du contrôle d’identité sur des toxicomanes, que dix minutes plus tard on m’appelait pour aller « évincer des indésirables », ce qui veut dire dégager des sans-abris d’ un hall d’immeuble, la notion d’intérêt général ne transparaissait pas. Mes collègues « disaient plutôt que nous gérions les problèmes ».
Le sentiment de ne pas œuvrer pour l’intérêt général était un sentiment personnel ou était-il partagé par vos collègues ?
De manière générale le mot d’intérêt général était absent de la bouche de mes anciens collègues, ces mots ne sont jamais utilisés. On rend pourtant certaines missions que j’estime relever du service public : quand on prend un dépôt de plainte pour des violences conjugales par exemple. Je pense que le problème c’est que de l’extérieur, parmi la population, une partie des gens pensent que la police est là pour assurer une mission de service publique alors que les policiers eux-mêmes ne le conçoivent pas comme ça. Je n’ai même jamais entendu « on est les représentants de l’état ». Il y a marqué « protéger et servir » sur notre écusson… dans les faits c’est bien plus souvent réprimer et sévir.
Aux yeux des agents que vous avez rencontrés, c’est quoi être un bon policier ?
Je raconte que dans mon commissariat il y a deux clans. J’appelle l’un des deux le clan « des chasseurs » parce que lorsqu’ils partent en interventions – « en chasse » – leur projet est de faire un maximum d’interpellations. Ils sont dans une logique de performance, ils cherchent ce qu’ils appellent « une belle affaire », un flagrant délit, un vol à l’arraché par exemple. Pour eux c’est ça être un bon policier. A l’inverse, les flics qui ne font pas ou peu d’interpellations sont vus comme des mauvais flics, « des tanches ». Le plus souvent ce sont les femmes. Elles sont vues comme des poids lors des interventions puisqu’elles courent généralement moins vite, restent plus en retrait lors des confrontations. Sauf si on a affaire à une femme encore plus virile que ses collègues masculins. Ce qu’on pourrait attendre des policiers : avoir de l’empathie, un sens du relationnel, c’est considéré comme un travail « d’assistante sociale » et c’est un terme employé très péjorativement. Les policiers voient leur fonction comme répressive avant tout.
L’idée qu’ils se font de leur fonction a-t-elle une conséquence sur leur manière d’effectuer leur travail ?
Oui bien-sûr. Interpeller c’est donner le sentiment d’avoir fait ce pour quoi on est payé : « arrêter des délinquants ». Il y a aussi une recherche d’adrénaline et une envie d’en découdre qu’on ne peut pas nier. Je me suis retrouvé à intervenir sur un cambriolage de station service, je conduisais à 80 km/h dans les rues de Paris et quand il a fallu sortir pour interpeler, j’avais eu ma dose, je ne voulais même plus sortir de la voiture. Chez certains collègues c’était différent, j’en ai vu sauter de la voiture encore en marche pour aller interpeler. Ces comportements sont exacerbés par la compétition, très présente, qui existait entre les différents agents de mon commissariat. Beaucoup voulaient partir en intervention avec « Stan », qui était en quelque sorte le chef des « chasseurs », parce qu’ils savent qu’il interpelle souvent, que ça va les valoriser.
Ce qui peut conduire à des dérives… ?
Le problème c’est qu’un certain nombre de policiers que j’ai côtoyés confondaient leur rôle de policier avec celui de justicier. Ce qui les emmenait parfois à vouloir faire justice eux-mêmes. J’ai ainsi assisté à l’interpellation d’un homme pour un vol de pile et de colle. Les policiers avec qui je me trouvais pensaient qu’il n’irait pas en prison pour ça, parce qu’ils considèrent que la justice est trop laxiste. L’homme a été mis dans la voiture et frappé, puis balancé à des kilomètres du lieu d’interpellation. Le but pour les collègues, c’est de le dissuader de voler à nouveau, au moins dans le 19e arrondissement.
Autre exemple : un policier, que j’ai renommé Diego, regardait des vidéos des manifestations de Hong-Kong. Quand il voyait la police charger très violemment les manifestants il commentait : « ça c’est de la vrai police, ils peuvent intervenir, ne se laissent pas faire. » Pour lui, ça tranche avec la police française qu’il juge trop bridée. Beaucoup de collègues vénèrent les policiers américains, ils me disaient : « aux Etats Unis, c’est vraiment des bonhommes », ils veulent plus d’autonomie, plus de pouvoir.
Avec un tel idéal policier, comment considèrent-ils les autres taches qui leur sont confiées et qui ne conduisent pas à des interpellations pures et dures ?
Quand vous allez dans l’appartement de quelqu’un qui vient de mourir en attendant l’arrivé des pompes funèbres, il y a parfois des animaux de compagnie dont il faut s’occuper, qu’il faut recaser. Ce sont des policiers qui font cela mais c’est considéré comme de la très très basse police, réservée aux « tanches ». Les cas de violences conjugales, c’est pareil. Quand on est dans une optique de « chasse », ça n’intéresse pas grand monde.
Crédit photo : éditions goutte-d’or
Commentaires récents