Pas de grande marche pour le climat à l’occasion des deux journées mondiales les 25 et 26 septembre, mais des actions dispersées sur l’ensemble du territoire. À l’occasion de sa présence à Montpellier pour une action s’opposant au bétonnage d’une zone agricole nous avons interviewé Aurélie Trouvé. La porte-parole d’Attac animait un débat organisé par le collectif local « Plus jamais ça », un regroupement d’une vingtaine d’associations et syndicats autour de 34 propositions de sortie de crise.
Quels sont les enjeux de ces deux journées mondiales pour la justice climatique et la justice sociale ?
Il y a des marches et une grève pour le climat le 25 septembre, mais cela va être compliqué parce que nous sommes en période de Covid. En France, la mobilisation est surtout marquée par les un an de Lubrizol, avec une marche à Rouen qui va être importante. Nous avons appelé avec la coalition « Plus jamais ça » à des actions un peu partout en France, contre les pollutions, pour que le jour d’après évite de recommencer avec le modèle de production d’avant. Et ce, sur le plan social comme sur le plan écologique.
Ce que nous souhaiterions c’est surtout que ce soit une impulsion pour les mobilisations à venir. En l’occurrence le 3 octobre, il y a une marche contre l’aérien en direction des aéroports. Nous avons des dates assez disparates : le 17 octobre avec la marche des solidarités qui converge vers Paris en même temps qu’une marche « Notre assiette pour demain » sur la relocalisation agricole. Nous espérons avoir deux grosses dates en novembre. La manifestation contre les violences sexuelles et sexistes et le Black Friday. Nous avons en point de mire deux grosses journées d’actions les 28 et 29 novembre. Notamment contre Amazon qui symbolise le monde d’avant, mais qui a profité de la crise. C’est le superprofiteur du Black Friday. À la place, nous voulons une relocalisation solidaire et écologique qui soit basée sur d’autres modes de consommation, parce qu’en réalité ces produits à prix bradés veulent dire : travail précaire ainsi que dumping social et fiscal.
Par ailleurs, avec le collectif « Plus jamais ça », nous voulons utiliser toute l’année le plan de sortie de crise que nous avons écrit à une vingtaine d’organisations syndicales et associatives. Il s’agit de le mettre en discussion, de faire des débats localement qui pourrait déboucher sur des assises nationales avec des rapporteurs et des cahiers revendicatifs locaux. L’objectif est de sortir un projet de reconversion pour le jour d’après que nous essayerions d’imposer dans l’opinion publique et auprès des forces politiques.
Tu évoques différentes dates, pas toutes liées aux questions écologiques, ni même liées entre elles. Est-ce que pour toi toutes ces mobilisations n’en sont qu’une ?
La situation est difficile aujourd’hui dans les mouvements sociaux. D’abord parce qu’il y a les contraintes sanitaires et le Covid, mais aussi parce qu’on s’est fait couper les ailes en plein vol au mois de mars, alors que nous étions mobilisés sur les retraites, qu’il y avait un important mouvement pour la recherche publique et des marches climats prévues. Sans compter les violences policières qui continuent de peser sur les mobilisations. Nous avons du mal à motiver les militants lors de cette rentrée et en même temps cela ne peut pas durer. La colère est tellement grande qu’à un moment cela va exploser. La question est comment utilise-t-on cette colère pour qu’elle soit productive, pour que cela pèse dans le rapport de force et que l’on ait un véritable poids contre le gouvernement, le capitalisme libéral et productiviste. Nous redémarrons tout doucement. Nous avons des dates assez éparpillées, et pour les 25 et 26 septembre, essentiellement des actions locales sans marche nationale.
Depuis la démission de Nicolas Hulot du gouvernement il y a deux ans, il y a eu l’émergence des marches climat, la progression de l’idée qu’une justice climatique est indissociable de la justice sociale et l’arrivée de nouveaux acteurs dans ces mobilisations, notamment des syndicats. Comment mets-tu en perspective ces deux années ?
Aujourd’hui, il y a vraiment une convergence qui se retrouve d’ailleurs dans « Plus jamais ça ». Réussir à mettre autour de la table et dans la construction de mobilisations communes la CGT, Greenpeace, la Confédération paysanne, Solidaires et les autres est complètement inédit. La dynamique est vraiment là, avec des collectifs locaux dans vingt ou trente villes. Le pari est d’arrêter d’opposer et de segmenter les luttes écologiques d’un côté et les luttes sociales de l’autre. Cela va être essentiel dans la période à venir parce qu’évidemment le gouvernement va jouer là-dessus. Quand il y a des suppressions de postes dans l’automobile, le risque est que les syndicats soient dans la protection de l’emploi sans voir la question de la reconversion productive. Et que les écologistes tapent sur l’activité automobile sans penser le maintien des revenus et des emplois. C’est cet enjeu-là que nous essayons d’aborder dans « Plus jamais ça ».
Au mois de novembre, nous allons sortir un gros rapport que nous voulons rendre public et soumettre au débat. Il portera sur la possibilité de créer plusieurs millions d’emplois par la transition écologique et les services publics. Nous allons le chiffrer. Ce sera l’occasion d’expliquer que la transition écologique : c’est de la création et de la garantie de l’emploi.
Les mobilisations sont plus massives sur le climat depuis deux ans. Mais quels sont les freins pour que les gens soient encore plus nombreux et pour peser davantage dans les rapports de force ?
Il faut relier ces questions sociales et écologiques. La transition écologique peut tout à fait être une transition écologique de droite. Au contraire, nous devons inclure dans la question écologique, celle du partage des richesses, du maintien de l’emploi, des conditions de travail, la question d’un emploi de qualité et celle de la solidarité internationale. C’est une écologie qui pense le dépassement du capitalisme. C’est l’idée que l’on fait face à un même système capitaliste dans ses versions néolibérales et productivistes. La base de « Plus jamais ça », c’est que nous nous battions ensemble pour changer ce système-là.
Justement, pour un autre système, quel est votre socle commun ?
Il y a les 34 mesures. Nous allons assez loin sur l’écologie, et sur des choses concrètes. Il faut par exemple que toutes les entreprises à qui l’on verse des subventions publiques respectent les accords de Paris. Nous sommes également pour l’interdiction de distribuer des dividendes pour toute entreprise qui ne respecte pas l’accord, ou encore pour empêcher toute nouvelle construction d’infrastructure autoroutière, de centre commercial ou d’infrastructure nucléaire. Les mesures sont chiffrées et c’est très concret. Nous ne disons pas juste que nous sommes pour la hausse des salaires. Nous sommes pour un SMIC à au moins 1700 euros net, pour une hausse des salaires de 200 euros pour tout le monde. Nous mettons en avant la semaine de travail à 32 heures.
Présenter cela à des associations écologistes comme Greenpeace, et à l’inverse faire en sorte que la CGT prône l’arrêt de tout projet d’infrastructure autoroutière ou commerciale, c’est une convergence et une vraie avancée vers une logique antisystémique. Le ferment de tout cela, c’est la question du financement. À partir du moment où l’on s’intéresse à la socialisation du système bancaire, on s’intéresse au fonctionnement de la Banque centrale européenne, à l’annulation de la dette publique, etc. On montre que pour réaliser cette reconversion productive et répondre aux urgences sociales et écologiques, il faut être radical dans le sens où il est nécessaire de s’en prendre aux racines du système.
Comment imaginez-vous la mise en œuvre de ces mesures, alors que la plupart des forces politiques sont très éloignées des idées de rupture qu’elles contiennent ? Le mouvement social devra-t-il s’en occuper lui-même ?
Nous sommes indépendants, mais hautement concernés par rapport au champ politique. En l’occurrence, après la publication de notre plan de sortie de crise, nous avons invité à une réunion l’ensemble des partis de gauche et écologistes pour qu’ils réagissent publiquement. Et aujourd’hui, nous lançons ces processus de débats locaux sur un an. Évidemment, nous rentrons dans le débat politique, mais nous resterons indépendants dans le sens où nos structures n’ont pas vocation à participer aux recompositions politiques électorales. Par contre, nous avons vocation à peser sur les programmes et dans le champ des idées.
Mais face aux errements politiques de la gauche au pouvoir (1981, 1998, 2012) et aux tentatives de chaque parti de verdir leurs programmes, comment pouvez-vous procéder ?
Je ne pense pas qu’il y ait de gauche au pouvoir sans société à gauche et sans mouvements sociaux. C’est pour cela que nous tenons à l’indépendance de nos structures syndicales et associatives. On le voit avec l’exemple de Tsipras (en Grèce – NDLR). Quand il arrive au pouvoir, il a siphonné toute la gauche sociale. Une fois quelle arrive au pouvoir, il n’y a plus de contre-pouvoir. Nous disons très clairement que nous sommes indépendants vis-à-vis du champ électoral, mais nous faisons de la politique. Nous considérons que sans mouvements sociaux profonds et importants il ne se passera rien. Ce qui est de notre ressort, c’est de faire en sorte que des mouvements sociaux puissants puissent transformer le champ politique au sens large du terme. Cela ne se fera pas que dans les bisbilles électorales.
Pour conclure, et toujours sur la question de comment réaliser ces changements en prenant l’exemple du secteur aérien. Une reconversion écologique à venir pourrait-elle se faire sans que les salariés soient eux-mêmes à la manœuvre ?
On nous interpelle régulièrement parce que nous ne prônons pas directement l’autogestion généralisée. C’est vrai, le plan de sortie de crise reste très partiel. Il y a énormément de manques, notamment sur la façon de développer le vrai secteur coopératif, sur la façon dont les salariés peuvent reprendre la main sur les entreprises, sur les conseils d’administration. C’est toute une réflexion que nous ne menons pas suffisamment. Mais évidemment, cela fait partie de notre ADN à tous. C’est-à-dire de penser l’entreprise comme pouvant être transformée parce que les salariés reprennent la main d’une manière ou d’une autre sur l’outil de production.
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