Parti
combattre Daech pendant quinze mois aux côtés des kurdes de Syrie,
André Hébert témoigne de son engagement et de celui de ces centaines de
volontaires internationaux, motivés « autant pour soutenir un modèle
alternatif que pour défendre les droits d’un peuple persécuté ».
« L’internationalisme c’est avant tout la capacité de partager la lutte
des exclus à travers le monde, de se révolter contre l’injustice qui les
frappe comme si elle nous frappait nous mêmes, d’avoir conscience qu’en
dépit des barrières séparant les hommes, nous partageons tous une même
condition et un même combat contre l’aliénation. L’engagement
révolutionnaire internationaliste repose sur l’étude des failles du
système global et des dynamiques qui émergent pour le renverser. Il
s’agit avant tout d’une démarche rationnelle et pas d’un élan émotionnel
et romantique. » C’est pour lui, parisien de vingt-sept ans, « la seule
méthode de lutte qui nous permettra de remporter demain une victoire
contre le capitalisme mondialisé et le néo-fascisme renaissant », qui
doit « de nouveau passer de l’état de slogan à celui de pratique, cesser
de n’être qu’une théorie poussiéreuse appartenant à des organisations
politiques marginalisées ».
Sans aucune
ambiguïté, il déclare s’exprimer « en tant qu’activiste révolutionnaire,
internationaliste, marxiste, soutenant la cause kurde », attaché à son
esprit critique. Il prévient aussi que si Daech doit être détruit, sa
barbarie ne doit pas faire oublier les crimes de Bachar-al-Assad et de
l’armée turque contre les civils.
Il raconte l’origine de son
engagement, son goût pour l’histoire qui l’a poussé à s’intéresser au
marxisme, son éducation catholique qui l’a rendu attentif au sort des
opprimés. S’il cherche à militer dès 14 ans, la participation à des
manifestations et la distribution de tracts lui parurent vaines. Sa
prise de conscience de la réelle nature de la lutte des kurdes est
ralentie par la vision simpliste et superficielle transmise par les
médias. Après « avoir achevé l’analyse théorique des événements en
Syrie », il lui parut incontestable que son devoir était de s’y rendre,
pour ne pas être en contradiction avec les propos qu’il tenait depuis
des années. « Aller au Rojava pour y devenir un combattant
révolutionnaire est un acte de révolte. C’est un bras d’honneur au
renoncement, à l’individualisme, au plan de vie et de carrière donné
clefs en main à la naissance par la société. Cela revient à dynamiter
les rails de la passivité sur lesquels on vous a placé. C’est aussi une
façon de vous réinventer et de vous libérer. »
Son récit des
trois semaines d’instruction militaire, comme ceux de différents combats
ensuite, nous permet de rencontrer d’autres volontaires dont la plupart
ne sont pas engagés politiquement mais venus uniquement combattre
Daech, ainsi que des membres des YPG. Il découvre et explique la
« culture du martyr », omniprésente, qui lui parut malsaine au premier
abord, avant qu’il comprenne la fonction de ces hommages. Les enfants
« enrôlés » sont des orphelins à qui est fourni un cadre éducatif. Ils
contribuent à la vie quotidienne mais en aucun cas ne combattent,
contrairement aux allégations d’Amnesty International.
Chaque unité
combattante pratique le Tekmil, assemblée lors de laquelle chacun
s’exprime sur le fonctionnement du groupe, dose conséquente de
démocratie directe au sein des forces armées qui ne nuit pas au respect
de la chaîne de commandement. Les djihadistes ont un bien meilleur
équipement : grande quantité de matériel américain flambant neuf,
abandonné par l’armée irakienne en déroute, aide matérielle de la
Turquie et de certains pays du Golfe.
Les principes du confédéralisme
démocratique sont présentés, comme rupture avec le concept
d’État-nation, comme solution aux problèmes politiques du Moyen-Orient
mais aussi réponse à la crise de la social-démocratie occidentale et de
la modernité capitaliste dans son ensemble. Pour construire ce modèle
basé sur le pouvoir de communes populaires, où chacun à un égal droit de
vote et de parole, les kurdes réclame un droit à l’autonomie plutôt que
l’indépendance de leur territoire. Ces transformations sont appliquées
sans délai et sans recours à la contrainte dans les territoires libérés
de Daech. Dès 2013, les deux-tiers de l’économie du Rojava étaient
collectivisés et les moyens de production contrôlés par les communes ou
des conseils de travailleurs.
Les Forces Démocratiques Syriennes
(FDS) ne sont pas une simple façade, politicienne et artificielle,
destinée à masquer les activités du YPG considéré comme un groupe
terroriste par l’État turc, mais un collectif qui symbolise l’union
entre toutes les composantes ethniques du Rojava : Kurdes, Syriaques et
Turkmènes. Elles ne mènent pas une guerre d’extermination mais de
libération pratiquant la stratégie de l’encerclement avec porte de
sortie.
André Hébert, confrontant ses idéaux au réel, ne cachent pas
non plus ses critiques et rapportent son impression constante d’être
portée par une dynamique inintelligible, l’incompétence militaire du
sommet de la hiérarchie choisie pour ses qualités de militants
politiques, les difficultés de communication, le culte de la
personnalité autour d’Abdullah Öcalan même s’il comprend qu’il s’agit
« d’un schéma classique de déplacement de la religiosité chez un peuple
traditionnellement croyant ».
« Daech n’est pas un État, c’est une
bande mafieuse qui s’organise pour contrôler et racketter un territoire.
Daech n’incarne aucune révolte. La base sociale sur laquelle il
s’appuyait s’est depuis longtemps détournée de ces illuminés qui n’ont
rien d’autre à offrir que la mort. Daech n’est pas une révolution, c’est
le nihilisme à l’état pur, la destruction aveugle et la terreur sans la
vertu. »
Alors qu’il revient en France, il découvre qu’il ne peut
repartir, fiché S en raison de son « expérience opérationnelle (…)
susceptible d’être utilisée dans le cadre d’actions violentes de
l’ultragauche révolutionnaire perpétrée contre les intérêts français ».
Au terme de cinq mois de combat judiciaire, il démontre qu’il s’agit
d’une accusation d’ordre politique, relevant plus du délit d’opinion que
de la sureté de l’État, récupère son passeport et rejoint la bataille
de Raqqa.
Ce récit riche de précision,
contredit les simplifications des médias et propose une sorte
d’introspection de l’expérience de combattant, notamment avec les
craintes permanentes de tirer sur des civils, avec la nécessité
constante non seulement de rester en vie mais surtout de rester humain,
en évitant les exécutions, pour ne pas finir « comme les monstres qu’on
affronte ». « Servir un idéal les armes à la main signifie ne jamais
renoncer à la violence si elle est nécessaire, mais préserver la vie
tant que cela est possible et juste. » Le retour est forcément
difficile. « En revenant en Occident, on redevient un simple atome d’un
agrégat informe et apathique, un individu autocentré inséré dans des
« réseaux », faute d’appartenir à une véritable société. Le confort dans
lequel nous vivons est appréciable, mais c’est un confort vicié,
destiné à nous faire oublier l’absurdité de notre existence dans la
modernité capitaliste. »
Récit d’une grande honnêteté intellectuelle, digne de l’HOMMAGE À LA CATALOGNE d’Orwell, auquel on ne peut s’empêcher de penser. Il permet une parfait compréhension de ce conflit, de ses véritables enjeux, au-delà de la simple géostratégie, comme lutte pour un projet politique, à travers un regard personnel.
JUSQU’À RAQQA : AVEC LES KURDES CONTRE DAESH
André Hébert
256 pages – 21 euros
Éditions Les Belles Lettres – Collection « Mémoires de Guerre » – Paris – Mars 2019
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