Par Julien Talpin , Chargé de recherche en science politique au CNRS, co-directeur du Groupement d’intérêt scientifique «Démocratie et Participation» — 20 décembre 2018 à 15:57 Lors d’une manifestation de gilets jaunes à Paris, le 15 décembre. Photo Geoffroy van der Hasselt. AFP
La qualité démocratique des référendums dépend d’abord du processus qui les précèdent. Couplées à des assemblées citoyennes, les campagnes référendaires peuvent devenir d’intenses moments de délibération collective.
Le retour de l’enjeu référendaire dans le débat public s’est traduit par le déferlement d’arguments compassés sur l’incompétence des masses et leur ethos nécessaire réactionnaire. Instaurer un référendum d’initiative citoyenne ne pourrait déboucher que sur l’abandon de l’abrogation de la peine de mort ou de la légalisation du mariage pour tous. Il serait même potentiellement fascitoïde à l’ère des fake news et de Cambridge Analytica.
Si l’on peut rappeler que ces tendances anti-démocratiques ne sont pas l’apanage des mécanismes de démocratie directe et touchent toutes formes d’élection, il faut surtout souligner que les résultats de décennies de recherches en science politique sur la pratique référendaire dans des contextes variés (Suisse, Californie, Italie ou Allemagne) indiquent un résultat probant : l’issue des référendums n’est en rien gravée dans la procédure. Le référendum n’est en tant que tel ni intrinsèquement progressiste ni foncièrement réactionnaire. Il constitue l’enregistrement des rapports de force qui structurent la société, médiés par des corps intermédiaires et des groupes d’intérêts qui bien souvent battent campagne.
L’essentiel se joue dans la campagne
Il faut le répéter contre une doxa qui vient nourrir la haine du peuple : le référendum (d’initiative citoyenne ou non) ne se résume pas à glisser un bulletin dans l’urne. Au contraire, ce qui compte surtout c’est la campagne qui l’a précédé. Selon l’intensité de celle-ci, l’équilibre des arguments pour ou contre telle ou telle proposition relayés par les médias, une campagne référendaire peut contribuer à éclairer l’opinion publique ou à l’inverse nourrir la désinformation.
Le référendum de 2005 sur le Traité Constitutionnel Européen (TCE) est à ce titre exemplaire. S’il incarne pour beaucoup la perte de souveraineté du peuple au regard du non-respect de suffrages pourtant clairement exprimés, il fut également un intense moment démocratique. Pendant plusieurs mois, des millions de citoyens ont échangé et débattu autour de tel ou tel amendement constitutionnel, sur des blogs, des sites internet et dans des réunions publiques … Si le niveau de connaissance n’est jamais parfait, la maitrise du texte du TCE, pourtant long et complexe, ainsi que du fonctionnement des institutions européennes a fortement augmenté suite aux quelques mois de campagne référendaire.
S’il n’en va pas toujours ainsi, cet exemple indique que les campagnes électorales peuvent être d’intenses moments de délibération collective. Plutôt que chercher à instaurer des garde-fou peu démocratiques encadrant l’usage des RIC via des seuils impossibles à atteindre, c’est surtout l’organisation de la délibération collective qui le précède qui importe. A ce titre, nombre d’expérimentations démocratiques peuvent être envisagées. En Irlande, le mariage homosexuel et l’avortement ont récemment été légalisés par référendums. Ce que l’on sait moins c’est que ces votes avaient été précédés d’assemblées citoyennes tirées au sort, visant à définir de façon relativement impartiale la formulation de la question et les modalités de déroulement du scrutin. Plus largement, on pourrait envisager de faire précéder les référendums de grands débats publics, jours fériés où les citoyens seraient amenés à participer à des discussions portant sur les questions à trancher. Des formes de participation en ligne sont également à imaginer tout comme une régulation du mode de financement des groupes qui porteront telle ou telle initiative. En Oregon, une commission citoyenne tirée au sort est chargée de rédiger un document d’information relativement équilibré, transmis aux électeurs avant référendum. Il a d’ores et déjà été prouvé que ce «guide électoral» augmentait le niveau de connaissance des votants.
Des voies nouvelles à inventer
La désinformation des citoyens n’est en ce sens pas une fatalité et ne peut constituer qu’un argument anti-démocratique : des voies nouvelles sont à inventer tant pour permettre le déploiement de l’intelligence collective que l’expression de l’aspiration démocratique des classes populaires dont le mouvement des Gilets Jaunes a attesté avec force. Plutôt que de chercher une nouvelle fois à museler le peuple, c’est plutôt de permettre son expression pleine et entière via des procédures démocratiques innovantes auquel il faut s’atteler. Au-delà d’un seul RIC fétichisé c’est l’articulation de mécanismes de démocratie directe à des espaces de délibération collective qui devrait être à l’agenda d’une éventuelle réforme constitutionnelle. Dans tous les cas, ces nouvelles opportunités de participation ne démocratiseront le système politique qu’à condition qu’elles soient arrimées à des formes d’auto-organisation permettant de les faire vivre et de ne pas laisser la place aux intérêts les mieux organisés, qui savent en général se faire entendre. Julien Talpin Chargé de recherche en science politique au CNRS, co-directeur du Groupement d’intérêt scientifique «Démocratie et Participation»
https://www.liberation.fr/debats/2018/12/20/un-ric-sous-conditions_1698963
Le RIC, fétichisé ou non, et la campagne qui l’aura précédé, ne seront des moyens pour éclairer l’opinion publique et moins encore pour démocratiser le système politique qu’à condition d’en finir avec le système capitaliste privé ou d’État ; car, dans ce système, ce sont les intérêts les mieux organisés les uniques qui peuvent se faire entendre.