Publié le 14 décembre 2018
Ce mardi 11 décembre, le Forum International de Robotique Agricole à Toulouse-Labège a été interrompu pendant une heure par une trentaine d’opposants. Nous avons occupé la scène du grand amphithéâtre du centre des congrès Diagora, en déployant plusieurs banderoles : « Des paysans, des animaux, pas des robots » ; « Des chantiers collectifs, pas des robots sélectifs » ; « Débranchez-les tous ». Un tract a été distribué aux centaines de personnes qui assistaient aux conférences depuis le matin. Quelques participants à cette perturbation étaient vêtus d’un gilet jaune.
Nous sommes intervenus pendant le discours d’un haut cadre du fabricant de tracteurs John Deer. Nous avons lu des passages du tract, puis des agriculteurs de notre groupe ont pris la parole pour expliquer plus personnellement pourquoi le développement de la robotique leur est hostile. Nous avons été pris vivement à partie par des gens dans la salle, à l’image de ces Américains furieux d’avoir pris l’avion pour se retrouver face à nous. Nous avons été insultés par des élèves des écoles d’ingénieurs toulousaines, qui ne savent visiblement pas bien ce qu’ont été le fascisme et le nazisme.
Les salariés et dirigeants du fabricant de robots Naïo Technologies, organisateurs du forum, nous ont fait un accueil moins agressif. L’une nous a certifié que si nous avions prévenu par avance de notre envie de prendre la parole, on nous aurait ouvert la porte et réservé une place dans le programme. L’autre (un des fondateurs de l’entreprise) nous a carrément dit qu’il était d’accord avec tout ce que nous disions, que c’était précisément pour toutes ces raisons qu’il travaillait à concevoir des robots agricoles. Nous lui avons demandé de le répéter au micro et de proposer un débat avec la salle sur les problèmes que nous soulevions, mais… il n’a pas voulu.
Les roboticiens de Naïo ne voient pas la différence entre une bêche et un robot : « mais regarde, une bêche, c’est aussi une technologie ». Ils considèrent que nous sommes libres d’adopter les robots ou pas : « mais les gens qui n’en veulent pas comme vous, qu’ils restent à l’écart, ce n’est pas un problème » ; cela nous a donné l’occasion de revenir sur les lourdes sanctions infligées aux éleveurs qui refusent le puçage électronique leurs bêtes, imposé par la loi. Enfin, ils nient farouchement leur appartenance à la classe des puissants – ceux qui ont les moyens de configurer, normer et abîmer la vie des autres : « mais non, on n’a pas de moyens particuliers, on n’est pas soutenus par les institutions, c’est juste qu’on bosse énormément ; arrêtez de croire qu’il y a une ligne qui sépare les gens, on fait tous des efforts pour que la vie soit meilleure ».
Les startuppers, qui invitent la présidente de la FNSEA et une cadre dirigeante de Microsoft à leur raout, se présentent comme des petits au service des petits. Ils prétendent que leurs machines permettront à de modestes maraîchers bio de consolider leur position économique, sans voir toutes les tâches et les emplois qu’elles suppriment immanquablement. Nous maintenons que la « révolution robotique » favorisera l’agriculture la plus capitaliste, l’accroissement de la taille des exploitations, l’intégration de l’activité agricole à l’industrie et sa soumission aux géants du numérique. Celles et ceux qui disent mettre au point des robots au nom de la fumeuse « transition écologique » sont simplement des complices de ce processus de concentration économique, d’élimination des paysans, de domination de classe.
Nous avons quitté le Forum aux cris de « Microsoft, au compost ! », « Aah… anti, anti-start up nation ! », « Tout le monde déteste… les robots ». Nous invitons toutes celles et ceux que ces problèmes intéressent à entreprendre d’autres perturbations ailleurs, lors des prochains salons de promotion de la robotique agricole à travers la France.
11 décembre 2018
Des paysans, des paysannes et leurs complices, réfractaires à la robotisation
Nous qui nous opposons depuis des années au puçage électronique des animaux et nous inquiétons de l’addiction croissante des humains aux écrans, nous venons ici interrompre vos (d)ébats avec les machines et soulever bruyamment le scandale de votre activité : pour la culture des sols comme pour celle(s) des sociétés, Mesdames & Messieurs les ingénieurs, les startuppers, et autres expertes en accompagnement du développement – vous êtes des nuisibles.
Quel sera le résultat de vos innovations (robots désherbeurs, fermes connectées, tracteurs automatisés) ? En apparence et dans l’immédiat, des gains de puissance et de précision pour ceux qui les utiliseront. Mais le résultat le plus massif et durable sera la dépendance encore accrue des agriculteurs à l’égard des grandes industries. Depuis plusieurs dizaines d’années déjà, ils sont dépendants d’un complexe bancaire et industriel écrasant : Crédit agricole, géants de la chimie, des semences et de l’agroalimentaire… Les exploitantes qui auront la brillante idée d’acquérir/d’accepter vos joujoux électroniques seront en prime tenues par les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple et Microsoft) et les multiples acteurs capitalistes qui gravitent dans leur orbite. Plus que jamais, ils n’auront la maîtrise de rien sur leur ferme ; elles comprendront de moins en moins le fonctionnement de leurs outils de travail ; elles se couperont de la réalité sensible et vivante des champs, des plantes et des animaux.
Vos machines vont encore aggraver la situation économique des agriculteurs, leur endettement, la concurrence féroce qu’ils se livrent, les faillites, les suicides… Ce ne sont pas vos robots qui vont subitement rendre l’élevage ou le maraîchage rentables – au contraire, ils feront probablement encore baisser les prix des produits à la vente. Ces activités sont déjà tellement industrialisées, et pourtant elles sont sous perfusion permanente d’argent public. Plutôt que des satellites, des capteurs et des robots, elles nécessitent une main d’œuvre nombreuse pour partager le travail, des rapports coopératifs, une déspécialisation. Mais comme d’habitude, dans la civilisation du Progrès, on propose des machines pour résoudre un problème de nature sociale : trop peu de gens veulent et peuvent cultiver la terre, s’occuper de produire leur nourriture.
En plus de ça, nous sommes certains que les machines en question, loin de donner naissance à des pratiques agricoles moins polluantes (y croyez-vous vous-mêmes ?), vont aggraver à l’échelle mondiale le saccage des milieux naturels. La fabrication de toute la quincaillerie informatique apporte aujourd’hui une contribution majeure à la catastrophe écologique en cours. Ordinateurs, tablettes, smartphones, puces, drones, etc. reposent notamment sur une activité minière terriblement gourmande en eau, et terriblement polluante en produits toxiques nécessaires à l’extraction des « métaux rares ». Baotou, la ville voisine des mines de Mongolie-intérieure qui fournissent les industries du monde entier en « terres rares » depuis trente ans, est surnommée en Chine « la ville du cancer ». La mine de Mountain Pass en Californie, qui a longtemps fourni la Silicon Valley, a fermé en 2002 suite à une série de scandales écologiques et sanitaires. Les mines de Bolivie et du Pérou assèchent des lacs et privent les populations locales d’eau potable.
La quantité d’énergie nécessaire pour extraire, broyer, traiter et raffiner les métaux rares représenterait 8 à 10 % de l’énergie totale consommée dans le monde ! Sans parler des conditions de travail dans ces mines et dans les usines d’électronique, en Chine et ailleurs ; sans parler des montagnes de déchets intraitables de ce secteur prétendu « immatériel », au Ghana par exemple… Avec des capitalistes verts comme vous, prêts à multiplier les robots pour déverser à peine moins de pesticides, on n’a pas fini de se demander si le diesel du populo est assez écolo.
L’élite du pouvoir politique essuie ces jours-ci une violente tempête. Le reste de la technocratie est malheureusement plutôt à l’abri de la colère populaire, pour l’instant. Nous partageons la mise en cause des élites qui ressort du mouvement des Gilets jaunes, et nous pensons qu’un des éléments qui rendent ces élites si puissantes à notre époque, ce sont précisément les outils qui se conçoivent, se fabriquent et se promeuvent dans une technopole comme Toulouse – dans les endroits comme ici. C’est la sacro-sainte innovation technologique qui creuse le fossé entre classes sociales, qui assure la concentration des richesses, la prolétarisation d’un nombre croissants de gens. Tant que notre rage ne se dirigera pas aussi contre les innovateurs, contre les start ups de robotique (agricole et autre), contre les laboratoires de recherche en intelligence artificielle, le pouvoir réel sera épargné – il lui suffira de changer de marionnette, après Macron un(e) autre. Tant que nous ne rejetterons pas la vie de synthèse qui nous est proposée par la classe d’ingénieurs au pouvoir (informatisation du travail et des services publics, compteurs Linky, « applis » pour prendre en charge chaque parcelle de nos existences), les contraintes économiques continueront de peser sur nous de manière implacable.
Nous appelons les acteurs du milieu agricole et paysan à se positionner par rapport à la vague d’innovations présentées dans les salons comme celui-ci : est-ce d’une agriculture « augmentée »/connectée dont il y a besoin pour le présent et le futur ? Nous appelons à la solidarité avec les refuseurs du puçage électronique, aujourd’hui menacés de procès pour leur désobéissance.
Nous appelons les Toulousains et les Toulousaines à ouvrir les yeux sur ce qui est produit dans leur métropole et qui en fait la prospérité ; à mettre en cause le prestige et le pouvoir social des ingénieurs, chercheurs, designers, et autres « premiers de cordée » qui travaillent pour ce complexe militaro-industriel occitan. Avions, robots, nanotechnologies, chimie lourde pour les pesticides et les armes : quelles industries ne faudrait-il pas fermer, ici comme ailleurs ?
A toutes celles et ceux qui se révoltent ces jours-ci, nous proposons de ne pas se focaliser sur la personne du monarque parisien, avec sa morgue plus ou moins calculée, mais de (se) poser les questions suivantes : voulons-nous habiter une start up nation ? Voulons-nous encore de cette vie vouée à l’économie, aux gains de productivité, au management par ordinateur et réseaux sociaux ? Voulons-nous d’un monde peuplé de robots, qui nous rendraient massivement inutiles et nous feraient
perdre encore du pouvoir sur nos existences ? Pour nous, c’est non.Quelques « chimpanzés du futur » occitans
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