4NR sinon rien* : Blocages en cours chez les gazier-ères

 

Deux gazier-ères nous racontent le blocage de leur entreprise GRDF à Cleunay… Avec une apparition bonus d’Édouard aux mains d’argent 😉

  • Levée de l’occupation

    Suite à la venue d’un huissier ce lundi 18 juin, avec une ordonnance d’expulsion, les grévistes qui occupaient le site GRDF de Cleunay depuis 2 semaines ont contraint·es de lever ce blocage cet après-midi. Une négociation locale a eu lieu ce matin.

  • Vidéo-Interview des gaziers rennais en lutte

  • Blocages de sites GRDF et Enedis en Bretagne

    Depuis mardi dernier (12 juin), le site de Fougères, celui d’Enedis de Saint-Brieuc et encore le site GRDF de Brest ont bloqué en illimité. Saint-Malo devrait aussi suivre prochainement.


Depuis quand vous avez commencé la grève et comment vous vous êtes organisés pour lancer le mouvement d’occupation ?

On a commencé il y a 15 jours à peu près avec 1h de grève par jour. En fonction des compétences de chacun·e, chef·fe de travaux ou opérateur-ice, on s’arrangeait pour qu’un·e opérateur-ice ou un·e chef·fe de travaux soit en grève pour que les chantiers soient bousculés ou pas finis en entier. Ça a bien perturbé pendant 1 semaine.

Quand on a commencé à faire ça, on savait d’avance que c’était pour préparer un blocage. On était au courant du mouvement qui prenait de l’ampleur à Marseille. On a aussi eu une situation délicate lorsqu’on a demandé à faire une réunion du personnel et qu’ils ont refusé moins de 48h ouvrées avant la date de réunion, donc hors délai légal. On est loin du respect et de la confiance qu’on demande. Clairement, c’est eux-mêmes qui ont mis le feu, sinon on ne serait peut-être pas parti sur un mode de blocage total. Peu de temps avant, ils avaient refusé 4 agents.

En amont, on s’était mis d’accord pour tenir le blocage jours et nuits. Le mardi matin, on s’est donné rendez-vous à 6h pour avoir le temps de faire ce qu’on avait à faire, de pas croiser le vigile et avoir un temps d’avance avec la direction pour qu’ils aient la surprise. A ce moment là, toute la partie « exécution » du service était en grève. Ce mouvement vient bien des exécutant·es terrain, et pas des bureaux. On a donc mis les camions devant l’agence, dégonflé la plupart des véhicules, mis des palettes pour bloquer l’entrée. Puis on a tout de suite mis de la rubalise pour que ça soit très visuel. D’ailleurs la direction a pas apprécié, elle est arrivée très vite avec des ciseaux pour tout couper. Au moins ça les fait sortir un peu de leurs bureaux. Et puis rapidement on a sorti les tables et on s’est installé sur le parking […]

Là avec le soutien extérieur, on peut se permettre de faire un peu plus de la grève perlée pour pouvoir tenir plus dans le temps. L’objectif c’est de ne pas lâcher le blocage tant qu’on obtient pas ce qu’on veut. On arrête pas tant qu’on a pas des réponses qui nous conviennent. Mais on sait d’avance qu’ils vont essayer d’aller à la baisse comme toutes les directions.


C’est quoi les revendications que vous leur soumettez ?

Déjà, il y a une demande au niveau national d’une augmentation de notre rémunération de 4NR [1], ce qui correspond à 150€ net, environ 10% de notre salaire. Sachant que les 1ères payes des embauché·es sont de 1200€. On est loin de ce qu’il se passe dans le privé, car, même si on a quelques avantages, elleux vont avoir des payes nettes tout de suite plus conséquentes par rapport à la qualification qu’on a.

Ce métier qu’on fait sur le gaz demande des compétences particulières ainsi qu’une responsabilité, le gaz c’est sensible comme fluide. On a notamment des astreintes à tenir (ndr : être d’astreinte signifie de rester disponible pour intervenir sur des urgences gaz). […] Au niveau local, on se bat sur les reconnaissances de compétences […]

Aussi, la direction a refusé d’embaucher 2 alternants, dont 1 sous prétexte qu’il avait un comportement qui laissait à négliger. Pourtant, c’est nous les éxécutant·es qui bossons avec lui et qui le formons. Les gens qui ont pris cette décision n’ont jamais été sur le terrain avec lui. Il faut savoir que ces 2 alternants avaient des tuteurs dans les bureaux qui perçoivent des primes tous les mois mais qui n’ont jamais été avec eux sur le terrain. […]

Aujourd’hui, les alternant·es sont des personnes en reconversion, donc la boîte touche de l’argent pour pouvoir les prendre. Maintenant ils prennent plus de jeunes, ils ne s’emmerdent plus à prendre des jeunes entre 16 et 18 ans parce que c’est beaucoup plus de boulot. Avec un jeune y’a pas que le métier à apprendre, y’a aussi sont attitude, le monde du travail, etc. Là, ils prennent des gens qui ont entre 30 et 35 ans. Mais en contrepartie ce sont des gens qui quittent tout pour se reconvertir, qui ont souvent des familles, des emprunts, etc. Ils font déjà un sacrifice d’être payés pendant 2 ans quasiment en dessous le SMIC quand même. […] Derrière, ces techniciens gaz préparent une formation qui est spécialisée pour notre entreprise et qui n’ouvre pas d’accès à l’électricité ni à aucun autre métier. Donc, soit ils sont embauchés chez nous, soit ils le sont chez des prestataires qui font le même métier qu’ici. Ça reste hyper limité. Si on les embauche pas c’est pôle emploi garanti.

La direction, on le sait, ils posent souvent la question « Êtes-vous mobile ? » aux apprentis. Certains disent oui, là y’en a une qui avait dit non dès le départ. Ils connaissaient sa situation personnelle. Soit ils la prenaient pas en formation et elle aurait fait autre chose, mais pas lui dire oui pour devenir apprenti puis au final lui proposer un poste à Nantes, comme ils viennent de faire, en sachant très bien qu’elle ne pourrait pas y aller.

Pour le 2ème, ils ont fait pire. Ils ont des entretiens tous les 3 mois pour voir comment ça se passe. Pendant 2 ans tout s’était bien passé jusque là. Au dernier entretien, le responsable l’a mis « inembauchable ». En mettant ça, ça sert à rien qu’il postule à d’autres entreprises, il ne sera jamais pris. Pourtant, à notre connaissance, tous les gars avec qui il a bossé n’ont jamais fait remonter de problèmes. Derrière, nous, on sait que la boîte veut aller vers une 30aine de suppression de poste sur la région Bretagne sur les emplois de terrain, pas dans les bureaux. Donc la raison elle vient surtout de là. […]


Vous en êtes où sur la lutte ?

Alors, on avait aussi mis dans la balance un autre bureau qui ne se fait pas payer ses horaires supplémentaires, ils interdisaient de les compter. Même en étant issu du service public, on a encore des endroits où ce genre de choses arrivent. […] Lors du début des négociations on leur a donc rappelé ça, ce qui est maintenant résolu et acté, et ils vont leur payer leurs heures sup’.

L’apprentie qui était embauchée pour Nantes devrait finalement l’être sur Rennes ou sur l’agence de Noyal sur Vilaine, juste à côté. Y’a rien de fait concrètement pour l’instant, on verra bien. Pour le 2ème, vu qu’il est mobile, il devrait pouvoir postuler ailleurs, ça a l’air pas mal engagé. Mais tant que nous on a pas de promesse d’embauche, on considère qu’il n’y a rien.

Pour les augmentations de salaire c’est pour l’instant non, c’est bloqué au niveau du national. Sur les reconnaissances de compétences ils veulent faire du cas par cas et expliquer pourquoi ils ne veulent pas les reconnaître. […] On a fait un tableau qui dit en fonction des activités tu dois être classé comme ça. Mais quand on leur a présenté le tableau ils nous on dit « c’est surtout le comportement et le savoir-être qui doivent être considérés ». Ce qui veut dire :
- Est-ce que je souris le matin en allant au travail ?
- Est-ce que je rechigne à la tâche ou pas ?
- Est-ce que je me permets de remettre en doute le bien fondé de certaines décisions de l’entreprise ?

Pour eux, pour reconnaître un agent, ce qui est important c’est la vitrine.
[…]
Aujourd’hui il y a de plus en plus de décisions folles de prises puisque y’a plus de formations et le but est de plus en plus de faire de l’argent, du quantitatif. On arrive sur un modèle privé où faut aller le plus vite possible. Pour rappel, ça fait depuis 2009 qu’on est privatisé. […]

Après, ils nous disent qu’être augmentés d’une centaine d’euros ça va mettre en péril l’entreprise. Il faut savoir qu’il y a entre 500 et 1000 agents grévistes de GDRF dans toute la France, environ 10%. Nous augmenter de ça, c’est rien comparé aux 1,8 milliards qu’ils viennent de reverser à Engie. Et puis les 10 plus grosses rémunérations du comité de direction de GRDF se sont octroyées un doublement de salaire sur une période de 3 ans, un bon paquet de 180 000€ d’augmentation. Pareil en région, ils se sont largement gavés sur les primes. D’ailleurs ils aiment pas quand on le diffuse, en disant que les chiffres sont faux, pourtant c’est eux qu’il nous les donnent… Bref, l’argent y’en a. Sachant qu’en plus, sur le résultat de l’entreprise, c’est 95% du résultat net en 2016 qui était remonté en dividende à Engie, qui est notre maison mère. Cet argent là c’est l’argent du contribuable, puisque toute l’entreprise ne vit que sur le financement de l’ATRD (Accès des Tiers aux Réseaux de Transport de gaz, ndlr), la partie qu’on paye sur les factures de gaz qui revient au distributeur GRDF : pour entretenir les réseaux, assurer l’astreinte, les dépannages, les rétablissements, tout ça. On ne vit que sur cet argent-là, donc on est sûr que l’argent va rentrer. Et on est la filiale la plus rentable d’Engie. L’argent il coule bien à flot, y’a pas de soucis avec ça. Mais, nous, notre salaire il ne suit pas du tout.


Comment la hiérarchie a réagi par rapport au blocage ? Comment vous voyez le truc et la constitution du rapport de force ?

Bon ben clairement, on est à deux fois, on a essayé de bloquer une première fois le site, alors on a effectivement bloqué une première fois le site au mois de novembre. Ça n’a pas plu, forcément, parce que pour tout patron, ça ne plaît pas quand on bloque son agence : faut que les gars ils aillent travailler ! Ça se comprend. Sauf que, bon, on n’a pas été trop méchant et on nous a dit « si vous débloquez, on discute » ! Ok, ça paraît raisonnable, allons-y, discutons. Les discussions, ça a duré, elles ont été très très évasives, ça a été survolé vraiment énormément et sans écrit. Ça c’était en novembre. Enfin y’a eu un peu d’écrit sur « on s’engage à faire des groupes de travail » mais c’était pas engagé sur des revendications. Forcément, après, derrière, on était un peu déçu. Au mois de mars, on a eu un petit soucis sur une intervention donc on a recommencé : on leur a dit « attention, là vous nous mettez en danger en plus donc ça le fait pas. – Oui bon ben, arrêtons ce mouvement, et discutons ! «  On l’a refait, bêtement. Donc, ce coup ci, c’était clair et net, hors de question qu’on débloque. Le premier jour, ils nous ont fait ça, ils nous ont dit « oui, débloquez, on parlera ». Ils ont bien vu que le dialogue était coupé, mais c’est bien à cause d’eux. […]

Là on est arrivé à un point de non-retour. Mais ça nous fait chier, on a autre chose à faire, on est tou·tes bloqué·es, on fait pas notre job, et c’est d’autres qui vont le faire, des prestataires ou des collègues qui n’ont pas forcément le choix. Nous on a envie de bosser, mais de bosser dans de bonnes conditions. Parce que faut pas croire, on a des beaux véhicules mais à côté le matériel il est zéro. On va bricoler ici et là, de toute façon on a toujours fait comme ça. Mais quand on a des visites de sécurité de personnes de Paris, là d’un coup tout est brillant, il faut tout nettoyer… Mais là la direction elle a bien compris qu’elle pouvait plus se cacher de ce genre de choses.

Bon là ça concerne Rennes, mais c’est quelque chose qui est parti de Marseille et qui s’est étendu sur d’autres villes dans le PACA : Aubagne, Aix en Provence, etc. Ensuite nous on a suivi à Rennes et Saint Herblain, les 2 plus grosses agences de la région sont bloquées. Sachant qu’il y a certaines compétences qui n’existent que sur certains sites. Il y a aussi des plus petits sites qui rejoignent les actions de blocages, comme Saint-Nazaire, Héric, Pornic et Rezé.

Là maintenant il y a quasiment toutes les régions de France qui ont décidé de bloquer, dans le Nord, en Ille de France. En tout, une 60aine de sites sont bloqués cette semaine entre GRDF, Enedis, et ceux qui sont encore les 2 sur le même site. Certains sites font à la journée, pas forcément jour et nuit comme ici à Rennes. Souvent ils tournent sur plusieurs sites, quand ils débloquent c’est pour bloquer sur un site pas loin.


Est-ce que vous avez des liens avec les électricien·nes d’en face ?

On en a eu avec les électricien·nes de Fougères et de Vitré qui ont bloqué leur site hier matin et sont venu·es ici en soutien le midi et pour participer à l’assemblée générale de l’après-midi. Ils ont leur propre revendication : le site de Combourg est menacé de fermeture.

En face à Rennes c’est plus compliqué, c’est un site avec beaucoup de jeunes, peu sont sensibles à ce qui se passe ici. Après il y a peu de temps on a réussi à faire un blocage de leur site en journée, et nous, l’ensemble des gazier-ères étions venu·es pour les aider, avec quelques autres breton·nes. L’inverse n’est pas forcément vrai. Ça peut arriver qu’ils passent nous voir, mais c’est tout, ça prend pas plus que ça.

Après à Marseille, ils ont bloqué plus d’une semaine avant que leur site Enedis s’engage. Il y a eu d’autres sites Enedis à bloquer en Bretagne : Brest, Lorient, Vannes et Pontivy.


On a déjà bien fait le tour, mais peut-être y’a d’autres choses à rajouter ?

Là tou·tes on est un peu étonné·es de voir des gens qu’on ne connaît pas qui viennent nous aider, comme vous [avec de la nourriture et du matériel de cuisine]. Nous on a jamais vécu ça et c’est vraiment appréciable techniquement, ça nous aide vraiment financièrement. Même si le syndicat nous aide beaucoup, mais ça pourra encore plus servir pour celleux qui ont des difficultés de pouvoir maintenir un minimum de salaire. Et puis moralement ça fait du bien dans la lutte, on se sent un peu aidé et soutenu. On s’y attendait pas sur des revendications d’augmentation de salaire. Après, on est toujours très attaché au service public même si là il est pas exactement écrit, on se bat toute l’année pour ça et ça prend peu d’ampleur et personne n’en parle, alors qu’on fait des grosses actions.

[Un cravateux s’approche du petit campement]

— Là on a l’autre neuneu qui vient nous regarder, je pensais qu’il avait arrêté de nous chercher mais visiblement non.
— C’est qui ?
— C’est le directeur de région, c’est lui qui coupe tout aux ciseaux.
— L’attaqueur aux ciseaux c’est lui ?
— Ouais c’est lui Édouard aux mains d’argent. Voilà il est reparti… Là il est en train de se dire qu’on va pas repartir ce week-end. On l’a invité à boire un café hier ou à venir prendre une crêpe. Après il faut qu’il reste dans son rôle, il fait partie des gens très peu humains et très superficiels. C’est différent de l’époque EDF-GDF, bon y’avait pas que des gens bien, mais il y avait un esprit. Alors que ces gens comme Edouard-aux-mains-d’argent n’ont absolument pas l’esprit de la boîte, ils sont pas du tout service public, eux c’est : rentabilité, nouvelles technologies, ils parlent en anglais tout le temps avec des termes que personne comprend, ils font des réunions à 2 balles… Moi qui ai fait du privé, là on est dans un management qui est pire. Ça fait un peu comme France Télécom, on est issu du public avec tout ce que ça comportait, puis ils ont voulu faire du privé, de faire de l’argent sans savoir le faire. C’est assez brutal comment ils font. C’est très infantilisant.

On est des éxécutant·es : éxécute, ne réfléchis pas, et surtout pose pas de questions.

P.-S.

En document joint, l’intégralité de l’interview

Notes

[1*NR : Niveau de Rémunération. Une augmentation de 4NR correspond à une augmentation de salaire d’environ 150€ net. C’est notamment un de leur slogan « 4NR sinon rien »  : comme un clin d’oeil au mouvement contre la loi travail…

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