paru dans lundimatin#132, le 5 février 2018
L’information a été discrètement révélée dans l’édition de février du Mensuel de Rennes, « Manger est-il endoctriner ? » titre le journal local. On y apprend que dans le cadre d’une semaine de sensibilisation à l’économie sociale et solidaire, deux enseignantes ont organisé une visite à la Maison de la Grève de Rennes ce qui a mis les services de renseignement en émoi et abouti à la convocation des professeurs par le rectorat. Pour en savoir plus au sujet de cette fameuse Maison de la Grève, vous pouvez relire l’interview que nous avions menée il y a bientôt 3 ans.
Les faits
Le 28 novembre 2017, deux enseignantes du lycée Jean-Macé, ainsi que deux accompagnateurs, emmènent une soixantaine d’élèves déjeuner à la cantine de la Maison de la Grève, dans le cadre d’une semaine de sensibilisation sur question de l’économie sociale et solidaire. Ce qu’ils ignoraient certainement, c’est que le lieu fait l’objet d’une surveillance constante des services de renseignement. En effet, les différentes tendances de la contestation rennaise s’y rencontrent régulièrement, et le lieu serait même en lien avec la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Evidemment, la visite de cette soixantaine d’adolescents n’échappe pas aux fins limiers du renseignement territorial qui rédigent immédiatement un rapport sur cette sortie scolaire subversive qu’ils font remonter à la préfecture et au rectorat. [1] Dans leur rapport les agents précisent que les enseignantes sont « inconnues des services de police », mais alertent sur le possible « endoctrinement » auquel pourrait aboutir une telle sortie. A leurs yeux, il pourrait s’agir de « former des bataillons de zadistes ».
Les suites
La préfecture s’inquiète ; demande des explications au rectorat, qui soumet les deux enseignantes à une inspection surprise puis à un entretien individuel. Les mesures du rectorat scandalisent le corps enseignant qui se met partiellement en grève : la sortie avait en effet suivie les procédures habituelles et été validée par les autorités compétentes. La pression exercée sur les deux enseignantes apparaît donc à leurs collègues comme parfaitement injustifiée, et tous y voient un emballement très politique. Le 15 décembre, le rectorat convoque les enseignantes, les accompagnateurs et le proviseur du lycée pour essayer d’apaiser la situation. Il semblerait que finalement, le seul reproche institutionnel serait d’ordre hygiénique : la Maison de la Grève ne serait pas aux normes pour faire office de cantine et les enseignantes auraient donc indûment exposé leurs élèves à un risque d’intoxication alimentaire. Chacun appréciera.
Les réactions
Un représentant syndical FO de l’établissement démonte le prétexte des normes alimentaires :
« L’intoxication, c’est tout ce qu’ils ont trouvé pour ne pas être ridicules … C’était une sortie autorisée par le proviseur qui a eu lieu lors de la semaine de l’économie sociale et solidaire. Sur ce coup-là, le proviseur a lâché ses troupes, c’est tout. »
Un syndicaliste du SNES précise le contenu de l’échange entre le recteur, les enseignantes, les accompagnateurs et le proviseur : il se trouve qu’un représentant de la préfecture était présent.
« Cette histoire est politique. Le 15 décembre, le jour où nos collègues ont été reçues par le recteur, nous avons eu droit à un discours hallucinant du numéro 3 de la préfecture. il nous a sermonnés sur notre responsabilité à former la conscience politique de nos élèves, sur la sécurité des forces de l’ordre et du pays, sur la dangerosité des zadistes … il y a une reprise en main politique de la part de la préfecture, c’est évident. »
Rapidement, certains enseignants font le lien entre la réaction démesurée de la préfecture et la lutte des élèves et personnels du lycée Jean-Macé contre l’expulsion de Giorgi, enfant d’une famille de Géorgiens sans-papiers scolarisé en seconde. Cette mobilisation, victorieuse, s’était déroulée en novembre, peu de temps avant la sortie scolaire. Est-il possible que ce ne soit pas la Maison de la Grève, mais les enseignantes du lycée Jean-Macé que les agents du renseignement aient eues dans le viseur ce 28 novembre ?
Une source policière rassure les citoyens : « Oui, certains professeurs font l’objet d’une surveillance particulière mais il ne faut pas être paranoïaque. Ce n’est pas tout le lycée. Nous n’avons rien contre cet établissement. »
Sollicitée par mail, la Maison de la Grève prend l’affaire avec philosophie :
« On n’est pas particulièrement surpris de la présence de flics du renseignement territorial devant nos locaux. Il nous est déjà arrivé par le passé de repérer leur présence »discrète », notamment il y a quelques années au moment du procès du meurtre de Bouna et Zyed à Clichy en 2005. Et effectivement cet automne la maison de la grève était un des lieux depuis lesquels se préparait sur Rennes la riposte à une possible invasion de la zad par les forces de l’ordre.
Par contre on n’arrive pas à savoir s’ils croient eux-mêmes à leur histoire de « formation de bataillons de zadistes ». Peut-être qu’ils pensent que tout le monde fonctionne comme une petite armée avec bourrage de crâne et enrôlement (on ignore la teneur de ce qui se raconte en école de police, spécialité renseignement, mais on a lu avec intérêt la recension par votre site d’un colloque sur le sujet il y a quelques semaines…). Peut-être aussi qu’ils savent très bien que c’est autre chose qui se joue dans la façon dont une expérience comme la zad peut « contaminer » tout un tas de gens – par exemple des lycéens qui viennent de se battre pendant des semaines pour obtenir la non-expulsion d’un de leur camarade de classe sans-papier et de sa famille. Peut-être qu’ils le savent très bien mais qu’il leur est plus profitable de construire des figures repoussoir aussi abstraites qu’absurdes afin de tracer une ligne bien nette entre ceux qu’ils vont cataloguer comme « anarcho-autonomes », « membres de l’ultra gauche », « violents », et les autres. C’est le même délire que la campagne de presse autour du noyau radical de zadistes ultra-violents prêts à mourir en kamikaze pour défendre la zone. On est content de voir que les enseignants et leurs syndicats ne sont pas tombés dans le panneaux. »
[1] Selon nos informations, des cellules de veilles auraient été créées récemment dans les rectorat : agents du renseignement et de la préfecture s’y rencontreraient chaque semaine afin de faire remonter toutes informations utiles à la surveillance antiterroriste.
Terreur
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