Le 21 septembre 2001, explosion à l’usine AZF de Toulouse. Jean-Pierre Levaray qui travaille à Rouen dans une installation semblable, appartenant au même groupe, Grande Paroisse, filiale de Total, entame alors ce journal de bord jusqu’à l’annonce du démantèlement du site. Il raconte les diminutions d’effectifs depuis vingt ans, les réparations entreprises au dernier moment, le recours aux sous-traitants pas qualifiés, pour fabriquer toujours plus.
Il raconte la fierté de ses collègues qui vont s’accrocher à la perspective du redémarrage, pour dire qu’ils ne sont pas responsables de ce qui s’est passé, qu’ils faisaient bien leur travail. Ils soutiennent les thèses d’une cause extérieure parce qu’ils se sont sentis trainés dans la boue, traités d’assassins. D’ailleurs la direction et le patron ne manquent pas une occasion de saluer leur courage, leur professionnalisme et leur dignité. Ils en oublient leurs revendications antérieures.
Quand la fermeture s’avérera inévitable, ils se sentiront de nouveau trahis… par les politiques, incapables de remettre en cause leur soutien à TotalFinaElf même le groupe exprime clairement les raisons économiques du « non-redémémarrage ». Il annoncera d’ailleurs dans le même temps, 7,6 milliards de bénéfices pour 2001.
Jean-Pierre Levaray cherche à comprendre cette « connivence » entre direction et ouvriers, ce basculement vers un esprit de corps qui ne fonctionne que dans un sens, car c’est toujours le patron qui en touche le bénéfice.
Total a un gros problème d’image depuis le naufrage de l’Érika. Il a dépensé sans compter après l’explosion et les salariés d’AZF, peu habitués au paternalisme, l’ont suivi dès lors qu’il n’était plus question de dysfonctionnements, de mauvaises conditions de travail ou de sous-estimation des risques, que le redémarrage restait en perspective. Total c’était eux. « Il a été difficile d’agir face à ce front commun patrons-ouvriers. Un front commun qui permettait aux ouvriers de ne pas se poser les bonnes questions. Un front commun comme en rêvent tous les patrons, comme en rêvent même tous les régimes politiques, qu’ils soient ou non totalitaires. »
Ce livre-témoignage est très intéressant pour comprendre, de l’intérieur, l’incompréhensible solidarité des ouvriers d’AZF, victimes d’une logique industrielle, avec leur employeur, le groupe pétrochimique responsable de leur situation. Un corporatisme déconcertant. Jean-Pierre Levaray ne se désolidarise pourtant pas de ses collègues, écrasés, culpabilisés. Il ne les juge pas mais leur souhaite le courage de se battre pour un monde qu’il imagine sans classes, ni État, une société sans salariat « parce que la vie est ailleurs que dans le travail ».
APRÈS LA CATASTROPHE
Jean-Pierre Levaray
98 pages – 7 euros
Éditions L’Insomniaque – Montreuil – Novembre 2002
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