DOIT-ON AIDER LES PAUVRES ?

Une décennie plus tard, la situation c’est encore aggravée!

Je sais que je prends des risques en écrivant cet article : certains vont me traiter de salaud, de privilégié, de « théoricien de salon », de « donneur de leçon »,… ils vont même me dire que « si j’étais dans cette situation je serais bien content de… », etc… Épargnez-moi donc tous ces qualificatifs et ces remarques et essayez de comprendre les données du problème.
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Le sujet est tabou, je le sais, mais justement, il faut aborder cette question… la situation ne peut plus durer !

Titre provocateur… c’est vrai ! Mais qui recoupe un problème important, pour ne pas dire fondamental aujourd’hui, celui du sens politique de l’aide associative aux victimes du système marchand.

La « campagne d’hiver » des Resto du Cœur, comme de toutes les associations « caritatives » part d’un constat alarmant : le système marchand produit de plus en plus de pauvreté, qu’il ignore de plus en plus et qu’il est de plus en plus difficile de soulager.

UNE SPIRALE SANS FIN…

Le président des Restos du Cœur, Olivier Berthe, vient d’annoncer :
En 1985-1986, les Restos du Cœur ont distribué 8,5 millions de repas.
En 1987-1988, 22 000 000
En 1991-1992, 29 000 000
En 1994-1995, 50 000 000
En 1996-1997, 61 000 000
En 2005-2006, 70 000 000
En 2006-2007, 81 700 000
En 2007-2008, 91 000 000…

Combien l’an prochain, et l’année suivante…

Les efforts des associations s’accompagnent d’un désengagement massif de l’État qui se réserve uniquement le terrain de la défense du système dans ses bastions les plus stratégiques et les plus « nobles » : voir son effort colossal dans le domaine bancaire pour enrayer la crise financière.

Or, on peut se poser la question de savoir si ce désengagement de l’État n’est pas rendu possible du fait de la prise de relais par les associations,… ce qui permet d’éviter les révoltes et d’assurer la paix sociale si propices aux affaires ?

Si la réponse à cette question est positive, alors on est obligé d’en conclure que les associations se rendent « complices » indirectes et involontaires de la situation économique et sociale qu’elles dénoncent.
Étrange et ambigu paradoxe

La solution est-elle dans la charité ou dans cette forme de charité ? Car c’est bien de cela dont il s’agit. Même sous couvert de laïcité et de soi-disant solidarité humaine ou républicaine ( ?) il s’agit de charité… on donne sans fin à celle ou celui qui n’a pas… Et qui n’a pas parce que le système est, par essence, inégalitaire.

L’acte en lui-même est moralement parfaitement respectable pourtant il ne peut, et ne doit être considéré simplement que par rapport à lui-même, et pas seulement sur le plan moral… Il est avant tout un acte social et politique et doit être considéré en tant que tel… au risque de reproduire ce que l’on a toujours reproché à l’Église, la charité au nom d’un idéal et dans le respect du système dominant.

Le Téléthon est dans la même logique perverse : désengagement massif des pouvoirs publics et appel à la charité privée avec la complicité des faux-culs médiatiques et autres sportifs en manque de notoriété.

ON NE PARTAGE RIEN… SAUF LA « BONNE CONSCIENCE »

Tout concours à maintenir une telle politique, une telle attitude, une telle action :

 l’État qui peut se décharger du social sur les bénévoles qui ne lui coûtent rien, ce qui permet d’assurer une paix sociale et de se donner bonne conscience ;

 les associations et leurs bénévoles qui se donnent bonne conscience en aidant les pauvres, les nécessiteux,… bref en « faisant le Bien » ;

 les pauvres enfin qui trouvent dans ces actions de quoi vivre, voire survivre… jusqu’à la saison prochaine.

La pauvreté est de plus devenue un enjeu politique, ou du moins politicien : pour ceux qui sont au pouvoir c’est un instrument de dissuasion pour celles et ceux qui revendiquent et pour ceux qui souhaitent accéder au pouvoir un moyen de déstabiliser ceux qui y sont…

Les politiciens, de tous bords, surfent impunément sur la pauvreté pour leur compte et celui de leur clan, espérant s’attirer les bonnes grâces (électorales) des victimes et de celles et ceux qui vivent mal leur culpabilité de « riches ».

Ainsi, par tous ses pores, le système marchand dégouline de « bonne conscience ». Il nous en sert à toute occasion, par les discours lénifiants et par les médias qui les relaient.

Cette pauvreté qui devient toujours plus envahissante ronge non seulement des pans de plus en plus important de la population, mais moralement celle et ceux qui y échappent encore. Ce sont eux que l’on sollicite sur les parkings de super marchés pour une boite de haricots ou un paquet de pâtes, alors que l’État déverse à flots des milliards dans le système bancaire et au bénéfices des entreprises (privées bien sûr !)…

La bonne conscience permet à la culpabilité de trouver son apaisement dans la paix et l’ordre du système. Cette bonne conscience que les professionnels de la politique vont essayer ensuite de transformer en voix pour leurs élections.
LA DESCENTE VERS L’INACCEPTABLE

Et si soulager la misère était, aussi, le moyen de la perpétuer ?

Imaginons un seul instant que toutes les associations d’aides, tous les bénévoles arrêtent leur action… Que peut-il se produire ? L’État qui est garant de la stabilité du système ne peut, ne pourra pas, c’est une évidence, faire face à la situation.

Politique du pire dira-t-on ! C’est vrai,… mais où est le pire aujourd’hui ?

Ne crée-t-on pas une situation de plus en plus intolérable en reculant les échéances ? En donnant l’illusion de… ? En refusant de voir la réalité et de se poser les vraies questions ?

Le système marchand ne se paie même plus les bouées qui lui permettent d’avoir la tête hors de l’eau, ce sont ses victimes qui les paient.

Est-ce à dire alors qu’il faille arrêter toute action associative d’aide aux nécessiteux ? Question on le voit délicate à laquelle on ne peut pas répondre oui,… mais à laquelle si on répond non, pose plus de questions qu’elle n’en résout.

Le scénario du pire est en train de se réaliser sous le couvert de la bonne conscience et alimenté par la culpabilité.

Une société à deux vitesses est en train de naître sous nos yeux. Longtemps annoncée, elle prend aujourd’hui ses repères, établit ses frontières, ses codes, ses pratiques…. Elle a même ses théoriciens dont certains sortis du milieu associatif se sont vendus pour un « plat de lentilles » à leurs nouveaux maîtres. (des noms ?) On peut même dire qu’elle a désormais son « éthique » : généralisation du travail gratuit pour s’occuper des pauvres, dévouement sans limite, charité civique, … soumission aux lois du marché pour les autres… Qui va les appauvrir… ainsi la boucle est bouclée.

Les politiciens de tous bords, les stratèges du changement, voire de la révolution agissent en dehors de cette problématique. Coupés de la réalité, trop occupés à élaborer des plans, dont ils seront d’ailleurs les premiers bénéficiaires (des postes d’élus grassement payés), ils dissertent à perte de vue, doctement, dans les médias, se contentant de temps en temps d’opération « coup de poing » sans lendemain…

Le terrain est seulement le champ de la charité, pas même de la lutte.

Triste réflexion dira-t-on. Ce à quoi je répondrai triste situation qui l’inspire, triste système qui l’a crée et qui est soutenu, le système, par celles et ceux-là même qui en sont les victimes…

Triste conscience politique incapable d’élaborer une stratégie susceptible de pouvoir nous faire sortir de ce cloaque.

Patrick MIGNARD
8 Décembre 2008

Voir aussi :
« LE FAUX HUMANISME DE LA MARCHANDISE »

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