Notre-Dame-des-Landes : « Vinci veut faire du service aéroportuaire un laboratoire de la loi Travail »

4 février 2017 par Commission Journal (mensuel)

Un entretien avec Thierry Gerbaud de la CGT AGO qui souligne les convergences des luttes souhaitables et nécessaires contre des logiques d’entreprises qui marient d’elles mêmes des combats telles que la défense de la ZAD et la loi travail.

La CGT AGO syndique les salarié.es des différentes entreprises intervenant sur le site de l’actuel aéroport de Nantes Atlantique. Ce syndicat a acquis une notoriété dans le département de ­Loire-Atlantique à la fois parce que les syndicats interentreprise sont plutôt rares, mais aussi parce qu’il est à la pointe du combat syndical contre le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes. Nous avons interviewé Thierry Gerbaud, un des animateurs du syndicat.
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Alternative libertaire : Peux-tu en quelques mots parler de l’organisation du travail dans un aéroport comme Nantes Atlantique ?

Thierry Gerbaud : La reprise de la concession de l’aéroport par le groupe Vinci en 2011 a changé beaucoup de choses. Aujourd’hui, il existe sur le site une vingtaine d’entreprises spécialisées avec des statuts différents pour les salarié.es. Les conventions collectives, les salaires, les horaires, tout change. Au total ces entreprises font travailler entre 800 et 1 000 salariés, avec beaucoup d’intérimaires et de CDD. Vinci le donneur d’ordre est sans lien avec les salarié.es qui exécutent le travail. C’est pour cela que notre syndicat mène une bataille pour obtenir un CHSCT de site. Ce qui nous permettrait d’être au plus près des réalités vécues par les salarié.es et d’obliger Vinci à assumer un rôle d’interlocuteur direct. Avec peu de résultats aujourd’hui, il faut bien l’admettre. La préfecture ne daigne même pas donner suite à nos courriers.

Peux-tu nous raconter comment d’un syndicat d’entreprise classique, la CGT AGO s’est muée en un syndicat de site ?

Le syndicalisme est une expérience assez récente pour moi. En 2009, j’étais intérimaire et loin de toutes ces questions syndicales. Avant que la CGT AGO ne devienne un syndicat interentreprise, il préexistait une section syndicale sur le site aéroportuaire, dépendant de l’union locale Sud-Loire. D’une part, un événement qui a interloqué les syndiqué.es et, d’autre part, la reprise en 2011 de la concession par Vinci nous ont obligés à réagir. L’événement en question était une grève sur le site. Un militant du syndicat a vu des salarié.es en grève devant les locaux de leur entreprise. Mais très peu de militants dans la CGT était au courant de leurs revendications ou de la grève. Combiné avec la reprise par Vinci, l’idée de créer un syndicat interentreprise sur le site s’est imposée.

Parle-nous du fonctionnement de ton syndicat.

3-92.jpgLe syndicat organise tous ceux qui travaillent sur la plateforme aéroportuaire. Nous avons des syndiqué.es dans la majorité des entreprises du site, dont en particulier les plus grosses boîtes. À l’intérieur de chaque entreprise les syndiqués s’organisent en section syndicale. Au niveau du syndicat la commission exécutive rassemble des militants et militantes de chaque entreprise. Cela permet d’une part à toutes et tous d’être au courant de ce qui se passe dans chaque entreprise, de mettre en commun les moyens militants et d’organiser concrètement une solidarité entre les salarié.es de toutes les entreprises. De plus pour tous et toutes les salarié.es du site, nous organisons une permanence DLAJ [1] pour pouvoir répondre à leurs interrogations. Concernant nos moyens de fonctionnement il faut noter que nous disposons d’un local depuis le 31 mars 2016, financé par l’union locale et ­l’union départementale. Enfin je tiens à signaler que nous avons de bonnes relations avec les syndicats de chez Vinci.

Quels sont les autres syndicats sur le site de Nantes Atlantique ?

Il y a bien quelques militants de FO. Mais ils sont isolés. Il y a aussi quelques CFDT et CFTC isolés.

Autour de quels thèmes s’organise votre syndicalisme au quotidien ?

Même si l’aéroport de Nantes Atlantique est florissant et si Vinci en tire de gros bénéfices, les entreprises implantées sur le site et qui font tourner le service aéroportuaire vont mal. Il y a beaucoup de turn-over et des cadences infernales.

Depuis la reprise en 2011, Vinci bloque les investissements. Mais plus que cela encore, Vinci veut faire du service aéroportuaire un laboratoire de la loi travail. Dans la perspective du déménagement à Notre-Dame-des-Landes, il dénonce les accords d’entreprises. Par exemple, aujourd’hui les avitailleurs [2] dépendent de la convention collective du pétrole. Cela ne leur convient plus. Ils veulent faire baisser les salaires et diminuer les jours de vacances. Pour cela ils veulent changer de convention collective. Autre exemple : l’entreprise HubSafe [3] , résultat d’un rachat en 2015, a dénoncé les précédents accords d’entreprise et pousse maintenant ses salariés à la rupture conventionnelle pour embaucher des jeunes moins chers. Tout est mis en œuvre pour que le déménagement permette d’appliquer l’intégralité des dispositions de la loi travail.

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L’ambiance sur le site est détestable. Nous subissons un chantage à l’emploi permanent. « Si vous n’acceptez pas les nouveaux accords, on ferme ». Depuis 2011, avec la dégradation des conditions de travail, les salariés sont en mode survie. Face à cela le syndicat résiste comme il peut. Le 23 novembre dernier, une grève d’un jour a été mené l’occasion des NAO [4] chez les avitailleurs pour peser sur les négociations de salaires et pour la sauvegarde de la convention collective. La grève a été suivie à 100 %. Des avions ont dû être annulés, d’autres retardés, avec une perte financière pour l’entreprise.

Toutefois, depuis que Valls a démissionné, Vinci a annoncé une reprise timide de quelques investissements : installer deux nouvelles cuves de 100 m3 de kérosène chacune et refaire les parkings avion. Il faut dire qu’en 2015 la vente de kérosène a augmenté en volume de 2,3 % à l’aéroport de Nantes Atlantique par rapport à 2014, ce qui est le signe d’une croissance de l’activité. Mais ceci est à comparer aux 7,2 % à l’aéroport de Rennes.

Puisque tu évoques la question de Notre-Dame-des-Landes, peux-tu nous raconter dans quelles conditions votre syndicat a été amené à se positionner clairement sur le sujet ?

Avant de me syndiquer, j’avais entendu dire que le syndicat était proaéroport. En fait le syndicat ne prenait pas position. Quand est survenu l’affaire de la chemise arrachée [5] en octobre 2015, le syndicat s’est déplacé à l’union locale CGT de Roissy. Lors du débat avec eux ils se sont étonnés de notre absence de position sur NDDL. Cela a été l’élément déclencheur et, début 2016, le syndicat a pris position contre le transfert à Notre-Dame-des-Landes. Cela a conduit à quelques divergences internes, en particulier avec des syndiqués de la DGAC [6]. Puis est survenu la loi travail. Le 31 mars nous avons pour la première fois rencontré des habitantes et habitants de la ZAD. En premier lieu, cela a donné lieu à des altercations avec certains et certaines qui reprochaient aux syndicalistes AGO d’être proaéroport.

Mais le 1er avril, à l’occasion d’une grève chez Avia Partner [7], certains d’entre eux sont venus participer au blocage devant l’aéroport. Depuis nous avons été invités sur la ZAD pour débattre de la convergence des luttes. Le 14 juin à l’occasion de la manifestation nationale contre la loi Travail, il y a eu un appel à converger devant Nantes Atlantique. Étaient présents l’ UL CGT sud-Loire, des militants et militantes de Solidaires, de la CNT, de « On bloque tout », des habitants et habitantes de la ZAD, des militantes et militants de Copain 44 et de l’Acipa [8] … et face à nous 240 CRS. Mais nous étions satisfaits, puisque ce sont les CRS qui ont eux-mêmes bloqué l’aéroport.

Depuis, le mouvement contre la loi travail s’est essoufflé. Mais nous continuons d’échanger avec la ZAD. Le 8 octobre la manifestation contre les expulsions de la ZAD et le démarrage des travaux a été l’occasion de prises de position de syndicats. Le prolongement de cette dynamique se construit au sein du collectif syndical contre l’aéroport.

Pour conclure en quelques mots ?

Aujourd’hui, le syndicat mène sur toutes les entreprises du site une enquête centrée sur l’aéroport à NDDL à partir des conséquences concrètes imposées par le projet de transfert. Nous comptons bien en tirer des enseignements pratiques pour construire notre action syndicale. La CGT AGO, c’est une bonne équipe avec une véritable camaraderie. Une équipe qui porte les revendications vers le haut et qui vise à entraîner les salarié.es vers plus d’exigences. Mais nous savons aussi que nous sommes surveillés. Il n’y a pas encore de répression suite aux blocages. Mais on fait gaffe et on sait qu’il ne faut pas leur faire le cadeau de commettre des fautes.

Propos recueillis par Jacques Dubart et Lulu (AL Nantes)

[1] DLAJ : nom des permanences Droit, Liberté et Action Juridique dites « permanences juridiques ».

[2] Les avitailleurs sont les travailleurs chargés de l’approvisionnement des avions en carburant.

[3] HubSafe est l’entreprise qui gère la sûreté de l’aéroport.

[4] NAO : négociations annuelles obligatoires en particulier sur les salaires, le temps de travail, l’égalité hommes-femmes …

[5] Le 5 octobre 2015 deux cadres de la compagnie Air France ont dû fuir face à la colère de centaines de manifestants et manifestantes protestant contre un plan massif de suppression d’emplois et ont eu leurs chemises arrachées.

[6] DGAC : Direction générale de l’aviation civile.

[7] Avia Partner : entreprise qui gère le service d’assistance au sol : bagages, enregistrements, le passage, le trafic…

[8] Copain, associations professionnelles agricoles, et Acipa, association « citoyenne » sont deux composantes du mouvement antiaéroport.

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