Linky : ampère et contre tous

Un peu partout en France, les boîtiers jaunes d’EDF s’installent par millions, sans rien demander à personne. Sur les paliers, dans les halls d’immeubles ou au fond du couloir à droite, les nouveaux compteurs Linky scrutent notre consommation électrique quotidienne. Pas d’inquiétude, nous dit-on, ils sont « intelligents » : ils sont là pour notre bien et celui de la planète. Et accessoirement pour celui des groupes industriels et de tous ceux qui lorgnent sur nos données les plus intimes.

Depuis un an, ERDF – devenu Enedis1 – s’attelle à remplacer 35 millions de compteurs électriques. Un chantier de 5 à 7 milliards d’euros qui s’étalera jusqu’en 2021. Si vous n’avez pas encore votre Linky, n’ayez crainte. Après une première année à petite vitesse (trois millions de compteurs déjà en place sur l’ensemble de la France), l’opérateur de réseau passera aux choses sérieuses en 2017. Dans la région, les boîtiers jaunes ont été installés dans certains quartiers à Amiens, Arras, Dunkerque ou Hazebrouck, entre autres. Pour les Lillois, le courrier d’Enedis ne devrait pas tarder.

Le choix d’un déploiement en « taches de léopard », selon l’expression du directeur d’Enedis Philippe Monloubou, est motivé par des raisons logistiques, pour ne pas dire sécuritaires : ce choix a surtout l’avantage d’éviter les contestations massives et simultanées. Les poches de résistance sont pour le moment très localisées, à l’échelle de villages, de quartiers. Mais elles existent. Partout où les boîtes aux lettres annoncent la venue d’un technicien d’Enedis, des collectifs se mettent en place pour informer, discuter et contester ce projet massif et intrusif.

L’enfer est branché sur les bonnes intentions

Le service com’ d’Enedis a beau parler de compteur « évolué » plutôt qu’« intelligent », pour faire moins peur, l’enjeu est le même : intégrer tous les Linky dans un vaste réseau interconnecté et communicant.
Enedis peut bien se réfugier derrière les directives européennes2 qui prévoient le déploiement de compteurs intelligents dans toute l’Union, Linky n’est autre que l’application de la course technologique prophétisée par le gourou américain Jeremy Rifkin3. Sa « troisième révolution industrielle » est une référence pour la région Hauts-de-France. Devenue Rev’ 3 sous le règne de Xavier Bertrand, elle prévoit la transition énergétique à marche forcée, soutenue par des groupes politiques, industriels et financiers à l’unisson. Il va bien falloir s’y soumettre, adopter les nouveaux comportements imposés, devenir éco-responsables sans donner notre avis. Pour l’écolocratie, la solution énergétique est simple : il suffit de farcir le réseau électrique de capteurs numériques pour connaître son état en temps réel, maîtriser les consommations de chacun.e et ainsi optimiser la production. Elle lui a même trouvé un nom : le « déploiement de l’Internet de l’énergie ». Mais si surveiller le réseau est une chose, surveiller chaque foyer en est une autre.

Sébastien, cadre EDF dans la région, nous explique, dépité : « Ça part pourtant d’une bonne idée, ce réseau intelligent. […] Le problème, c’est qu’il n’y a aucune volonté écologique derrière tout ça. Simplement la recherche de profit, de croissance et de production, […] tout ça en culpabilisant les clients et en les faisant payer ».
Capitalisme vert oblige, Enedis brandit l’argument de la responsabilisation de chaque particulier, censé scruter sa propre conso et faire lui-même la chasse au gaspillage. Sauf que cet argument est foireux. Rien ne prouve que les usagers réduisent durablement leur consommation juste parce qu’ils la visualisent en direct4. Cet enfumage ne sert ici qu’à culpabiliser le « consom’acteur » en lui confiant une nouvelle technologie entre les mains. D’un côté, on l’incite à consommer toujours plus de gadgets électroniques, de l’autre, on l’accuse de gaspillage. Évidemment, on évite de lui parler de la consommation induite par ces appareils et par les data centers5 qui collectent toutes ses données.

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Le compteur intelligent qui nous prend pour des débiles

Sébastien nous raconte les échanges lors des réunions de management. Linky y est présenté comme l’étape indispensable pour l’introduction sur le marché d’acteurs tels que Bolloré, Total et autres industriels en mal de débouchés : « L’électricité ne fait quasiment pas de marge, ce sont les services qui vont autour qui sont juteux », nous confie-t-il.
C’est justement là que réside toute la magie de Linky. Plus qu’un compteur, Linky est avant tout un mouchard qui ouvre votre foyer au marché survolté des données personnelles et des services qui s’y brancheront. Le patron d’Enedis reconnaît sans gêne6 : « Notre métier évolue et nous sommes désormais un opérateur de big data qui va bientôt gérer 35 millions de capteurs ». Le décor est planté. L’opérateur compte sur tous les services personnalisés que pourront proposer les entreprises privées pour vous inciter à communiquer volontairement vos petites habitudes. « Les clients qui le veulent peuvent d’ailleurs déjà mettre leurs données à disposition d’entreprises s’ils nous le demandent. Comme par exemple à une société de surveillance », salive-t-il. À la clé, on vous promet des économies d’énergie pilotées de l’extérieur, à votre place, et toute une gamme de services super-pratiques et gratuits7. Du genre : « Nous vous informons que vous avez laissé la fenêtre ouverte avec le chauffage allumé. Et que votre chat s’est fait la malle ».
C’est également grâce à Linky que pourra s’épanouir pleinement la révolution des objets domestiques connectés. Un marché qui frise le milliard d’euros en 20168 et ne cesse de monter en tension. Pour le moment, la domotique9 peine encore à s’installer mais avec Linky la porte est ouverte à l’interconnexion, au contrôle à distance et à l’analyse des données personnelles.

L’inkyétude collective

Partout où se pointe le boîtier jaune, des collectifs se forment, signe d’une méfiance face à ces solutions prémâchées aux motivations douteuses. Déjà, plus de 200 communes ont clairement affiché leur refus. Dispersées dans toute la France, ces réunions de riverains anti-Linky expriment de multiples inquiétudes. Et à plusieurs titres : sanitaire (intensification du brouillard électromagnétique), financier (complexification des grilles tarifaires et hausse des factures) ou plus personnel (piratage des données individuelles ou confrontation musclée avec les agents Enedis déterminés à installer leur boîtier). Tous ces collectifs se mobilisent pour informer la population et faire pression sur les municipalités afin de refuser l’installation des compteurs dans leur commune. Dans la région, les collectifs de Dunkerque, Hesdin, St-Omer, Arras, Boulogne réunissent jusqu’à plusieurs centaines de personnes. La première réunion du collectif de Lille10 s’est tenue le 14 décembre dernier avec la ferme intention de réserver au Linky l’accueil qu’il mérite.
Ces mobilisations populaires dénoncent avant tout un vaste projet à l’utilité hasardeuse et imposé par en-haut. Les arguments écologiques officiels ont du mal à dissimuler la logique de flicage, le business intrusif et l’aliénation technologique qui se cachent derrière. Aussi intelligent soit-il et malgré toutes les données qu’il collecte, Linky ne sera jamais capable d’identifier d’où provient un bon coup de masse !

Brubru,Tom Pastiche

1. Filiale à 100 % d’EDF chargée de la gestion de la quasi-totalité du réseau électrique basse tension en France.
2. La directive n° 2009/72 du 13 juillet 2009 prévoit que les « États membres veillent à la mise en place de systèmes intelligents de mesure qui favorisent la participation active des consommateurs au marché de la fourniture d’électricité ».
3. « Transition énergétique : De quoi Jeremy Rifkin est-il le nom ? » Ettore Fontana, La Brique, N°39, décembre 2014
4. L’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe) prévient dans son rapport, Linky. Analyse des bénéfices pour l’environnement : « Baisse effective de consommation de 10 % pendant les deux premiers mois. Celle-ci s’est pourtant réduite à 5 % les quatre mois suivants, pour un retour à la situation de départ au bout de six mois ».
5. Les data centers français consomment déjà 9 % de notre électricité. Voir « Nous sommes le gibier, Linky le filet » de Pièces et main d’œuvre.
6. « Enedis est un opérateur big data qui gérera bientôt 35 millions de capteurs », Journal du net.
7. Comme on dit : « Si c’est gratuit, c’est toi le produit ».
8. 850 millions de chiffre d’affaires en 2016, selon le cabinet GfK.
9. Automatisation des appareils domestiques.
10. Pour les contacter : comite.anti.linky.lille@laposte.net.

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