Pesticides : le géant agro-alimentaire Triskalia accusé par des salariés atteints de cancers

par Nolwenn Weiler 9 septembre 2016

Deux travailleurs d’une plate-forme de transit de produits phytosanitaires, appartenant au géant breton de l’agro-alimentaire Triskalia, ont décidé de témoigner publiquement ce 9 septembre pour rendre compte des graves maladies dont ils sont atteints, et qu’ils supposent liées à leurs conditions de travail.

Embauché en 1973 par Coopagri Bretagne, dont la fusion avec d’autres coopératives donnent naissance à Triskalia, Raymond Pouliguen a aujourd’hui 69 ans. Il est atteint d’une leucémie, diagnostiquée en 1999. Pendant près de 10 ans, il a déchargé des camions transportant insecticides, herbicides et fongicides. « Aucune mesure de sécurité n’est prise par la direction, se souvient-il. Pas de gants, de masque, ni de vestiaire, tout se passe dans le magasin de stockage, même le café est pris dans le local, pas de douches juste de simples lavabos, aucune aération sur ce magasin. Cet entrepôt trop exigu était en permanence surchargé avec de la marchandise jusque dans les allées. Parfois des piles entières de produits se renversaient. Bien entendu il fallait tout transvaser car à l’époque tout bidon crevé était reconditionné. » Plus tard, il est chargé avec d’autres collègues, de faire brûler des produits abîmés donc invendables. Leurs incinérations se déroule « sur le terre-plein au nord du magasin ». Certains liquides sont répandus à même le sol.

Père et fils atteints de cancers

La construction d’un nouvel entrepôt en 1984 ne change pas les conditions de travail : « De nombreux produits stockés dans les allées de circulation sont crevés, les spécialités répandues et dispersées. Le nettoyage et le balayage de l’entrepôt pendant une bonne partie de l’année est inexistant ou simplement limité aux zones accessibles. Sauf lors des visites programmées », rapporte encore Raymond Pouliguen.

Son fils Noël Pouliguen, 49 ans, découvre également qu’il est atteint d’un lymphôme – une forme de cancer – en août 2015, 26 ans après avoir commencé à travailler pour Coopagri. Il a lui aussi vidé des camions chargés de pesticides et de bidons usagés : « Nous arrêtions la préparation de nos commandes pour vider les camions. Cela faisait beaucoup de boulot sur la journée, témoigne-t-il. Ensuite, il fallait qu’on nettoie le magasin des cartons crevés et des produits toxiques avec une pelle et un balai, puis on remettait ça dans un autre emballage que l’on brûlait à côté de l’entrepôt, à-même le sol avec des déchets plastiques et cartons. Les bidons contenant du liquide, crevés étaient nettoyés avec des raclettes jusqu’au caniveau. »

Dix salariés, cinq décédés avant 70 ans, cinq malades

Noël a bien essayé d’alerter sa direction. Quand il manipulait des bidons usagés, il avait comme nombre de ses collègues, des plaques sur les jambes, des irritations du visage, de la gorge et des bronches, des maux de tête et des saignements de nez. Il assure que les responsables lui ont répondu qu’il n’y avait « rien de dangereux ici ». Après plusieurs plaintes soutenues par le comité hygiène, sécurité, conditions de travail (CHSCT), la médecine du travail intervient pour mettre en garde les salariés contre les dangers des produits qu’ils manipulent. Mais le ramassage des bidons souillés se poursuit. « On ne voulait pas les ramasser, mais tout le monde avait peur de se faire sacquer », soutient Noël. Sollicitée sur les conditions de travail de ces salariés, la direction de Triskalia ne nous a pas répondu à l’heure où cet article est écrit.

 Lire aussi : [Intoxication aux pesticides : l’interminable combat des ex-salariés d’un géant français de l’agroalimentaire

 >http://www.bastamag.net/Intoxication-aux-pesticides-l-interminable-combat-des-ex-salaries-d-un-geant]
Noël et Raymond semblent ne pas être les seuls touchés. « J’en connais d’autres dans l’entreprise, qui ont eu de gros problèmes de santé », témoigne Noël Pouliguen. Selon les associations et collectifs qui soutiennent les deux salariés de Triskalia-Glomel, sur les dix salariés principalement affectés au stockage des produits phytosanitaires, cinq sont décédés avant d’atteindre 70 ans (dont quatre d’une pathologie cancéreuse), quatre sont gravement malades d’une pathologie cancéreuse et un autre salarié est atteint de maladie chronique [1]. « La plupart des proches de ces victimes : parents, femme, ne souhaitent pas que des poursuites soient engagées », dit simplement Noël. Il vient de se voir refuser la reconnaissance en maladie professionnelle de son cancer. Mais avec sa prise de parole publique, il espère briser l’omerta.
Notes

1] Associations et collectifs de soutien à Raymond et Noël Pouliguen :[ Phyto-victimes, Solidaires Bretagne, Générations futures, Soutien aux victimes des pesticides-collectif de l’ouest.

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