Les intérimaires, premières victimes des accidents du travail

Les intérimaires paient un lourd tribut en matière d’accidents du travail. Obligés d’être opérationnels le plus rapidement possible, de changer de poste régulièrement et d’accepter toutes les missions sous peine de ne plus être appelés, ils sont les principales victimes du manque de sécurité. Une situation entretenue par les entreprises utilisatrices qui ne mettent pas – ou peu – la main à la poche en cas d’accident. Explications.
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Les intérimaires sont les premières victimes du manque de sécurité. De par leur statut, ils sont en effet plus vulnérables face aux risques professionnels que le reste des salariés.
Jacques Demarthon / AFP

Ce sont les premières victimes du manque de sécurité. Les intérimaires, de par leur statut, sont en effet plus vulnérables face aux risques professionnels que le reste des salariés.

Les chiffres de l’Assurance maladie pour l’année 2014 parlent d’eux même. Alors que le taux de fréquence des accidents du travail est de 33,4 pour 1 000 salariés, il passe à 46,5 pour 1 000 salariés de l’intérim, soit 13 points de plus.

De même, les décès sur le lieu de travail touchent plus particulièrement les intérimaires. Ils sont proportionnellement 1,5 fois plus importants par rapport à l’ensemble des travailleurs, avec 32 morts pour 774 000 intérimaires contre 539 pour 18,6 millions de salariés, toujours pour l’année 2014, dernière année de référence pour ces données.

« La précarité tue »

Comment expliquer un tel écart ? « Parce qu’aucune mesure sérieuse n’a jamais été prise pour changer la donne, dénonce Jean-Paul Bussi, délégué national CGT chez Randstat. On est face à une politique de management et de prévention à double vitesse. Le salarié intérimaire doit être rentable le plus vite possible, il reçoit une formation a minima et se voit souvent déléguer le sale boulot et les tâches les plus dangereuses car l’entreprise est sûre qu’il ne refusera pas. Et en cas d’accident, c’est moins coûteux pour elle. La précarité tue ! »

2015 a été une année noire en particulier pour ArcelorMittal. En un an, trois travailleurs intérimaires sont décédés chez l’aciériste : deux à Dunkerque et un autre dans l’usine de Fos-sur-Mer, dans les Bouches-du-Rhône. L’un a été écrasé entre deux wagons au cours d’une opération de déchargement, tandis que les deux autres sont tombés dans une rigole de fonte en fusion. Cela a conduit l’agence d’intérim Randstat à retirer, le 30 octobre dernier, 28 de ses intérimaires de l’usine du Nord, le temps que leurs postes « soient mis au niveau de sécurité attendu » précise-t-elle.

Mais cette mesure est restée isolée, car aucune autre entreprise d’intérim n’a souhaité imiter Randstat. « Du coup, les 28 salariés intérimaires en question sont allés s’inscrire dans les autres sociétés d’intérim et ont continué à travailler chez ArcelorMittal, regrette Jean-Paul Bussi. Ce qu’il faut, c’est taper les entreprises utilisatrices au portefeuille pour qu’elles se responsabilisent enfin vis-à-vis du salarié intérimaire. »

Un coût supporté majoritairement par les agences d’intérim

Actuellement, en cas d’accident du travail, c’est sur l’employeur, à savoir l’agence d’intérim, que pèse la charge financière. En cas d’accident grave (taux d’invalidité supérieur à 10%), le partage se fait à 75% pour l’agence d’intérim et 25% pour l’entreprise utilisatrice. Une répartition que Prism’emploi, l’organisation professionnelle des agences de recrutement et d’intérim, souhaite plus équitable à 50/50.

« C’est un système inique et totalement déresponsabilisant pour les entreprises utilisatrices », commente François Roux, son délégué général. Il mise beaucoup sur la prochaine réunion du Conseil d’orientation des conditions de travail (COCT), prévue en septembre, où la question a été mise à l’ordre du jour. « Pour nous, il s’agit d’un des sujets les plus urgents pour avancer sur la sécurisation des travailleurs intérimaires. »

La CGT Randstat va plus loin dans ses revendications puisqu’elle exige une prise en charge financière en cas d’accident à 100% par l’employeur et à 100% pour la société utilisatrice. « Il est normal que les entreprises payent deux fois plus puisque les intérimaires sont deux fois plus touchés par les accidents du travail et les décès », commente Jean-Paul Bussi.

Manque de compétences

Mais pour les entreprises utilisatrices, ce n’est pas forcément la priorité. Philippe Villain, directeur Prévention santé-sécurité chez Bouygues construction, estime ainsi que « le sujet n’est pas d’actualité » pour le groupe, car « les accidents d’intérimaires graves (entraînant une incapacité permanente supérieure à 10%) restent très rares ». Le constructeur français, qui emploie 10 à 20% d’intérimaires sur ses chantiers, préfère miser sur « l’anticipation, la prévention et la formation ».

Et parmi les batailles à mener, la première selon lui est la mise en place d’une formation standardisée dans le bâtiment. « En tant qu’entreprise utilisatrice, nous sommes confrontés au problème de la compétence, raconte Philippe Villain. Tous les intérimaires qui arrivent chez nous n’ont pas forcément une solide expérience du BTP et n’ont pas toujours travaillé dans un grand groupe comme le nôtre. C’est pourquoi nous pensons qu’il serait pertinent de se pencher – avec les chambres syndicales et les organismes professionnels – sur cette idée de formation standardisée, afin de mieux préparer les intérimaires aux risques du métier. »

En attendant, l’entreprise a mis en place des actions en interne. Les intérimaires bénéficient ainsi d’un « accueil sécurité » à leur arrivée. Ils font systématiquement l’objet d’une évaluation sur les risques qu’ils vont rencontrer et d’un test avant de débuter leur mission. Et l’entreprise leur fournit les équipements de protection adaptés en fonction des besoins. « Chez nous, les intérimaires sont traités comme les autres salariés, on ne fait pas de différence », insiste Philippe Villain.

En sept ans, le taux de fréquence des accidents avec arrêts des intérimaires a été divisé par trois chez Bouygues Construction et converge aujourd’hui avec celui de personnel de l’entreprise, alors que le BTP est un secteur particulièrement accidentogène.

Interdiction de l’intérim dans le BTP allemand

Il concentre en effet 50% des accidents du travail dans l’intérim alors que les intérimaires ne représentent que 8% des effectifs. C’est la raison pour laquelle la CGT Randstat demande à ce que l’emploi des travailleurs intérimaires soient interdit dans les secteurs particulièrement accidentogènes, comme c’est le cas en Allemagne, où le BTP ne peut plus y avoir recours.

Le syndicat appelle aussi à la « ré-internalisation » de la maintenance chez EDF où « il peut y avoir 8 à 10 niveaux de sous-traitance ». « La rapidité avec laquelle doivent s’effectuer les maintenances estivales, surtout lors des arrêts de tranches dans les centrales, est un facteur important de stress et donc d’accidents », déplore encore Jean-Paul Bussi, qui promet des actions fortes à la rentrée.

De son côté, Prism’emploi entend poursuivre son travail de négociation avec les syndicats, afin d’améliorer l’accord de septembre 2002 relatif à la santé et à la sécurité au travail. Celui-ci établit des dispositions conventionnelles sur l’accueil des intérimaires dans les entreprises utilisatrices, leur formation et leur sensibilisation aux mesures de sécurité. « Ce n’est pas suffisant, mais nous progressons », avance François Roux.

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