Publié le 27 novembre 2015
Ivry-sur-Seine | COP21 | Attentats de Paris | état d’urgence
Ce 26 novembre 2015 à 14h30, des agents de la police politique se sont présentés chez moi pour m’assigner à résidence sur toute la durée de la COP 21.
Je me suis construit depuis dix ans au sein d’un milieu politique qui porte des valeurs sincères, qui se préoccupe du monde dans lequel il vit et œuvre de manière infatigable pour plus de justice sociale. Et quand j’utilise le mot « justice », je ne parle pas de cette justice portée par les institutions, de cette justice qui aujourd’hui m’assigne à résidence. Celle-là n’a de justice que le nom.
Je me suis entouré durant toutes ces années d’êtres humains qui détestent le mensonge, qui prennent en main leur existence, s’inquiètent de l’évolution du monde et croient en plus d’égalité entre toutes et tous. Tout est discuté collectivement, soumis à la critique. On pense aux autres, on s’écoute, on se respecte, on se soutient. On combat toutes les formes d’injustices. Nos vies sont une lutte, et notre sincérité donne à cette résistance toute sa radicalité. Rien de laid dans tout ça, ni rien de méprisable. Toutes nos idées sont belles.
Ce que je vis depuis dix ans ne ressemble en rien aux récits qu’on fait de nous et aux caricatures ineptes que véhiculent les articles de presse et les émissions de télévision. On nous y décrit comme des hordes écervelées, une espèce dégénérée et sale, mue par l’amour de la violence, dévoyée, stupide et manipulée. Chaque fois que l’on parle un tant soit peu de nous, c’est pour nous prêter des mauvaises intentions. Nos écrits, nos chants, nos modes de vie, nos certitudes, n’intéressent personne. L’esprit de liberté qu’ils contiennent fait peur.
Tout est dans ces mots que je me répète depuis une semaine : ils ont peur de la liberté.
L’État et ses représentants, pris quotidiennement dans des considérations mesquines et politiciennes, ont peur que ce qu’ils représentent, c’est à dire rien, pourrait être remis en cause par le plus grand nombre. Comment expliquer sinon les discours de mépris qui sont déversés sur celles et ceux qui s’abstiennent aux élections ?
Et cette peur, quand elle est mêlée à l’angoisse de ne plus pouvoir assurer la paix sociale, amène l’État à prendre des mesures exceptionnelles. C’est l’état d’exception permanent. Quelques cinglés tirent dans la foule, et voila la démocratie changée brusquement en dictature. Si c’est si rapide, c’est que la différence est infime. La peur permet tout. La peur peut même être transmises de ceux qui détiennent le pouvoir à ceux qui le subissent. Et une fois qu’elle est partout, il suffit d’un rien pour que les démocrates d’hier plébiscitent le recours aux armes, la guerre, la militarisation de la société et l’abolition des libertés. C’est de toute façon tout ce qu’ils ont à proposer : l’impérialisme et la domination coloniale au service du marché. Toutes leurs idées sont laides, et celles qui semblent belles ne sont qu’hypocrites.
6 députés seulement se sont opposés à l’état d’urgence. Tous des pantins, tous des lâches. Qu’on les envoie donc en Syrie salir leurs cols blancs, peut-être comprendront-ils ce que produit une bombe qui touche le sol. L’ensemble des élites applaudit l’instauration de mesures autocratiques, même si chacun sait pertinemment qu’elles n’empêcheront jamais un kamikaze de s’exploser au milieu d’un espace public ni un quidam de sortir subitement de son manteau une arme de guerre pour tirer sur la foule. J’en veux pour preuve que l’estafette de gendarmerie placée à 200 mètres du Bataclan depuis l’attaque de Charlie Hebdo n’a pas empêché ni même freiné la tuerie du 13 novembre. Mais la découverte de quelques malheureuses caches d’armes suffiront à convaincre les sceptiques de l’utilité des forces de l’ordre. Quelle pitoyable mascarade.
Et à côté de ces quelques succès fortement médiatisés, des milliers de personnes sont humiliées et leurs libertés foulées du pied. On n’en parlera pas, de toute façon la majorité des personnes concernées sont des arabes et de noirs, pauvres de surcroît. Droits de l’homme mon cul. Plus ils en parlent, moins ça existe. De toute façon les gens comme moi n’attendent rien du droit. Le droit et la loi sont l’apanage de l’autorité. Et l’autorité, c’est le totalitarisme.
Après des menaces de la part des RG, des dizaines de convocations suite à une manifestation, une filature en bas de de la maison où j’habite avec d’autres personnes et une perquisition chez des ami-e-s, je me retrouve à mon tour assigné à résidence. Je m’entends dire que je suis dangereux. Des hommes en armes viennent au pied de chez nous m’apporter le papier qui restreint ma liberté d’aller et de venir. La justification, ou plutôt le prétexte : en fonction de ce que la police croit savoir de moi et de ma vie, elle présuppose que j’ai peut-être l’intention de commettre des violences en marge de la conférence des nations unies sur le climat. Ils supposent. Voilà un beau fondement du droit.
Je n’ai jamais été poursuivi pour violences ni même été suspecté. Dans ma vision politique du monde, la violence implique de porter physiquement atteinte à la personne d’autrui. Je ne connais personne dans les milieux que je fréquente qui défende, excepté lorsqu’il s’agit de se défendre, les violences physiques. Tout au plus le sabotage, comme celle pratiquée par la résistance durant la seconde guerre mondiale et que les historiens encensent dans les livres scolaires. Le reste n’est que fantasmes. Fantasmes de policiers et fantasmes de politiciens bercés par les discours de criminologues et les reportages commandés par le ministère de l’intérieur pour rendre la police attirante et susciter de nouvelles vocations parmi les franges les plus dépolitisées de la population.
Dans la même assignation, les services de renseignements me dépeignent comme l’un des « leaders » d’une occulte « mouvance contestataire radicale » dont la seule motivation serait d’organiser des violences. Leader de quoi ? Les policiers, dans leur plus grande ignorance, n’ont toujours pas compris que les milieux politiques auquel j’appartiens se passent de leaders et s’organisent horizontalement. Leur soumission à l’autorité ne leur permet pas de comprendre.
On me prête également des capacités insurrectionnelles surhumaines et des actes pour lesquels je n’ai jamais été ni soupçonné, ni poursuivi. Il est écrit que par le passé, en une seule nuit, j’aurais jeté des cocktails molotov sur des gendarmes, arraché 25m de grilles, sectionné des fibres optiques, etc. Si seulement j’avais un jour pu être si efficace, j’aurais sans doute demandé une prime à « ceux qui commandent notre mouvance »… Les contes et légendes des services de renseignements suffisent à interdire une personne de sortir de chez elle pendant trois semaines. Normal, nous sommes en démocratie.
Je dois pointer trois fois par jour au commissariat.
Je n’ai pas le droit de sortir de la commune.
Je dois rester chez moi de 20h à 6h.
D’aujourd’hui jusqu’au 12 décembre.
Pour quels motifs ? Des suppositions, seulement des suppositions.
JE SOUHAITE QUE CETTE COP SOIT POUR EUX UN DÉSASTRE ET POUR NOUS UNE FÊTE !
RAGE ET JOIE !
C.
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