18 octobre 2015 par Commission Journal (mensuel)
Quarante ans après la lutte antimilitariste au Larzac, Hollande a annoncé l’installation de légionnaires sur les terrains militaires. Ce nouveau projet inutile et imposé chamboule le modèle de développement économique d’agriculture paysanne du plateau, et rencontre donc une résistance salutaire.
Hollande a annoncé le 31 juillet dernier l’installation de la Légion étrangère sur les terrains militaires du Larzac comme une simple formalité.
Pour l’état, il s’agit de réorganiser la carte des implantations militaires en fonction des priorités stratégiques de la France (lutte contre le terrorisme, multiplication des interventions militaires en Afrique et au Moyen-Orient pour sécuriser les importations françaises et favoriser les équilibres régionaux). Nous ne sommes toutefois pas convaincu-e-s que la politique extérieure de la France et ses répercussions intérieures soient les seules motivations de cette décision.
Provocation
Le plateau du Larzac est un territoire marqué par les luttes et tout spécialement par celle qui a opposé de 1972 à 1981 paysans, écologistes, antimilitaristes, révolutionnaires et militants et militantes de gauche à l’armée qui voulait étendre ses terrains militaires sur 17 000 hectares.
Dans un contexte marqué par le développement des grands projets inutiles et imposés et par la multiplication des zones à défendre (Zad), on peut difficilement penser que le choix de Hollande soit si innocent que cela. L’état a tué à Sivens un militant écologiste, Rémi Fraisse, il y a tout juste un an. Il a déjà fait usage de la violence pour déloger les occupants des terrains choisis par l’état et les collectivités locales afin de construire l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes et il est prêt à recommencer pour récupérer lesdits terrains.
Imposer ce projet d’installation militaire sur le Larzac dès 2016 constitue une provocation, mais aussi un symbole, celui qui consiste à affirmer l’autorité de l’état et un projet de développement économique qui favorise les grandes firmes capitalistes et le modèle productiviste. La mise en œuvre de ce projet sans résistance serait un très mauvais signe envoyé à celles et ceux qui luttent contre ce type d’aménagement au Larzac comme ailleurs en France. Face à cela un collectif d’opposants à ce projet s’est constitué courant août. On y trouve des habitants et habitantes du plateau, mais aussi de Millau et de Saint-Affrique, les deux villes les plus importantes du sud de l’Aveyron. Parmi eux et elles on trouve notamment des agriculteurs, membres de la Confédération paysanne, quelques anciens de la lutte contre l’extension du camp militaire et pas mal de jeunes.
Le projet a ses partisans. Ainsi les élus de Les Républicains (LR) et du Parti socialiste (PS) soutiennent ce projet. D’autres, comme José Bové et Léon Maillé, figures historiques des luttes paysannes et antimilitaristes sur le plateau, ne s’opposent pas au projet mais ne se privent pas d’affûter leurs critiques contre les opposants sur un ton où le paternalisme le dispute à celui du petit notable parvenu. Lors de la première réunion d’information dont est issu le collectif d’opposants, ils n’ont pas manqué de faire la leçon aux plus jeunes d’entre eux.
Un complexe militaro-capitaliste
Leur argumentation tourne autour du fait que, contrairement aux années 1970, le projet ne prévoit pas une extension du camp militaire. Il est même question de rétrocéder une centaine d’hectares de terrains aux paysans. La belle affaire ! En effet, n’oublions pas qu’il faudra dépolluer ces derniers pour les rendre utilisables. C’est cette carotte qui pousse la Confédération paysanne de l’Aveyron à ne pas prendre position dans cette affaire.
Dans ce projet, Hollande, qui s’est ménagé le soutien d’élus, maires, député et sénateur PS et LR et du président LR du conseil général, n’a pas oublié de répondre à une vieille revendication des habitants et habitantes du plateau, à savoir la création d’un collège, alors que les jeunes scolarisé-e-s dans l’enseignement secondaire doivent se déplacer pour cela à Millau ou à Saint-Affrique.
L’arrivée de la Légion étrangère pose pourtant plusieurs problèmes. Il contredit d’abord le modèle de développement économique et agricole imposé grâce à la lutte dans les années 1970. Les luttes ont en effet permis de développer une agriculture paysanne qui ne soit pas centrée sur un élevage intensif profitant à la seule industrie du roquefort. Elles ont permis favoriser la diversification mais aussi le développement de l’agriculture biologique qui ne concernait qu’une seule exploitation à la fin des années 1960, là où elle en compte désormais 500 à l’échelle du département. L’arrivée de la Légion (militaires, administratifs et leurs familles) portera de 300 à 1 200 les effectifs de l’armée sur le plateau à l’horizon 2018. Cela constitue un marché que les capitalistes et leurs relais LR et PS dans les institutions comptent mettre à profit pour favoriser un modèle productiviste de développement. Il est question de construire un centre commercial favorisant les grandes enseignes sur le plateau, à l’instar du centre commercial de La Capelle à Millau qui vient d’ouvrir ses portes et qui est le fruit d’un intense lobbying de la droite avec approbation du maire PS de Millau en poste jusqu’à l’an dernier.
Face à cela les opposants et opposantes ont fait le choix de se rassembler et de s’organiser dès l’annonce de la décision de Hollande. Ces choix économiques et politiques sont à rapprocher de celui du développement des éoliennes industrielles avec un projet d’installation de transformateur à Saint-Victor et Melvieu (près du Larzac) visant à raccorder les parcs d’éoliennes. EDF et l’état misent sur ces aménagements dans une perspective purement spéculative. Le plus aberrant est que le gros de la production n’est pas même destiné à être consommé sur place. Là aussi un collectif se mobilise contre ce grand projet inutile et pour une alternative bénéficiant aux populations locales.
Ce n’est qu’un début
La première expression publique a été la publication d’une lettre à François Hollande dénonçant les manœuvres d’élus qui ont négocié dans le dos de la population un projet qui menace l’avenir civil du Larzac tel qu’il a été réfléchi pendant et à l’issue de la lutte contre l’extension du camp militaire. Le collectif veut initier un débat public autour de choix de développement alternatifs. Des rassemblements ont suivi en septembre à Rodez et à Millau. Ce n’est qu’un début. Le collectif n’en restera pas là.
Le 5 Septembre 2015 à Millau.
La mobilisation a le mérite d’opérer des clarifications. Une partie des militants issu-e-s des luttes des années 1970 est en train de renoncer à la lutte. Leur institutionnalisation les a amenés à se couper toujours plus de celles et ceux qu’ils et elles prétendent représenter. Les Bové, Maillé et consorts utilisent de plus en plus les luttes passées telles des rentes de situation. Leur arrogance et leur instrumentalisation de la mémoire des luttes du plateau est en train de saper le peu de crédibilité qu’il leur reste auprès de celles et ceux qui ne renoncent pas et notamment des jeunes qui se mobilisent pour construire un autre futur que celui qu’état et capital leur promettent.
Laurent Esquerre (AL Paris-Nord-Est) avec correspondants AL à Millau
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