Lettre à ceux qui s’en foutent

17 avril 2015 | Par Laurent Chemla

Cette fois-ci, c’est à vous, citoyens, que je m’adresse.

Vous qui avez entendu parler d’une certaine « loi sur le renseignement », mais qui vous en foutez.

J’aurais pu, comme beaucoup, revenir sur les débats qui ont conduit nos représentants à voter cette loi délirante, me moquer du faible nombre de députés présents à l’enterrement de l’état de droit, féliciter les 5 qui ont fait leur boulot honnêtement et porter l’opprobre sur un ministre de l’intérieur qui n’a cessé de montrer qu’il n’avait que morgue et mépris pour la très longue liste d’organismes et de personnes – tous bien plus qualifiés que lui – qui critiquaient son texte dans les medias.

À quoi bon ?

Nos représentants nous représentent. Et, dans le cadre de cette loi, ils n’ont rien fait d’autre.

Combien étiez vous qui, quand mes camarades de la Quadrature du Net essayaient de convaincre de l’importance de ce texte pour vos libertés, ont répondu « Bof, je m’en fous, je n’ai rien à cacher » ?

Combien d’entre vous sont persuadés que dans le monde de Facebook et Google, la vie privée n’a plus aucune valeur ?

Combien, parce qu’ils n’en maîtrisent pas les enjeux techniques, ont préféré faire l’autruche plutôt que de lire les – nombreux – avis de ceux qui savent ?

Et combien encore, qui pensent sans rougir qu’en échangeant un peu de liberté pour plus de sécurité, ils font une bonne affaire ?

Vous, qui vous reconnaissez un tant soit peu dans les lignes ci-dessus, vous êtes au moins aussi responsables de l’immense gâchis en cours au plus haut niveau que nos « responsables » politiques.

En refusant de prendre le temps – ou le recul – nécessaires pour comprendre les enjeux réels de cette loi, vous faites le lit du populisme, de la bêtise et de l’obscurantisme d’un ministre de l’intérieur assez minable pour affirmer que la vie privée n’est pas une liberté (et qu’il ne croit pas la presse de son pays).

Nos représentants, vos représentants, vous ont parfaitement représenté en n’étant qu’une trentaine à prendre part à un vote sur la surveillance généralisée de tous les citoyens, et qu’une poignée à voter contre. Les autres, tout comme vous, s’en fichaient, préféraient rester au soleil à se dorer la couenne en attendant les grandes vacances.

Oui, je sais, il est d’autres combats que celui là.

J’ai lu des commentaires, du genre « oui, mais la loi Santé », « oui, mais le chômage »…

Permettez, malgré ma colère, que je vous pose une question, une seule: vous comportez-vous de la même manière quand vous êtes seul que lorsque vous savez qu’on peut vous voir ?

Parce que, si la réponse est « non », alors comprenez, je vous prie, que quand l’État aura placé ses grandes oreilles partout, vous n’aurez plus le loisir de vous battre pour le moindre combat. Que celui-ci est le premier de tous les autres.

Parce que, quand on se sait potentiellement surveillé, on n’agit pas, on ne pense pas librement.

Parce que, quand un gouvernement sait tout de vous, il sait aussi quels mots utiliser pour vous vider l’esprit et vous ôter toute velléité de combat. Il sait quelle crainte agiter, quel bouc-émissaire dénoncer, quelle promesse faire, pour que vous restiez couché.

Et parce que les enfants élevés dans le monde du panopticon ne seront plus libres de leurs pensées que dans la mesure où elles ne gêneront plus personne.

Vous qui pensez n’avoir rien à cacher au gouvernement, n’oubliez pas que, demain, ce ne sera plus forcément le même. Mais que les outils de surveillance resteront.

N’oubliez pas non plus que les données recueillies aujourd’hui seront toujours là demain. Ce que vous estimez sans importance à présent sera peut-être un jour la raison pour laquelle on viendra vous chercher.

La démocratie est une chose fragile.

Vous pouvez croire que votre vie privée n’a aucune valeur, vous pouvez croire n’avoir rien à cacher, mais vous n’êtes pas seul, ni isolé: quand l’état vous regarde, il regarde aussi vos proches, vos amis et vos contacts qui, allez savoir, ont peut-être, eux, quelque chose à vous dire qu’ils ne souhaitent pas partager avec d’autres. Pensez-y.

Vous pouvez croire sur parole un ministre qui affirme des contre-vérités techniques sans rougir devant la représentation nationale: après tout, chacun sait bien (surtout dans ces colonnes) que nul ne saurait mentir dans de telles conditions, n’est-ce pas ?

Vous pouvez ignorer les avis de tous les spécialistes du droit, des libertés fondamentales, du renseignement et j’en passe: après tout il n’y a pas de raison de ne pas faire confiance à un gouvernement qui respecte à ce point les engagements pris avant la présidentielle, n’est-ce pas ?

Vous pouvez, enfin, accepter de vivre dans un pays dont la première des libertés vient d’être abolie.

Vous avez, dans ce cas, élu des représentants adéquats.

Ou bien vous pouvez vous lever, et vous battre. Il est encore temps de vous renseigner, de quitter quelques minutes Candy Crush pour lire des articles sur ce texte de loi, qui tenteront de parler maladroitement à votre raison plutôt qu’à vos émotions: ils abondent.

Il est encore temps d’appeler votre député: le vote final de cette loi en séance plénière n’aura lieu que le 5 mai.

Après, il sera trop tard.

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