62 conseillers départementaux du FN ont été élus ( en binôme), à l’issue des élections départementales. Il faut y ajouter les 4 élus de la liste de la Ligue du Sud dans le Vaucluse.
Ainsi lors de ces élections le Front National aura franchi une étape de plus. Il a pu réaliser des scores élevés, se positionner en première position des suffrages exprimés tout en maintenant les candidats, qui dans la campagne, ont tenu les discours antisémites et racistes voire pro-nazis les plus violents.
Pour la première fois, pourtant, les grands médias ont consacré, dans les dernières semaines de la campagne, de nombreux articles aux déclarations de ces candidats FN.
Le vote FN constitue donc dans bien des cas un vote d’adhésion au racisme défendu par ce parti . Les candidats ayant tenu les propos les plus violents et les plus médiatisés ont pour beaucoup obtenu des scores excellents, certains ont réuni plus d’un tiers des votants. De plus, 64 % des électeurs du FN déclarent ouvertement que les propos racistes ou antisémites des candidats ne changeraient pas leur vote.
Une des caractéristiques de cette campagne aura d’ailleurs été la présence notable d’un discours antisémite parfaitement assumé par le FN, à la surprise de certains. De nombreux candidats visaient ouvertement les Juifs dans leurs diatribes virtuelles, beaucoup affichent sans souci leur admiration conjointe pour Dieudonné et Pétain. Les analyses, selon lesquelles le champ antisémite et la référence au fascisme et au vichysme originel auraient disparu voire seraient combattues au sein du FN, étaient donc totalement fausses. En réalité, le partage du travail idéologique entre Marine Le Pen, Soral et Dieudonné arrive à son terme. L’antisémitisme s’est désormais banalisé et diffusé massivement dans la société. Les déclarations de Zemmour sur Pétain, les propos antisémites très violents du notable Roland Dumas le confirment. Le parti d’extrême-droite peut donc se permettre d’assumer ouvertement cette dimension essentielle de son corpus idéologique et ne s’en prive pas.
L’électorat FN est donc à la fois très virulent, consciemment d’extrême-droite et très mobilisé. Cette mobilisation dans les urnes tient notamment à un activisme extrêmement important des réseaux fascistes dans leur ensemble. En zone rurale comme en zone urbaine, le FN a vraiment fait campagne : collages quasi-quotidiens, passage en porte à porte, courriers réguliers dans les boites aux lettres plusieurs semaines avant le scrutin, présence sur les marchés. Ces méthodes, souvent considérées comme « ringardes » et dépassées au regard de la « politique 2.0 », ne permettent peut-être pas de convaincre un nombre important de nouveaux électeurs. En revanche elles motivent la base électorale déjà très importante du parti fasciste afin qu’elle se rende aux urnes lors de chaque élection.
Deuxième enseignement : dans les cantons où ont eu lieu des duels FN-Gauche, souvent, le score a été plus élevé pour le FN au deuxième tour qu’au premier, confirmant ainsi la porosité entre les électorats de droite et d’extrême-droite.
Cette porosité s’est également confirmée au sommet de la droite, notamment chez Sarkozy. La campagne UMP a été violemment raciste et anti-sociale, reprenant des pans entiers du programme et de la rhétorique fascistes. L’exemple le plus frappant a été celui de la suppression des ‘repas de substitution » dans les écoles, ciblant les enfants musulmans et juifs. En cela, Sarkozy et les siens n’ont nullement innové, mais repris les discours et les orientations des polémistes comme Zemmour.
Ne nous faisons pas d’illusions, cela se traduira sur le terrain, dans tous les domaines où la droite pourra agir. Dans l’ensemble ce n’est pas la droite « républicaine » qui a triomphé, mais un camp désormais totalement composite, dont une grande partie est déterminée à concurrencer le FN dans l’abjection, notamment en prévision des régionales.
L’union concrète d’une partie de la droite et de l’extrême-droite se traduit d’ailleurs aussi dans les réseaux militants : depuis 2012, UMP et FN ont par exemple défilé ensemble lors des cortèges des manifestations homophobes.
D’ailleurs bien à contre-courant des analyses dominantes sur un « gauchissement » du FN, ces élections auront montré la proximité idéologique des dirigeants frontistes avec ceux de la droite dure. L’exemple le plus abouti est celui du Vaucluse, où Marion Maréchal Le Pen s’est entourée d’une équipe composée d’anciens du RPR ou de l’équipe Balkany de Levallois. De même, les rares déclarations d’intention concrètes sur l’après-départementales de Marine Le Pen ciblaient la destruction des politiques sociales, celle des services publics et du tissu associatif. C’est d’ailleurs une des fonctions du discours raciste : commencer par prétendre que « seuls les étrangers » bénéficient des droits sociaux, pour accréditer l’idée que ceux-ci ne sont que de l’ « assistanat » et ensuite les détruire pour tous.
Cette politique qui s’adresse aux électeurs de droite a un certain succès puisque le FN progresse dans le Sud partout où il dirige déjà des villes. De plus il a cette fois-ci plutôt progressé dans les quartiers aisés et urbains. Cela fonctionne également dans les zones plus pauvres où il est implanté. Outre la pénétration très forte du racisme et de l’antisémitisme dans les classes populaires, la démobilisation générée par l’absence de projet concret et progressiste porté massivement freine la mobilisation contre le parti d’extrême-droite. Cette démoralisation génère surtout beaucoup de fatalisme. Dans ces zones, la dynamique fasciste s’alimente donc des succès précédents aux municipales. Cette dynamique délétère doit cependant être relativisée. Si les cantons recoupant les villes FN ont vu celui-ci y triompher, la contamination ne s’étend pas forcément aux cantons voisins. Par exemple, si F. Engelmann a bien gagné à Hayange, dont il est le maire, les communes avoisinantes se sont mobilisées à gauche.
On peut considérer plus globalement qu’il y a bien eu une mobilisation antifasciste électorale. Celle-ci est d’autant plus exceptionnelle qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une démobilisation et d’un découragement profonds, instillés par les politiques anti-sociales que mène le gouvernement. Dès le premier tour, des électeurs se sont déplacés pour faire barrage à l’extrême-droite, et au second, le mouvement s’est confirmé. Le PS a ainsi remporté très souvent les duels avec le FN. Les départements qui étaient annoncés comme gagnés d’avance par le parti frontiste n’ont finalement pas vu la victoire des fascistes.
Pour autant, la situation post-électorale est particulièrement inquiétante.
Ainsi, pour la première fois, dans de nombreux départements, une majorité de droite dure va cohabiter avec une opposition majoritairement d’extrême-droite. Or, si l’opposition n’a pas le pouvoir de décision, elle détient celui des « propositions ». L’attitude du FN dans les conseils départementaux va consister à promouvoir des mesures racistes et anti-sociales et à orienter le débat sur les thématiques d’extrême-droite. Ces « débats » constituent une partie du sommaire des journaux locaux, et l’atmosphère de surenchère islamophobe par exemple en sera alimentée. Il y a fort à parier que la droite aux commandes cédera sans problèmes à ces surenchères, qu’il s’agisse de l’interdiction du voile dans les crèches ou de de la suppression de services publics et de droits sociaux.
De plus le vote FN galvanise les mouvances extra-légales qui évoluent autour de ce parti. Ainsi, la carte de l’implantation du FN et de ses meilleurs scores au premier tour des cantonales coïncide avec celle des zones où sévit une mouvance néo-nazie de plus en plus nombreuse et de plus en plus violente. C’est très visible dans le département que le FN aurait pu gagner au second tour, l’Aisne; c’est dans ce même département que vient d’être démantelée une filière néo-nazie manifestement déterminée à passer au terrorisme violent.
C’est également le cas dans certains départements du Sud, parmi lesquelles le Tarn , lieu d’activisme quotidien et violent des néo-nazis. En Alsace, où les profanations de cimetières Juifs ou musulmans, comme les dégradations de lieux de culte sont très fréquentes, le FN arrive aussi en tête dans de nombreux cantons.
Ceci dément le discours lénifiant tenu sur le Front National par de nombreux analystes. Selon eux, en offrant des débouchés institutionnels et électoraux aux opinions racistes et antisémites, celui-ci était censé marginaliser totalement l’extrême-droite radicale. En réalité il n’y a qu’une seule extrême-droite, dont les composantes électorales et extra-légales se renforcent et s’alimentent mutuellement.
Il ne faut négliger aucun des enseignements de ce scrutin: comme dans d’autres pays d’Europe, l’extrême-droite progresse, dans la rue et dans les urnes. L’institutionnalisation du FN se traduira par des moyens financiers accrus pour l’extrême-droite. Ses militantEs sauront l’utiliser pour l’activisme le plus débridé ainsi que pour intégrer des éléments venus des milices extra-parlementaires, comme c’est déjà le cas dans les mairies FN.
A l’inverse, le projet d’extrême-droite, qui prend corps concrètement, dans les institutions et sur le terrain, suscite aussi une prise de conscience antiraciste et antifasciste, partielle, ténue, mais bien réelle. Elle ne s’exprime pas seulement au plan électoral. Durant ces élections, de nombreux rassemblements locaux contre les meetings FN ont eu lieu, réunissant parfois plusieurs centaines de personnes dans de petites ou moyennes communes. La médiatisation des propos les plus violents et les plus ouvertement antisémites et racistes des candidats FN est d’abord le fait du travail acharné de nombreux militantEs et pas un choix spontané des médias, plutôt portés à la « dédiabolisation » du parti d’extrême-droite. De même, c’est parce que le combat antiraciste, sans cesse décrédibilisé et ringardisé sans arrêt, ne cesse pas au quotidien que le gouvernement est amené à prendre certaines initiatives.
S’il affiche désormais sa volonté de s’en prendre à l’extrême-droite extra-légale, si enfin des procédures sont engagées contre des leaders de la mouvance fasciste comme Dieudonné , si enfin les agressions de femmes musulmanes donnent lieu à des réactions publiques et officielles du Ministère de l’Intérieur, c’est en raison de la pression que nous exerçons collectivement par nos actions.
C’est ce combat que nous appelons à consolider et à intensifier.
MEMORIAL 98
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