23 février 2015 par Secrétariat Entreprises
Une grève massive, qui déjoue la division en filiales du géant du BTP Vinci. Du jamais-vu depuis plus de trente ans en Ile-de-France et dans le bâtiment : près de 700 travailleurs en grève, 5 grands chantiers bloqués et près de 2.000 ouvriers qui se croisent les bras. Récit de cette grève exemplaire par un militant syndicaliste gréviste.
Après la grève de l’an passé chez Vinci qui avait démontré la capacité de mobilisation des travailleurs pour leurs revendications, le collectif CGT-Vinci Ile-de-France a décidé, avant que la négociation annuelle obligatoire (NAO) commence, d’organiser un rassemblement devant le siège de Vinci à Rueil-Malmaison, le 6 novembre 2014. Le collectif CGT-Vinci s’est particulièrement impliqué dans cette initiative, et plus de 500 salariés ont répondu à l’appel. Cette forte mobilisation a encouragé plusieurs délégués de divers syndicats, notamment de la CGT et de la CFDT, à envisager un prolongement à cette action.
Le 7 janvier des délégués de 15 entreprises se réunissaient à Rungis, en intersyndicale [1]. Tirant les leçons de la grève de l’an dernier il fut décidé qu’aucune NAO ne serait signée séparément dans chaque filiale avant d’avoir obtenu une négociation globale avec la maison-mère.
La sauce commence à prendre
Un premier tract d’information fut largement distribué aux travailleurs, réclamant une négociation avec Vinci, avec comme date butoir le 28 janvier.
Une deuxième réunion de l’intersyndicale fut fixée au 4 février 2015. Ce jour-là, le constat fut fait que Vinci ignorait l’intersyndicale et manœuvrait pour diviser. Mais Vinci n’a pas réussi à diviser l’intersyndicale. Dans aucune entreprise, aucun accord NAO n’a été signé. Jamais auparavant, autant d’entreprises n’avaient mené une telle action collective concertée.
Tentatives de division de Vinci
Pour enrayer le mouvement collectif naissant, Vinci, dans certaines entreprises, a proposé des augmentations pour empêcher la grève. Chez Sogea, où le syndicalisme est fort, elle a proposé 1,5% d’augmentation générale pour les ouvriers qui touchent moins de 2.500 euros brut, avec comme argument : « Pour 0,5% de moins que ce que vous demandez cela ne vaut pas le coup de faire grève ».
La réponse a été claire et nette : le 4 février, l’intersyndicale a lancé un mot d’ordre de grève reconductible à partir du lundi 9 février 2015.
Les salariés ont massivement répondu à l’appel sur les chantiers et se sont mis en grève pour des augmentations de salaire et d’autres revendications annexes sur la base d’une revendication de 2% d’augmentation générale des salaires pour tous au minimum. La CFDT proposait 1,5 % mais la CGT ne l’a pas accepté. Aujourd’hui la pratique a montré que c’était une erreur de vouloir baisser le niveau des revendications.
Les propositions des directions des entreprises Vinci (entre 0,3 et 0,5% en moyenne d’augmentation de la masse salariale) ont été majoritairement refusées par les syndicats.
Alors que le Groupe Vinci annonce 2,5 milliards de résultats en 2014, et bénéficie de toutes les mesures gouvernementales (crédit d’impôt compétitivité-emploi, pacte de responsabilité…), c’est l’austérité salariale pour les salariés !
Blocage partiel, puis total
Le premier jour de grève, seul le blocage de la circulation des marchandises et des camions de béton fut organisé. Le deuxième jour, le blocage fut total. A l’exception de tout ce qui concernait la sécurité et la santé. Citons parmi les chantiers touchés par la grève :
celui de la station de traitement des eaux d’Achères ;
le chantier de la Canopée aux Halles-Châtelet ;
celui du stade Arena à Nanterre ;
le chantier Smarov à Saint-Cyr-l’Ecole ;
le chantier Veolia à Aubervilliers.
Cette grève a été massive, du jamais vu depuis plus de trente ans en Ile-de-France et dans le bâtiment : plusieurs centaines de travailleurs en grève (près de 700), 5 grands chantiers bloqués ainsi que plusieurs autres chantiers des entreprises Bateg, Dumez, GTM, Sicra, Sogea-IDF, TPI, CBC… Sur l’ensemble de l’Ile-de-France, sur les grands chantiers ce sont près de 2.000 ouvriers qui n’ont pas travaillé. Ce mouvement a même suscité une autre grève pour une prime de chantier chez NGE-Gantoli.
On démarre ensemble, on termine ensemble
Après quatre jours, la grève s’est achevée victorieusement le vendredi. Le mouvement, démarré simultanément sur la plupart des grands chantiers, s’est terminé tout aussi simultanément, sans qu’il s’effiloche. C’est déjà une grande réussite de mobilisation collective.
Le silence des médias a été assourdissant sur cette grève massive d’une semaine.
L’esprit de solidarité et la ténacité dans l’organisation de la grève (malgré le manque de préparation sur certains chantiers) fut incroyablement élevé.
Soulignons le courage des camarades combatifs qui se sont mobilisés dès 4 ou 5 heures du matin durant toute la grève.
Sympathie même chez les non-grévistes
Il faut aussi remercier les ouvriers non grévistes de certaines entreprises qui n’ont pu travailler du fait des blocages des chantiers, et qui ont manifesté leur solidarité avec nous. Malgré les tentatives de leur direction de les monter contre les grévistes au nom de la « liberté du travail » et qui ne voulait pas les payer. Aussi, l’esprit « un pour tous, tous pour un » conscience élémentaire d’appartenir à une même classe exploitée s’est manifesté avec force.
Pour faire face aux patrons, il n’y avait pas que des délégués, il y avait la classe ouvrière. Les délégués ont été portés et poussés par les travailleurs. Ainsi les négociations NAO chez Dodin se sont déroulées sur le lieu de la grève, sous le contrôle des travailleurs en grève.
Un SMS ridicule de Vinci aux élus du personnel
La fédération CGT de la Construction-Bois-Ameublement a manifesté sa solidarité. Plusieurs secrétaires fédéraux ont apporté leur soutien aux grévistes. Certains patrons de Vinci ont osé envoyer le SMS suivant aux élus du personnel : « N’écoutez pas les personnes extérieures à l’entreprise. »
Génial ! Aucune entreprise de Vinci ne peut prendre seule de décisions sans l’aval du « pouvoir central » extérieur, mais on nous demande de ne pas écouter nos camarades de l’extérieur ! La bourgeoisie veut éviter à tout prix que les travailleurs agissent comme une classe, une force collective, mais comme des individus serviles. Mais là, aussi Vinci a échoué.
Une grande victoire régionale
Certains pensent que nous n’avons pas atteint complètement nos objectifs. Mais pour juger d’un succès ou d’un échec il faut envisager l’ensemble du mouvement et sa préparation. Sans le succès du 6 novembre, la préparation de la lutte, la formation d’une intersyndicale, aurions-nous obtenu ce que nous avons obtenu ? Ce fut une grande victoire régionale qui n’a pas de précédent et qui permet d’espérer d’autres mobilisations plus importantes, seules garantes de succès plus importants.
Penser que l’on peut s’en sortir seul est une illusion. Le patron nous accuse de refuser des augmentations individualisées. Mais pourquoi se fait-il tirer l’oreille pour augmenter l’ensemble des salariés ? C’est qu’il sait lui, qu’il y a une contradiction totale entre son intérêt de patron (gagner le plus possible sur le dos des ouvriers) et augmenter les salaires. Ce que les ouvriers gagnent en plus, c’est ce qu’il gagne en moins ! C’est la bataille éternelle entre la bourgeoisie et classe ouvrière tant qu’existera le système capitaliste d’exploitation de l’homme par l’homme.
Notre grève et sa réussite ont servi d’exemple à d’autres grèves comme sur le chantier d’Achères, chez NGE où les travailleurs ont obtenu 150 euros par mois de prime que leurs patrons leur refusaient depuis juillet.
Une force collective = des résultats
Encore une fois, cette grève nous as montré que la question de l’organisation et la conscience d’appartenir à un collectif, à une classe aux intérêts en opposition totale avec ceux du patronat, sont fondamentales. Là où une lutte donne des résultats, c’est qu’une force organisée collective existe, et là où se construit une force organisée, des luttes fructueuses peuvent se mener. Là où il y a eu une résistance sans faille, des organisations syndicales d’entreprises solides, formées de militants convaincus, les patrons se mordent les doigts.
Pour mener la lutte correctement, pour avoir une perspective de classe et organiser la lutte dans un esprit collectif, le militant ouvrier doit se battre avec et dans sa classe.
Cette lutte et les luttes des dernières années nous ont instruits sur le fait suivant : nombre de négociations n’en sont pas vraiment car elles ne s’appuient sur aucun travail sur le terrain. Nombre de délégués ne font pas confiance aux travailleurs. Ils sont sur le terrain défavorable de la soumission au patronat, dans la recherche systématique d’un compromis sans rapport de force et qui se termine souvent mal pour les travailleurs.
Les maillons faibles de la lutte
Patronat et salariés, nous ne sommes pas des « partenaires sociaux » comme on veut nous en persuader. Il ne faut pas oublier que nous ne sommes pas sur un pied d’égalité avec nos patrons. Alors que le mouvement de grève était au plus haut et nous mettait en position de force, certains délégués, à l’encontre de la décision de l’intersyndicale ont tenté de négocier seuls ou n’ont pas su résister face aux pressions de leurs patrons. Ce comportement a dès le début affaibli le rôle de l’intersyndicale qui n’a pu jouer pleinement son rôle d’interlocuteur central pour les négociations et pour coordonner la lutte.
Mais les délégués CGT ont été fermes et ont défendu le principe : « On a commencé ensemble, on finira ensemble. » Il faut bien comprendre que cette situation, qui a affaibli la force du mouvement, n’est pas le résultat d’un comportement d’un ou deux délégués « achetés par le patronat ». Le caractère et le comportement individuel est secondaire et n’est que l’illustration de l’état de conscience de classe et de l’organisation syndicale.
Nécessité d’une vie syndicale d’entreprise
Souvent, en fait, il n’existe pas de véritable syndicat d’entreprise qui fonctionne vraiment, mais des individus syndiqués. Même quand la CGT est la seule représentante sur une entreprise, il n y a pas fonctionnement collectif. En revanche le patron, avec sa force et son pouvoir économique, sa discipline, son service du personnel (DRH), la mobilisation des cadres (certaines cadres avouent « je suis obligé de suivre »), ses règles disciplinaires, ses mesures discriminatoires envers les meneurs… est très bien organisé. Nous ne pouvons en dire autant des syndicats dans de nombreuses entreprises.
Certains syndicats ou délégués, au lieu de défendre l’intérêt général, défendent leur situation, et leur faiblesse ou leurs intérêts sont au cœur de leur activité. Ce comportement conduit les travailleurs à perdre confiance en leur force, et il n’est pas possible pour eux de faire l’expérience que leur lutte unie les conduits à faire plier le patronat.
Ouvriers, agents de maîtrise et cadres, quelle unité ?
On sait que la CFDT ou la CFTC au niveau national sont des « partenaires » du gouvernement qui promulgue des lois contre l’intérêt des travailleurs. Nous avons néanmoins œuvré pour qu’existe une intersyndicale. En effet, l’unité des salariés et l’unité syndicale à la base est favorable à la lutte. Nous nous y serions opposés dans le cas contraire ou si, au cours de la lutte, elle était devenue un obstacle.
S’est posé au cours de la lutte le problème d’une possible unité ouvriers, agents de maîtrise et cadres. L’unité absolue entre ces trois catégories est un rêve. Plusieurs raisons à cela. Si, formellement, ces trois catégories ont en commun d’être des salariés, elles ne jouent pas le même rôle dans la production. Les ouvriers sont directement au cœur de la production, ils ont un lien étroit, direct, avec la production. Les agents de maîtrise et les cadres sont dans les bureaux, ils ont des tâches qui mettent en avant leur individualité. La notion de émérite individuelé est bien accepté par eux, au contraire des ouvriers.
Le patron utilise très bien cette différence d’état d’esprit pour manipuler et diviser les salariés. Néanmoins, il faut savoir identifier ce qui peut amener les agents de maîtrise et une fraction des cadres à la lutte ou, du moins, à se montrer solidaires. En excluant les cadres supérieurs qui ne seront jamais solidaires des travailleurs car ce sont en fait des patrons. Pour mener un mouvement commun, il faut bien distinguer les revendications de chacun et les limites objectives de la lutte engagée.
Héroïsme individuel à Achères
C’est dans la lutte que se révèlent les positions de chaque organisation et leur tactique. Grâce la lutte on peut également savoir à qui on a à faire. La lutte est à la fois sélective et unificatrice. Elle permet de savoir qui a vraiment envie de se battre.
Une anecdote : un ouvrier de chez Eiffage a été solidaire de la grève sur le chantier d’Achères. Son patron a aussitôt décidé de le muter ailleurs. Lors du dernier jour de grève, les grévistes ont rendu hommage à cet acte de solidarité et ont demandé la réintégration de ce camarade sur le chantier en menaçant de poursuivre la grève. Finalement ce travailleur est revenu sur le chantier. C’est la solidarité entre les travailleurs qui l’a permis. Belle illustration d’une prise de conscience d’appartenir à une même classe.
Conclusion provisoire : C’est dans la lutte que les travailleurs font l’expérience concrète de la lutte de classe, que leur conscience s’éveille et se consolide.
Gymnastique révolutionnaire
Les militants combatifs ont là un terrain favorable pour leur faire comprendre que tout acquis est une victoire, mais une victoire temporaire, sans cesse remise en question par le patronat ou le pouvoir. Il ne faut pas oublier que les lois votées au niveau national par le Parlement sans y être forcé par la lutte des travailleurs ne sont jamais en notre faveur. Voir la loi issue de l’Accord national interprofessionnel (ANI) ou, actuellement, la loi Macron. Toutes en faveur du patronat.
Voilà pourquoi les travailleurs doivent élever leur niveau de lutte, ne pas se cantonner à des revendications locales ou régionales, mais les élever au niveau national en une lutte de toute la classe contre le pouvoir politique de la bourgeoisie vers le but vers lequel l’histoire les entraîne, l’abolition de leur état d’esclaves du capital.
Un militant syndicaliste gréviste
[1] Y étaient représentées les fédérations CGT, CFDT, FO et CFTC, et des délégués des entreprises suivantes : Sogea-TPI, Sogea-IDF, GTM-Bâtiment, GTM-TP, Dumez, Chantiers modernes, Bateg, Sicra, CBC, Botte Fondation, EMCC, Dodin CB, Petit, Delair-CFD, Lainé-Delau, Solumat.
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