par Fabien Perrier 18 février 2015
Après la victoire de Syriza en Grèce et la mise en place du gouvernement d’Alexis Tsipras, le bras de fer continue avec les créanciers et partenaires européens. Comment va évoluer ce rapport de force ? La Grèce obtiendra-t-elle une renégociation du remboursement sa dette ? Le gouvernement grec a-t-il une chance de faire valoir ses positions et de pouvoir faire respecter les engagements pris auprès du peuple grec ? Gavriil Sakellaridis, ministre et porte-parole du gouvernement, a accordé un entretien à Basta ! pour faire le point sur la situation.
Le 25 janvier, en Grèce, le résultat des élections législatives est clair : les citoyens se sont prononcés contre l’austérité. Au bord du défaut de paiement, la Grèce avait accepté en 2010 que la Troïka [Banque centrale européenne (BCE), Commission européenne et FMI] lui dicte les politiques à mener : coupes dans les dépenses publiques, baisse des salaires, des retraites et des minima sociaux, hausse des taxes et impôts… Résultat : en quatre ans, le chômage a été multiplié par trois, pour atteindre 25% [1], un tiers de la population est tombé dans la pauvreté, le tissu économique a été détruit – près de 250 000 petites entreprises ont disparu alors qu’elles constituent l’essentiel de la base productive grecque…
Syriza, regroupant la gauche grecque (eurocommunistes, féministes, écologistes, mouvements sociaux…) a été élu avec 36,4% des suffrages exprimés, et dispose de 162 sièges au Parlement avec son partenaire gouvernemental (Grec Indépendant). La nouvelle majorité a promis de tourner le dos à cette politique d’austérité. Une décision accueillie froidement par les dirigeants européens. Alexis Tsipras, le nouveau Premier ministre, et son ministre des Finances, Yanis Varoufakis, effectuent une tournée européenne pour obtenir les soutiens des autres États. Ils essuient un « non » cinglant dans la plupart des capitales. Même François Hollande semble peu enclin à apporter son aide et à prendre ses distances par rapport à la ligne d’Angela Merkel. Le soir même de la rencontre entre le Premier ministre grec et le président français, la BCE décide de couper un des robinets de liquidités dont dispose la Grèce.
Ce coup de pression ne semble déstabiliser ni le gouvernement grec ni la population. Celle-ci manifeste presque tous les jours, et systématiquement lors des sommets européens ou des réunions de l’Eurogroupe, pour montrer qu’elle reste aux côtés de ce gouvernement qu’elle a choisi. Le 16 février, les dirigeants européens continuent de demander aux Grecs d’appliquer les politiques des « memorandums », signés depuis 2010. Les élus claquent la porte, refusant le chantage. La Grèce sortira-t-elle de la zone euro ? « Notre trajectoire est européenne », répond à Basta ! Gavriil Sakellaridis, ministre auprès du Premier ministre et porte-parole du gouvernement. L’ancien candidat à la mairie d’Athènes livre dans cet entretien les lignes directrices de son gouvernement. Avec une première ligne rouge : ne pas tourner le dos aux promesses de campagne. « Nous tenons à respecter le mandat que les électeurs nous ont donné », explique-t-il. Une évidence, peut-être. Mais une promesse pas si simple à tenir dans le paysage politique actuel.
Basta ! : Depuis plusieurs jours, en Grèce et ailleurs en Europe, ont lieu des manifestations de soutien au gouvernement grec. Ces mobilisations pèsent-elles dans les discussions européennes ?
Gavriil Sakellaridis : Elles jouent un très grand rôle : elles nous encouragent, nous inspirent, nous motivent. Elles nous donnent aussi du poids dans les négociations. Lors de la dernière réunion de l’Eurogroupe, nous étions tous connectés et regardions les réseaux sociaux. Nous étions émus de voir la mobilisation en Grèce et en Europe en faveur d’un gouvernement. Nous nous disions que nous ne pouvions vraiment pas décevoir ces électeurs qui ont placé beaucoup d’attentes en nous.
Les dirigeants européens exercent de fortes pressions pour éviter un changement des politiques appliquées en Grèce. Quelle est la ligne rouge à ne pas franchir ? Accepteriez-vous par exemple de revenir sur l’embauche des fonctionnaires ?
Pour nous, c’est une ligne rouge. Nous tenons à respecter le mandat que les électeurs nous ont donné. En aucun cas, nous n’appliquerons un programme rejeté par le peuple grec. Ce n’est pas par obstination ! Nous considérons aberrant de demander à un peuple d’appliquer un programme qui l’a mené là où il en est aujourd’hui. Nous voulons trouver un accord pour mettre un coup d’arrêt à la crise humanitaire qui sévit en Grèce, assurer le redémarrage de l’économie, la mise en place un plan de lutte contre la corruption, l’évasion fiscale, la fraude fiscale, un accord qui permette d’appliquer une réforme de l’administration pour qu’elle soit plus efficace.
Certains analystes affirment que vous auriez abandonné l’idée d’une restructuration de la dette…
En aucun cas le gouvernement grec n’a reculé sur le problème de la restructuration de la dette ! Il est hors de question qu’un peuple entier paie quelque chose qui ne peut en aucun cas être remboursé. Nous recherchons toutefois des solutions qui soient acceptables pour nos partenaires et créanciers, dans le cadre de nos négociations. Nous savons qu’au sein de l’Eurogroupe, les autres ne sont pas favorables à notre position sur la dette. Mais nous sommes obligés de poser ce problème, et nous le reposerons jusqu’à ce qu’une solution soit trouvée. La question du règlement des dettes publiques, mise sur la table par le gouvernement grec, est vraiment cruciale pour le reste de l’Europe. Cela pose la question d’un meilleur futur pour tous les Européens. Elle concerne l’Europe dans son ensemble. Nous avons vraiment besoin de la solidarité des Européens !
Quelles sont vos propositions, alors ? Un moratoire, l’annulation d’une partie de la dette, une révision des taux d’intérêt ?
Pour nous, l’aspect technique reste ouvert. L’important est que la dette n’accable pas le peuple grec, qui est exsangue. Les solutions techniques seront examinées par nos équipes d’experts. Par exemple, il y a eu une restructuration en 2012 : elle n’a rien réglé et n’a pas rendu la dette viable, malgré un effacement de 50%. Les équipes d’experts économiques du gouvernement grec réfléchissent à des solutions techniques qui rendent la dette viable. Beaucoup de solutions sont possibles.
Souscrivez-vous à l’idée qu’il serait possible de conclure un accord « technique » et non « politique » à Bruxelles ?
Absolument pas ! Il ne s’agit pas d’une négociation technique. Nous avons reçu un mandat de la part des électeurs. Les négociations ont une importance politique. D’ailleurs, nos différences de point de vue sont bien politiques.
La conclusion d’un accord représenterait-elle une victoire politique pour Syriza ?
Tout dépendra du contenu de l’accord. Le gouvernement a déjà obtenu des victoires que le peuple grec n’avait pas obtenues depuis cinq ans. Il a notamment réussi à mettre la question de l’austérité sur la table des discussions européennes. Avant les élections, on entendait pourtant qu’une victoire de Syriza entrainerait banqueroute et isolement du pays. Nous avons démontré le contraire et nous avons même réussi à imposer notre voix.
Comment expliquez-vous que le gouvernement espagnol, qui subit pourtant de plein fouet les effets de la crise et des politiques d’austérité, soit l’un des plus virulents contre les propositions grecques et la renégociation de la dette ?
Dans de nombreux pays de l’Eurogroupe, des élections doivent se tenir prochainement. N’importe quelle concession à la Grèce mettrait les dirigeants politiques en position difficile par rapport à leurs électeurs. C’est un problème politique pour eux. Au nom de leurs intérêts propres, certains gouvernements ont intérêt à étouffer la demande grecque. Ce que doivent savoir les peuples européens, c’est qu’une victoire du gouvernement grec aura des conséquences positives pour les peuples français, portugais, irlandais, espagnol… Si tout cela aboutit à un relâchement des politiques d’austérité, cela sera dans l’intérêt de tous les peuples. Il ne faut pas perdre cela de vue !
Si les négociations avec l’Europe devaient échouer, seriez-vous prêts à rechercher d’autres coopérations à l’échelle internationale ?
Pour le moment, notre objectif est de réussir ces négociations. Nous y travaillons avec acharnement. La trajectoire empruntée par la Grèce est clairement européenne. Cependant, il nous paraît important de conserver une politique extérieure avec d’autres pays et de développer des relations bilatérales au niveau politique, commercial… avec des pays hors de l’Union européenne.
Les visites et contacts avec la Chine et la Russie sont-ils pour vous un moyen de pression dans les négociations avec l’Eurogroupe ?
Nous ne considérons pas que c’est une pression, mais que la Grèce peut jouer le rôle d’un lien entre l’Europe et d’autres pays en dehors de la communauté, afin de promouvoir la paix, la stabilité et le développement.
Les revendications du gouvernement grec envers l’Allemagne, comme le remboursement de l’emprunt forcé contracté sous le régime nazi [2], sont-elles une carte dans les négociations ou une demande véritable ?
Ces demandes n’ont aucun rapport avec les négociations. C’est une question de principe. Cette demande a en effet une dimension historique : il s’agit de clore un chapitre de l’histoire entre les deux pays. Cette dette est une tache noire sur l’Histoire, une honte. C’est un fardeau que nous supportons depuis 70 ans. Et s’il ne s’agissait même que d’un euro, nous l’aurions réclamé.
Propos recueillis par Fabien Perrier
Photo : CC thierry ehrmann
Notes
[1] Le chômage frappe aujourd’hui 25,5% de la population et 50,5% des jeunes
[2] Le gouvernement grec réclame une somme d’environ 162 milliards d’euros à l’Allemagne. L’équivalent de la moitié de sa dette publique de plus de 315 milliards d’euros. Un accord signé en 1953 a permis à la RFA d’annuler plus de 60% de sa dette contractée avant et après-guerre. La Grèce était alors un des 21 créanciers. Voir le détail ici.
Commentaires récents