mercredi 11 septembre 2013
Pardonnez-nous pour le dérangement,
mais nous ici, nous nous sommes révoltés
Reporter : Ici où tu vis, dans le conteneur, c’est bien ou tu veux retourner dans ton pays ?
Migrant : Non, ici c’est la merde, nous vivons comme des animaux, mais je ne veux pas retourner dans mon pays.
Ministre de la Police et de Répression Dendias (sourire ironique) : Il lui faut du temps. Dans un mois, un mois et demi, il va changer d’avis.
Le camp de concentration d’Amygdaleza
Effectivement. Les immigrés incarcérés ont très vite changé d’avis. Pas pour demander à être « rapatriés », ne pouvant plus supporter les conditions de détention invivables et les moyens brutaux utilisés par l’État grec, mais en transformant leur désespoir en rage et révolte.
Le samedi 10 août 2013 au soir, dans le camp isolé et muré d’immigrés sans papiers d’Amygdaleza, le plus grand centre de rétention en Grèce, dont la première année de fonction est stigmatisée par des tortures physiques et psychologiques constantes, les damnés brûlent les murailles et les consciences, et deviennent au moins pour quelques instants visibles avec leur corps et leur voix.
À vingt-cinq kilomètres du centre d’Athènes, dans un no man’s land immense et inaccessible, où des barbelés succèdent aux flics qui succèdent aux barbelés, les insurgés immigrés mettent le feu aux conteneurs-cages, attaquent leurs geôliers avec des bouteilles en plastique et du gravier, essaient de briser les portes en fer et les clôtures, et dix d’entre eux trouvent provisoirement le chemin de la liberté, hors de ce qu’ils appellent le « Guantanamo grec ».
« Pendant une heure et demie, nous avons livré bataille, à huit contre mille. Et tous les huit nous avons été battus et nous nous sommes estropiés. S’ils voulaient et s’ils avaient eu un meilleur plan, ils nous auraient tués » (témoignage, évidemment faux, d’un policier de l’équipe d’intervention d’urgence).
Personne n’a vu de flic « estropié » ; nous avons vu les immigrés maltraités, transportés enchaînés au tribunal, mais personne n’a pu rencontrer les migrants blessés plus grièvement sur lesquels les gardiens ont lancé leur fureur vengeresse qui restent « disparus » dans le camp. Au dehors, des flics à moto et des fascistes patrouillent pendant des jours, comme des « lévriers » au cœur de merde à la recherche des gens à la peau foncée qui ne menacent personne ni rien, sauf le maire d’Acharnon S. Duros et ses semblables, qui « restent enfermés dans leurs maisons parce qu’ils ont peur des fugitifs ». Qu’ils y restent pour toujours !
La révolte et la solidarité dans et hors les murs vont écraser la barbarie
Les immigrants arrêtés comme responsables de l’insurrection sont amenés au « centre de détention de Petrou Ralli » et au commissariat de police de Menidi, où ils sont « accueillis » avec des bastonnades et des humiliations. Aux détenus d’Amygdaleza la police impose l’interdiction de sortir pendant presque dix jours ; ils restent ainsi « enterrés » dans des conteneurs, dont plusieurs sans électricité, d’autres sans eau, l’atmosphère étant suffocante à cause des gaz lacrymogènes. Ils sont privés de toute communication, même avec des avocats, et ils subissent le travail forcé qui va du nettoyage des locaux du camp jusqu’à celui des voitures des flics. Un immigrant, qui n’était pas impliqué dans les événements, est meurtri par les coups des flics, juste parce que son avocat avait réussi à parler avec lui quelques minutes avant.
Dans le centre de Petrou Ralli, les immigrants endurent chaque soir les tortures et la terreur racistes. La nourriture est insuffisante et misérable.
Le lundi 12 août, cinquante-sept immigrés originaires du Pakistan, du Bangladesh, d’Afghanistan et du Maroc sont transférés au tribunal. Sans avocats (à l’exception de deux ou trois qui étaient là par conscience, sans être partie prenante de la procédure), sans traducteurs, avec un interprète désigné, sans comprendre ce qui se passe et ce qui va leur arriver. Ils sont accusés de crimes : révolte avec tentative d’évasion violente, attaque contre des personnes chargées de la garde à vue, évasion et tentative d’évasion, graves lésions corporelles, incendie criminel en commun, destruction de propriété étrangère, outrage.
En réalité, il n’y a qu’une seule « accusation » : rébellion contre l’enfer qu’ils vivent chaque jour.
L’enquêteur et le procureur décident la détention préventive pour vingt-quatre parmi les cinquante-sept, ce qui signifie qu’ils restent détenus en isolement à Petrou Ralli. Très vite, cependant, ils sont dispersés entre diverses prisons du pays et la prison centrale d’Athènes.
Les autres seront ramenés à Amygdaleza ou dans un autre camp de rétention. La procédure reste ouverte. Jusqu’à maintenant, au total, soixante-cinq migrants sont poursuivis. Sur les dix qui avaient réussi à s’enfuir, quatre ont été arrêtés.
Pendant trois jours, des immigrants affamés, assoiffés, maltraités, certains pieds nus, mais dignes et la tête haute, sont traînés de bâtiment en bâtiment dans un tribunal bondé de flics et de policiers en civil mais vide de regards de solidarité et de gestes de soutien.
Le rassemblement de solidarité est interdit par le procureur. Des policiers antiémeutes font sortir avec violence un groupe d’environ trente solidaires des milieux antiautoritaire, anarchiste et autonome, et des assemblées de quartier ; cependant, ils sont maintenus hors des tribunaux, affichant leurs banderoles et scandant des slogans lors de l’apparition d’immigrants.
Pour quelques bouteilles d’eau et de jus d’orange données aux migrants, il a fallu l’intervention d’un avocat devant le procureur. Une paille est interdite : « Avec ça, ils peuvent enlever les menottes. En outre, c’est une insulte à la police grecque. Nous leur donnons tout ce qu’ils veulent. »
(C’est vrai… Amygdaleza et les centres de détention d’immigrants sont, entre autres, un énorme « business », avec des remises directes aux fournisseurs spécifiques… qui ravagent les fonds de l’Union européenne. Pour les mille six cents à deux mille prisonniers d’Amygdaleza — puisqu’il n’y pas de données officielles sur leur nombre exact —, l’UE paie cent vingt mille euros chaque jour !, somme traduite en rations incomplètes et de mauvaise qualité et en moyens de nettoyage inexistants.)
Il n’y a pas de loi, il n’y a pas de « droit » pour les accusé. Pas de journalistes, d’éditorialistes « sensibles » à cette cause, de groupes, de réseaux ou d’organisations « pour les droits des réfugiés et des migrants », de centaines d’organisations avec des noms ronflants et des déclarations pompeuses pour rien, de « communautés immigrées », d’ONG subventionnées pour garder le silence. PERSONNE. Le désert et les barbelés du camp s’étendent partout. Il y a seulement quelques « ordres d’en haut » et la moquerie. Il y a le mensonge ordonné par le pouvoir, les mots usurpés camouflant l’horreur des actes appellent Opération « Xenios Zeus » la chasse à l’homme quotidienne des migrants dans les villes et la campagne, nomment « centres d’hospitalité » les lieux de la persécution de personnes dont la seule « erreur » est le fait d’exister. Il y a aussi le martèlement des médias dominants et des faiseurs d’« opinion publique » qui ciblent consciemment et méthodiquement l’« ennemi le plus dangereux » de la société grecque, l’« envahisseur », le « barbare », l’« impur », l’immigrant et l’immigrante, avec ou sans papiers.
Malgré tortures et humiliations, malgré le manque de solidarité, les immigrants dans les tribunaux semblent trouver force et courage, font le signe de la victoire lorsqu’ils peuvent et saluent souriants.
Et ce n’est ni l’extension de la privation de leur liberté de douze à dix-huit mois, sans avoir commis aucune « infraction pénale », ni l’entrave par tout moyen de leur « régularisation », ni les conditions de détention et d’hygiène déplorables, ni le désespoir de l’isolement et l’absence de toute perspective prometteuse qui constituent la cause de leur digne rébellion. C’est aussi tout cela, mais, en un mot, c’est surtout le désir et la volonté de la vie et de la liberté, la résistance spontanée contre la barbarie armée.
Amygdaleza, Corinthe, commissariats de police…
émeutes, grèves de la faim, suicides
En avril 2013, des centaines d’immigrés détenus dans divers camps et commissariats, lieux infernaux, se révoltent en commençant une grève de la faim qui, en vingt-quatre heures, se propage aux espaces d’enfermement de tout le pays, avec la participation d’environ mille huit cents prisonniers.
Le 24 avril, douze Afghans et quatre Syriens commencent une grève de la faim dans le port de Mytilène, refusant d’accepter la nourriture que leur portent les bénévoles locaux qui s’occupent de l’alimentation des réfugiés et des immigrants qui restent au port.
Le 23 juin 2013, un immigré de vingt ans, venu de Côte d’Ivoire, se suicide dans le poste de police de la ville de Grevena où il était détenu pour être déporté dans son pays.
Le vendredi 12 juillet, un immigré de vingt-six ans, en provenance du Pakistan, s’est pendu dans les toilettes du commissariat de la ville de Servia. Il a été arrêté parce qu’il n’avait de papiers.
Le samedi 27 juillet, le réfugié afghan Mohammad Hassan, emprisonné avec une infection et une insuffisance respiratoire dans le camp de concentration de Corinthe, meurt ; en fait, il est assassiné par un régime qui pendant onze mois interdit son transfert à l’hôpital. Là, il reçut le document de « libération conditionnelle » avec une suspension de l’expulsion des « six mois pour des raisons techniques ». Vraiment libre à sa mort.
Le samedi 24 août, un réfugié d’Afghanistan, dans le même camp, escalade les grilles de la fenêtre du deuxième étage et tombe dans le vide, d’une hauteur de cinq mètres ; il subit de multiples fractures et est transféré grièvement blessé à l’hôpital.
Le mercredi 28 août, quatre cents migrants en détention pendant plus d’un an dans le centre d’Orestiada commencent une grève de la faim. Tous ne demandent qu’une seule chose : la liberté.
Pendant les trois, quatre derniers mois, il y a eu des dizaines de tentatives de suicide dans les camps, tandis que de nombreux incidents de protestation, de réaction et de répression sont systématiquement cachés par la police et le gouvernement.
Et la longue liste de la meurtrière politique antimigratoire augmente tous les jours. Les immigrants sans papiers, dans leur tentative de traverser la frontière, trouvent une mort tragique, soit par noyade dans la mer Égée et le fleuve Évros, soit par les souffrances de leur terrible parcours. Même s’ils parviennent à entrer dans le pays, ils se trouvent face aux pogroms policiers, aux couteaux des fascistes, aux fusils des patrons et aux comportements racistes des « chefs de famille ».
Le ministre de la Police Dendias : « Quand on les arrête, on les nettoie, on les confine et on leur donne la possibilité de rentrer chez eux. » Quelle « possibilité » ? Même les migrants qui souhaitent rentrer dans leur pays restent en prison pendant des mois sans aucune explication, puisque l’objectif réel des dirigeants est de les faire « disparaître » de l’espace public et de les isoler dans des centres de rétention éloignés et inaccessibles.
Il poursuit : « Nous avons fermé l’accès par le fleuve Évros. Et qu’est-ce que nous leur disons ? Si vous venez en Grèce, vous ne serez pas libres, vous ne pourrez pas aller ailleurs, à l’étranger, nous allons vous arrêter, vous mettre dans un centre, vous resterez là et le seul moyen d’en sortir, est de signer une déclaration et de rentrer dans votre pays, sinon nous vous y ferons rentrer. »
Il « oublie » d’ajouter : vivants ou morts…
Avec le parti de la mort ou avec la vie de la lutte
La révolte des damnés d’Amygdaleza, les soulèvements qui l’ont précédée, ceux qui vont suivre, mis à part les raisons évidentes qui les provoquent, illustrent la détermination des immigrés de ne pas être enterrés « vivants » dans les lieux de détention et leur courage de se soulever contre les geôliers avec les moyens qui sont à leur portée. C’est un acte de refus, contre l’État raciste, contre la politique policière du ministre Dendias, contre la discrimination raciale et sociale diffuse comprise dans la pensée et l’action de la droite, du centre, des électeurs de la gauche démocratique jusqu’aux nervis et électeurs du parti nazi « Aube dorée », contre tous ceux qui poussent à la propagation des centres infernaux.
La solidarité avec les immigrés insurgés, seuls à se battre en temps « d’accalmie estivale et de relâche du mouvement », est partie prenante de la lutte contre l’exploitation, l’humiliation, l’esclavage, la mort, c’est-à-dire contre tout ce que représentent et défendent le pouvoir, les petits et grands patrons, les fascistes et leurs sbires.
Les migrants, par leur soulèvement, défendent la meilleure part de la société. Nous devons également les défendre dans leur quotidien invivable.
Nous sommes et nous serons avec eux.
Force et solidarité avec les migrants révoltés d’Amygdaleza !
Démolissons les camps de concentration d’immigrant•e•s !
Initiative No Lager
août 2013.
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