Égypte insurgée, Les quartiers généraux des Frères Musulmans brûlent, vendredi 22 mars
Posted on 23 mars 2013 by juralib
Aujourd’hui vendredi 22 mars 2013, des manifestations ont été appelées par une vingtaine de partis d’opposition devant les quartiers généraux des Frères Musulmans pour dénoncer la violence dont ces derniers ont fait preuve samedi dernier contre des journalistes devant leur siège et des auteurs de graffiti sur les murs de leur quartier général au Caire. La principale des manifestations, qui dure toujours à l’heure où j’écris, a eu lieu au Caire et s’est vite transformée en affrontements d’une violence jamais atteinte, après que les jeunesses des Frères Musulmans aient attaqué un des cortèges.
Les manifestants ont mis le feu à un Frère Musulman.
Mais les Frères Musulmans tabassent de la même manière les manifestants qu’ils capturent.
Le siège des Frères Musulmans à Alexandrie a été complètement saccagé par les manifestants. Les meubles, ordinateurs, ont été jetés dans la rue. Des rumeurs disent aussi que le bureau des Frères également à Alexandrie dans la quartier d’Asafra a été brûlé pendant que les affrontements continuent ce vendredi soir à Sidi Gaber, juste en dehors de la zone militaire nord d’Alexandrie et dans la rue Feld Maréchal Ismail ainsi que dans les rues avoisinantes. À Mahalla le siège du parti Justice et liberté (parti des Frères Musulmans) a été brûlé pendant que des affrontements opposent manifestants et Frères Musulmans qui tentent de protéger leur siège à Tanta. Les quartiers généraux des Frères Musulmans auraient été brûlés dans 5 villes pendant que des affrontements ont lieu dans de nombreuses villes.
À Zagazig, la maison de Morsi a été encerclé par le mouvement du 6 avril qui appelle les habitants à venir les rejoindre et empêcher la famille de Morsi de rentrer chez elle. Le trafic des trains entre le Caire et la Haute Égypte a été bloqué par des barrages sur la voie à hauteur de Giza, Al Ayat et Al Badrasheen.
Au Caire plusieurs marches ont été organisées de différents endroits de la ville, place Nafoura (où ont eu lieu des affrontements), et place Sayeda Aisha par exemple, pour se rejoindre dans la banlieue de Moqattam où est situé le quartier général des Frères. Beaucoup de femmes dans les manifestants. Les manifestants ont brûlé sur leur route le bureau des Frères à El-Manial avant de se rendre à Moqattam, 6 km plus loin.
Les Frères Musulmans avaient mobilisé les Frères de tout le pays pour protéger leur quartier général. Quand les manifestants sont arrivés à Moqattam, les jeunesses des Frères Musulmans ont commencé à les attaquer violemment puis se sont réfugiés derrière les 3000 policiers qui protègent le quartier général des Frères Musulmans en scandant “État islamiste”, “Sharia contre l’État séculier” ou “Police et islamistes, front commun” pendant que les manifestants crient “Les Frères ne sont pas des musulmans”. Et toujours “Le peuple veut la chute du régime” ou “À mort Mohamed Badie” (le chef de la confrérie).
Une véritable guerre civile dans les rues autour de Moqattam a lieu actuellement entre manifestants et habitants d’un côté et la police et les Frères de l’autre. Les affrontements pourraient bien durer tout la nuit. Les habitants du quartier ont créé des milices pour protéger les maisons et pour empêcher les bus de Frères venant de tout le pays, d’approcher le quartier. Ce qui oblige ces derniers à venir à pied ou à être déposés à une station de métro pour ensuite rejoindre leur quartier général. Sur le trajet, des gens depuis leurs balcons encouragent les manifestants et injurient les Frères Musulmans ou leur jettent des objets sur la tête ou encore de l’urine. Le niveau de violence atteint est selon des participants hallucinant. Des Frères Musulmans tirent avec des armes à feu. Du coup, des bus qui les transportent ont été brûlés, des ambulances qui transportent des Frères blessés sont bloquées. Des Frères Musulmans qui ont été capturés par les manifestants sont lynchés, battus violemment par les manifestants, torturés même disent certains, et leurs corps ensanglantés abandonnés sur la chaussée.
Des Frères Musulmans ont enfoncé les portes de la mosquée de Moqattam pour s’y réfugi
Manifestations dans la semaine avant ce vendredi
Jeudi 21 mars, à Port-Saïd des milliers de manifestants ont accompagné pour ses funérailles Salah Abdel Azim assassiné par la police. Les gens chantaient “Le peuple veut la chute du gouvernement” et “Aussi longtemps que le sang égyptien vaudra aussi peu, nous ferons tomber les gouvernements”.
À Suez, mercredi 20 mars, la troisième armée de campagne a procédé à l’évacuation de 120 familles qui occupaient illégalement des logements, pendant qu’un groupe de protestataires se rassemblait pour dénoncer la répression d’une manifestation de sans emplois par l’armée la veille mardi.
Mercredi toujours, les employés du Sénat au Caire ont manifesté pour dénoncer les appointements supérieurs de 90 membres qui ont des places plus importantes parce qu’ils font partie des Frères Musulmans et leur attitude persécutrice à leur égard.
Les résidents de Salloum dans le gouvernorat de Matrouh ont bloqué la route dans la semaine reliant l’Égypte et la Libye pour protester contre les règles imposées par les nouveaux visas de Tripoli. Les autorités libyennes exigent maintenant que les Égyptiens d’acquérir un visa de 10 jours coûte l’équivalent de LE500. Les manifestants ont bloqué la route aux camions libyens entrant et sortant du pays.
Les étudiants de l’université religieuse Al Azhar qui forme les principaux religieux du pays, ont manifesté toute la semaine pour dénoncer les mauvaises conditions d’hébergement dans les dortoirs, la mauvaise nourriture et les violences faites par la police aux étudiantes en grève de la faim pour les mêmes raisons. Ils réclament la démission du responsable des résidences étudiantes.
Mardi 19 mars, les journalistes photos ont manifesté devant le Sénat pour dénoncer les attaques croissantes dont les salariés des médias sont victimes.
Le 19 mars également les amis de Okacha présentateur télé ont manifesté devant la Haute Cour pour demander l’annulation de sa condamnation à 6 mois de prison pour avoir insulté le président.
Lundi soir 18 mars, deux personnes sont mortes lors d’affrontements au Caire dans le quartier de Shubra. Un jeune de 15 ans a été assassiné par le fils de Gamal Saber, coordinateur du Lazem Hazem — un groupe de soutien salafiste à l’ancien candidat à la présidentielle Hazem Salah Abou-Ismail.
Aussitôt environ 200 personnes, avec les parents du garçon mort, ont voulu venger cette mort en essayant de lyncher l’assassin salafiste en tirant grenaille, lançant des cocktails Molotov et brandissant des armes blanches contre les policiers qui le protégeaient. Soixante-dix voitures particulières ont été brisées et quatre magasins ont été attaqués au cours des violences. Deux personnes ont été tuées dans les affrontements. Le criminel a été finalement arrêté. Les habitants du quartier de Shubra ont salué l’arrestation du criminel par la police, un certain nombre d’entre eux formant des chaînes humaines autour de la station de police dans lequel le fils de Saber était détenu pour empêcher qu’il soit libéré par les salafistes.
Lundi 18 mars aussi a eu lieu une manifestation à Alexandrie en solidarité avec le militant Hassan Mustafa, qui a été condamné à 2 ans de prison sans raison.
La contestation se déplace sur le terrain social
Des milliers de travailleurs de la Société Idéal ont protesté contre le Conseil d’État lundi 18 mars demandant l’annulation de la décision de privatisation de l’entreprise.
Idéal était une société d’État jusqu’à sa privatisation en 1997. Les nouveaux propriétaires de l’entreprise ont donné aux travailleurs le choix de continuer à travailler pour eux ou de quitter l’entreprise avec une indemnité de deux mois de salaire pour chaque année travaillée.
Mais les travailleurs privatisés ont un salaire mensuel de 900 LE, pouvant être licenciés à tout moment alors que les employés de la société d’État recevaient 1200 LE sans pouvoir être licenciés.
Mais surtout dimanche 17 mars, la violence dans différents gouvernorats a été causée par les conditions que le FMI a mis à l’Égypte pour lui donner son aide. Le gouvernement a accentué ses restrictions du gasoil subventionné, ce qui a eu comme conséquence la hausse de son prix au marché noir et rendu la vie des gens de plus en plus difficile. Il y a eu plusieurs dizaines de blessés et 1 tué dans des affrontements à Beni Suef, Qalyubiya et Assiut. Plusieurs automobilistes ont coupé la route entre Beni Suef et Gharbiya. À Qalyubiya, les affrontements ont eu lieu les armes à la main. Le train et les véhicules ont été complètement bloqués à Mahalla al-Kobra pour la deuxième journée consécutive. À Kafr el Sheikh, les manifestants ont bloqué la mairie avec des chaînes. Les paysans à Beheira se disant incapables de payer le gasoil ont attaqué une station pour se servir. Pareil à Daqahliya. La route a été coupée à Hurghada. Des bagarres ont également eu lieu entre automobilistes provoquant la mort de l’un d’entre eux à Giza.
Parmi les mesures récemment évoquées pour satisfaire le FMI, il y a le fait de relever de 9000 à 12’000 LE le plafond de l’exonération d’impôts sur le revenu, l’augmentation des tarifs douaniers sur les produits de luxe ainsi que les taxes sur les alcools, les cigarettes, l’acier et le ciment qui avaient provoqué un soulèvement en décembre et d’autres mesures encore. Outre ces mesures, le gouvernement entend augmenter les prix du carburant, de l’essence et du gasoil, ce qui entraînerait une hausse des prix de 50 % d’après les experts. Ce qui serait une catastrophe. Déjà 20 % des Égyptiens vivent avec à peine plus d’un dollar par jour.
Mais surtout ce qui inquiète toute l’Égypte ce sont les restrictions ou la hausse annoncée du prix du pain, par l’abandon d’une partie des subventions d’État. Or le pain subventionné est la base de l’alimentation égyptienne. Ce qui rendra la situation hautement explosive dans toute l’Égypte. Tout le monde ayant le souvenir des émeutes du pain en 1977 et 2008. Une première expérimentation devrait avoir lieu dans deux mois à Port-Saïd.
Déjà des centaines de boulangers subventionnés ont saccagé pour la deuxième fois ce mardi 19 mars le ministère de l’alimentation pour protester contre les restrictions de gasoil qui font monter les prix en criant “À bas Morsi, à bas Bassem Ouda” (le ministre).
Après les étudiants, les islamistes perdent les élections chez les journalistes
Dans les élections professionnelles étudiantes, sur 21 universités publiques (Port-Saïd n’a pas encore voté), les groupes d’opposition laïcs ont obtenu 66% des sièges contre 34% aux Frères Musulmans, ces derniers n’obtenant la majorité que dans une seule université semble-t-il, alors qu’ils ont mis tout leur poids pour influencer le vote, leur base sociale se trouvant surtout là et sachant que l’an passé ils avaient la majorité dans 12 universités.
Pour les élections professionnelles dans la presse, malgré une violente campagne hostile du pouvoir, les journalistes ont élu un opposant au régime des Frères, Diaa Rashwan, qui a remporté la présidence du syndicat des Journalistes avec 1280 voix contre 1015 voix pour son principal concurrent Abdel-Mohsen Salama.
Quant aux 6 membres élus du conseil du syndicat, ils représentent tous le « courant de l’indépendance » opposé à l’intervention de l’État dans les affaires du syndicat et connu pour son hostilité au régime des Frères Musulmans.
Les résultats de ces élections sont perçus comme un message fort adressé au régime des Frères Musulmans, accusé de vouloir mettre au pas les journalistes indépendants.
Pour Gamal Fahmi, membre réélu du conseil, ces élections sont le début d’un combat crucial. “Aujourd’hui, le syndicat des Journalistes s’est libéré de la poigne des Frères musulmans et de leurs tentatives de le kidnapper.”
Depuis l’élection du président Mohamad Morsi il y a près de huit mois, deux journalistes ont été tués sur le terrain, plus de 150 ont été convoqués par le Parquet général pour des délits de publication, dont 25 accusés de diffamation du président de la République. Les agressions corporelles contre les journalistes hostiles aux islamistes se sont multipliées, alors que plusieurs publications ont vu leurs numéros confisqués et leurs locaux assiégés ou incendiés. Sous une nouvelle Constitution qui n’exclut pas la peine de prison pour les délits de publication et qui autorise la fermeture des journaux, les journalistes se sentent sans défense.
À l’annonce des résultats, des centaines de journalistes en liesse ont investi les locaux du syndicat et des slogans hostiles aux Frères Musulmans y ont retenti.
Après les élections des unions estudiantines, celles des journalistes viennent confirmer la tendance et le poids réel des Frères Musulmans avec une base populaire en pleine érosion. L’incendie des sièges des Frères Musulmans de ce soir en est une illustration. Comme le disait un écrivain connu “le compte à rebours pour le départ des Frères Musulmans a commencé”.
Jacques Chastaing, Groupes anticapitalistes et révolutionnaires du Grand-Est – mailing, 22 mars 2013 – 23h22
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