/2025/07/10/000-493v2q9-686fe88dbc8bb878831018.jpg)
Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
/2021/12/14/61b8b99b4785b_valentine-pasquesoone.png)
Publié le 16/07/2025 05:59
Derrière la guerre dans la bande de Gaza, l’Etat hébreu soutient l’expansion de colonies illégales en Cisjordanie, un territoire palestinien occupé depuis 1967. Jusqu’à faire craindre son annexion pure et simple.
Depuis Jérusalem, Yigal Bronner a l’habitude de sillonner la vallée du Jourdain et la région de Masafer Yatta, en Cisjordanie occupée. Ce professeur d’université milite pour l’organisation israélo-palestinienne Taayoush, qui prône le vivre-ensemble, et documente l’expansion de colonies israéliennes et leurs effets, quotidiens, sur les Palestiniens de ces régions. Dans le village d’al-Muarajat, « une communauté [palestinienne] est partie », vendredi 4 juillet. Deux soirs plus tôt, des colons sont arrivés en groupe, volant des animaux et coupant des câbles reliés à une habitation, affirme l’activiste. « Les Palestiniens vivant dans la maison touchée ont fui. Les colons y ont volé des biens, de l’argent. » Très vite, les autres familles ciblées ont suivi.
L’histoire se répète à travers la Cisjordanie, territoire palestinien occupé par Israël depuis 1967. « A Maghayer al-Dir, des colons ont bâti un avant-poste à quelques mètres d’un village. Le lendemain, les habitants étaient partis », développe Yigal Bronner. Ces derniers temps, l’universitaire observe « une multiplication de ces événements », et un Etat israélien qui « ne se contente pas de fermer les yeux ».
« La menace [des colons] est de plus en plus grande depuis le début de la guerre. Leur objectif est le nettoyage ethnique de toute la zone C de la Cisjordanie [sous contrôle d’Israël]. »Yigal Bronner, activiste documentant les colonies en Cisjordanie occupée
à franceinfo
Expansion des colonies, menaces et violences en hausse, déplacements forcés massifs… « Toutes ces politiques sont mises en œuvre », souligne Allegra Pacheco, l’une des responsables du Consortium de protection de la Cisjordanie, un réseau d’ONG internationales travaillant dans le territoire palestinien. Autant de stratégies qui « se produisent de plus en plus en même temps, et avec une intensité croissante. L’objectif est de chasser les Palestiniens de ce territoire. »
Une ambition politique claire : « annexer la Cisjordanie »
A Tel-Aviv, plusieurs voix portent ouvertement cette volonté d’annexion. « 2025, l’année de la souveraineté en Judée-Samarie », clamait en novembre le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, un colon d’extrême droite employant volontiers le nom biblique de la Cisjordanie. Plus récemment, le ministre de la Défense, Israël Katz, a envoyé « un message clair » à Emmanuel Macron « et à ses amis » : « Ils reconnaîtront un Etat palestinien sur le papier, et nous construirons ici l’Etat juif israélien ». D’autres ministres du Likoud, formation politique de Benyamin Nétanyahou, ont poussé pour l’annexion de la Cisjordanie ce mois-ci, avant la suspension des travaux parlementaires.
/2025/07/10/000-349n4yn-686fed56d3fd9582133042.jpg)
« Il y a eu des déclarations selon lesquelles il n’y aurait pas d’Etat palestinien », relève Tahani Mustafa, chercheuse invitée au Conseil européen des relations internationales (ECFR). « On parle aussi clairement, de plus en plus, d’un grand Israël. » « La stratégie de ce gouvernement est très claire et clamée haut et fort : l’objectif est d’annexer la Cisjordanie », soutient Yonatan Mizrachi, codirecteur du projet d’observation des colonies au sein de l’organisation israélienne Peace Now (La Paix maintenant).
« En deux ans, le gouvernement a décidé d’établir 49 nouvelles colonies israéliennes en Cisjordanie occupée. Ils étendent des colonies, en annoncent d’autres… Il s’agit clairement d’avancées vers l’annexion. »Yonatan Mizrachi, de l’organisation israélienne Peace Now
à franceinfo
Dans cette logique, les autorités israéliennes ont validé fin mai la formation de 22 colonies à travers la Cisjordanie, parmi lesquelles des avant-postes déjà établis par des colons. « Une décision historique », a salué Israël Katz, faisant fi des rappels de l’ONU sur l’illégalité de ces constructions au regard du droit international. En parallèle, l’Etat hébreu se lance dans un programme de cadastrage de la zone C, qui inclut plus de 60% du territoire palestinien.
« Les autorités israéliennes vont réexaminer le statut des terres dans des zones où elles ne sont pas enregistrées, où dans des endroits où cet enregistrement peut être contesté, anticipe Yonatan Mizrachi. Des dizaines de milliers de dounams [une unité de mesure d’une surface] pourraient être enregistrés comme des terres publiques, et devenir inaccessibles aux Palestiniens. » Un projet déjà largement à l’œuvre : d’après le mouvement pacifiste Peace Now(Nouvelle fenêtre), plus de 25 500 dounams ont été déclarés « terres publiques » depuis l’arrivée au pouvoir de l’actuel gouvernement Nétanyahou, fin 2022.
Les velléités annexionnistes se traduisent aussi par les permis de construire dans les colonies. En six mois, près de 20 000 nouvelles habitations ont été approuvées, selon Peace Now(Nouvelle fenêtre). « Un record. »
Des colons qui se rapprochent et un nombre record d’attaques
La colonisation ne cesse de gagner du terrain, notamment par la formation d’avant-postes de bergers israéliens. Comme à Maghayer al-Dir, des colons s’installent au plus près de terres agricoles palestiniennes, menaçant les communautés qui y vivent. En 2022, les colons avaient déjà saisi l’équivalent de 7% de la Cisjordanie grâce à 77 avant-postes, d’après un récent rapport de Peace Now et Kerem Navot(Nouvelle fenêtre), une autre organisation documentant l’occupation. Désormais, les avant-postes contrôlent près de 14% du territoire palestinien.
Le phénomène « ne cesse de continuer et devient très violent », alerte Dror Etkes, fondateur de Kerem Navot. L’Israélien suit depuis plus de vingt ans les expansions de son pays en Cisjordanie occupée.
« Ce que nous voyons sur place est pire que tout. Les changements sur le terrain sont spectaculaires, des zones très vastes sont inaccessibles aux Palestiniens. Les colons veulent éradiquer la culture pastorale en Cisjordanie. »Dror Etkes, fondateur de l’organisation Kerem Navot
à franceinfo
Et le gouvernement israélien offre aux colons « des moyens, les conditions pour continuer » leur entreprise d’annexion, dénonce l’activiste. Leurs avant-postes bénéficient d’une aide financière des ministères des Finances ou de l’Agriculture, et un budget est dédié à leur sécurité. Un soutien gouvernemental inédit, d’après Kerem Navot.
Jusqu’à détourner le regard devant les violences de la colonisation ? En moyenne, trois Palestiniens ont été blessés par des colons chaque jour en juin, le bilan mensuel le plus élevé en vingt ans, rapporte le Bureau de l’ONU pour la coordination des affaires humanitaires (Ocha)(Nouvelle fenêtre). Ces dernières années, le nombre de Palestiniens tués par des colons ou des forces israéliennes a d’ailleurs bondi en Cisjordanie occupée. Entre janvier 2024 et mai 2025, 633 Palestiniens (et 31 Israéliens) sont morts dans ce territoire, selon l’Ocha(Nouvelle fenêtre).
/2025/07/10/000-63vu76x-686fe991d78b0989755689.jpg)
L’attaque du village de Kafr Malik, le 25 juin, est emblématique de cette violence rampante. Ce soir-là, « des douzaines de colons israéliens, accompagnés de forces israéliennes, ont pris d’assaut le village », brûlant en partie deux habitations et quatre véhicules. Les forces israéliennes, en tirant à balles réelles, ont tué trois Palestiniens et fait dix blessés. L’une des victimes, dépeint l’Ocha, « a été abattue alors qu’il évacuait sa femme et ses enfants avec d’autres familles, là où des maisons étaient attaquées. » L’armée israélienne, elle, clame avoir été la cible de tirs et de jets de pierre de la part des habitants. La brève garde à vue de cinq colons mis en cause a provoqué de nouvelles violences, cette fois à l’encontre de militaires israéliens.
Des déplacements forcés « d’une ampleur inédite depuis 1967 »
Au fil des avancées et des attaques de colons, de plus en plus de Palestiniens sont poussés à l’exil. Les avant-postes israéliens ont chassé de leurs terres plus de 60 communautés pastorales palestiniennes, d’après les organisations Peace Now et Kerem Navot. « Au sein de la vallée du Jourdain, de nombreux Bédouins ont été expulsés. On les a poussés à aller vers les villes », constate le cartographe et géographe palestinien Khalil Tafakji, ancien conseiller de Yasser Arafat et spécialiste des colonies. En fuyant la colonisation, ces familles perdent aussi traditions et moyens de subsistance.
« Des Bédouins perdent leurs terres. La plupart laissent derrière eux leurs animaux, leurs terrains agricoles. C’est l’objectif du gouvernement israélien. »Khalil Tafakji, géographe palestinien
à franceinfo
Le 8 juillet, Allegra Pacheco, responsable au sein du Consortium de protection de la Cisjordanie, s’est rendue à Beitunia, près de Ramallah, pour voir d’elle-même les conditions d’hébergement temporaire de Palestiniens récemment déplacés. « Ils se trouvent à côté d’une zone industrielle, au-dessus d’une décharge. Il y a énormément de poussière », expose-t-elle. « Ils ne savent pas combien de temps ils vont rester, et ce n’est pas leur terre. »
Les départs palestiniens se précipitent aussi au gré des démolitions imposées par Israël. Dans la région de Masafer Yatta, les bulldozers « éventrent la terre (…) réduisant en gravats maisons, écoles et enclos à bétail », décrit l’ONU(Nouvelle fenêtre). L’Etat hébreu souhaite y créer une zone d' »entraînement militaire », ce qui priverait 1 200 Palestiniens d’un toit. Certains sont déjà sans abri. A Khalet al-Dabaa, « je n’ai vu que des gravats. Ce village a été complètement détruit », déplore Yigal Bronner, témoin de ces démolitions.
Depuis janvier, l’organisation de défense des droits humains B’Tselem a également recensé près de 700 destructions dites « administratives » – ordonnées par Israël pour manque de permis de construire – et une vingtaine de destructions « punitives ». Plus de 800 personnes ont ainsi perdu leur maison, précise l’organisation.
/2025/07/10/000-36yj9vn-686fec1ab1a54845558608.jpg)
Des transferts de population d’une autre ampleur se jouent plus au nord de la Cisjordanie, du fait de l’opération militaire israélienne « Mur de Fer ». En début d’année, Tsahal l’a lancée pour « éradiquer le terrorisme » dans le camp de réfugiés de Jénine, d’après Benyamin Nétanyahou. Les forces israéliennes ont depuis l’ordre d’y rester, ainsi qu’à Tulkarem, tout au long de l’année.
« Quand cette opération a commencé, nous avons vu le plus grand déplacement de population en Cisjordanie depuis 1967. Quelque 40 000 personnes sont parties. »Tahani Mustafa, chercheuse invitée au Conseil européen des relations internationales
à franceinfo
Les Palestiniens qui ont fui se sont dirigés vers les habitations de proches et vers des villes voisines, énumère Tahani Mustafa. Pour la chercheuse, Israël dispose désormais « d’un boulevard » et « peut poursuivre sa politique expansionniste sans crainte de représailles ». Sur fond de soutien de l’administration Trump à l’Etat hébreu, « les institutions internationales ne sont plus un moyen de dissuasion » pour limiter Israël dans ses actions. En Cisjordanie occupée, à Gaza, « Israël tire clairement profit de ce moment ».
Commentaires récents