Brèves remarques sur un abject sermon de Caroline Fourest
par Collectif Les mots sont importants
17 juin 2025
Après avoir invité à « ne pas comparer » les victimes civiles israéliennes (tuées « délibérément ») et palestiniennes (tuées « involontairement »), après avoir appelé à « diviser si ce n’est par cinq, au moins par dix » le chiffre des victimes palestiniennes, émanant prétendument d’une « source unique terroriste », Caroline Fourest est revenue, le 28 mai dernier, armée de son dictionnaire des citations, nous reprocher de « mal nommer les choses » et donc d’ « ajouter aux malheurs du monde ». L’émission, bien nommée pour sa part, s’intitule « Fourest en liberté », et le sujet du jour est « Génocide : attention au mot ». On ne saurait mieux dire.

« En journalisme on apprend que si on qualifie par exemple un accident de voiture d’attentat horrible, et d’atroce, et de génocide, on va être à côté de l’émotion ». Caroline Fourest, LCI, 28 mai 2025
Pour ré-entendre le propos dans son intégrale horreur, c’est ici.
L’oratrice n’en est à vrai dire pas à son coup d’essai, sur ce sujet comme sur d’autres. Et elle n’est hélas pas la seule. Mais tout de même : nous parlons ici d’un crime contre l’humanité, de son euphémisation extrême, de sa relativisation, sa banalisation et sa rationalisation – autrement dit des opérations fondamentales qui structurent la parole négationniste. Y aurait-t-il matière à poursuites pour apologie ou négation de crimes contre l’humanité ? N’étant pas juristes, nous laisserons la question en suspens. Mais intellectuellement, éthiquement, le discours tenu par Caroline Fourest à propos de Gaza interpelle gravement et mérite, a minima, d’être relevé et retenu, pour le jugement des générations futures.
On notera tout d’abord la désormais habituelle dénégation et euphémisation du crime israélien : ce qu’il y aurait en lieu et place d’un chimérique génocide, ce sont simplement
« des bombardements non ciblés, ou mal ciblés, qui visent des cadres du Hamas mais qui peuvent taper des écoles où il y a des armes, et qui peuvent tuer des enfants qui sont utilisés comme boucliers humains ».
On notera plus particulièrement le lapsus en forme d’aveu, corrigé sur le champ par un pieux mensonge : les bombardements censés viser des cadres du Hamas sont non ciblés, ce qui pose un problème de cohérence formelle du discours, et doit donc être aussitôt reformulé : les bombardements sont en fait mal ciblés.
On notera aussi que dans ce véritable work in progress de la novlangue anti-palestinienne, le pilonnage d’une école – et de toute une ville, les images sont là – et leur réduction à un tas de cendres deviennent une simple petite tape.
On notera que la mise à mort des civils, à peine reconnue, est aussitôt imputée à l’autorité bombardée plutôt qu’au bombardeur.
On notera enfin que dans cet argumentaire, la perversité du bombardé exposant ses enfants « comme boucliers humains » éclipse totalement celle du bombardeur qui choisit de bombarder en connaissance de cause – car si Caroline sait, alors a fortiori Netanyahou sait.
Ce plaidoyer bien rôdé et mille fois éprouvé – et mille fois réfuté mais mille fois récidivé – est par ailleurs précédé d’une concession plus discrète mais gravissime à la rhétorique négrophobe de Trump, au moment même où l’oratrice prétend la critiquer – une structure discursive classique, chez elle notamment :
« C’est un peu le retour du bâton, en fait, et le retour de l’ascenseur. Parce que le fait d’avoir employé ce mot excessivement, au niveau de sa plainte devant a Cour internationale de Justice, fait que ça a tenté Trump d’en faire des caisses et d’en faire trop sur le mot de génocide blanc. »
On a bien lu : l’idée trumpienne d’un « génocide anti-blanc » en Afrique du Sud n’est pas qualifiée dans ce discours de pure et simple invention, comme l’exigerait le simple bon sens – la réalité étant qu’il n’y a pas en Afrique du Sud le moindre commencement d’une persécution des Blancs.
La sortie de Donald Trump n’est pas non plus qualifiée de pure et simple inversion, autre terme possible – le crime contre l’humanité dont les dégâts ne sont pas encore réparés se nommant Apartheid, et étant commis par des Blancs contre des Noirs.
Le mensonge haineux de Trump est ici requalifié, dans tous les sens du mot (c’est-à-dire re-nommé, mais aussi ré-haussé en terme d’appréciation éthique et politique), en simple exagération : c’est « un mot qui est totalement exagéré », et ce qui peut être reproché à Trump est simplement d’ « en faire des caisses » et « d’en faire trop sur le mot de génocide blanc ». Ce qui signifie, implicitement mais sûrement, qu’il y aurait tout de même un fond de vrai, donc une persécution des Noirs sur les Blancs.
Une dernière infamie est balancée nonchalamment, comme ça, en passant – sa marque de fabrique. La provocation suprémaciste de Trump, après avoir été euphémisée, est ensuite rationalisée par l’oratrice puisque celle-ci nous dit qu’en fait tout cela est la faute des Palestiniens ou de leurs soutiens qui parlent de génocide à Gaza. C’est eux qui ont commencé, et donc ouvert la voie à Trump, qui n’opère qu’un « retour de l’ascenseur ».
Quant à la référence à « l’accident de voiture », pour introduire à un recadrage de l’événement Gaza, elle restera dans les annales de l’abject. Pas très loin du « Vous écrasez trois mouches, on peut vous parler aussi de génocide » de Pierre Nora, à propos des Arméniens.
Ce morceau d’anthologie nous le rappelle : loin de « rajouter aux malheurs du monde », il existe un « mal nommer » dont l’effet voire la fonction est d’ effacer certains malheurs, de les supprimer, et d’en nier la dimension imprescriptiblement criminelle.
P.-S.
Sur le crime de Gaza, et la question de sa qualification, voir notamment le texte de Didier Fassin : Un génocide à Gaza : des faits irréfutables, des discours explicites
https://lmsi.net/Camus-Trump-le-baton-l-ascenseur-et-les-accidents-de-voiture
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