04/07/2025
Usurpation d’identité, fake news et propagande
Par Lorraine Poupon
L’identité de plusieurs journalistes de StreetPress a été usurpée par un faux média baptisé Enquête du jour. Derrière ce site, se cache une vaste opération de propagande montée par un ancien shérif américain passé sous pavillon russe.
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Je soutiens StreetPressC’est un site d’informations d’apparence classique. Enquête du jour se présente comme un média indépendant, où sont publiés quotidiennement, depuis des mois, des articles rédigés par une « équipe de journalistes passionnés [qui] vous informe avec rigueur » : Clara Monnoyeur, Lina Rhrissi, Pauline Gauer, Audrey Parmentier, Aurélien Defer et Sophie Boutboul. Tous travaillent au quotidien ou de manière plus ponctuelle avec StreetPress et aucun d’entre eux n’a jamais rédigé le moindre article pour Enquête du jour. Comme l’a également repéré France Info, leur nom et leur photo ont été usurpés. Quant aux dizaines d’articles qui leur sont attribués, ils ont été rédigés par une intelligence artificielle (IA).
Ce site fait, selon nos informations, partie d’une vaste campagne d’ingérence lancée par la Russie. L’opération Storm-1516, clairement identifiée par le gouvernement français dans un rapport publié en mai 2025. Une campagne sur laquelle l’autrice de ces lignes s’était penchée dans le cadre d’une enquête pour L’Oeil du 20 heures sur France 2.
Des fake news peu crédibles
Tout part toujours d’un faux reportage censé révéler une information explosive. Dans l’exemple qui nous intéresse, une pseudo-enquête surfe sur la vague complotiste qui prétend que Brigitte Macron serait une personne transgenre baptisée à la naissance Jean-Michel Trogneux. Une fake-news sur laquelle StreetPress avait d’ailleurs enquêté. Cette fois, une vidéo prétend qu’un chirurgien, François Faivre, serait décédé le 29 juin 2025 alors qu’il s’apprêtait à faire des nouvelles révélations au magazine Closer sur la transition de la première dame. En somme, un assassinat politique maquillé en suicide.
Mais au premier coup d’œil, des détails interpellent. La voix du journaliste d’abord, très mécanique, avec un fort accent. Quant au chirurgien, il est lui aussi victime d’une usurpation d’identité. Un seul François Faivre est inscrit au conseil national de l’ordre des médecins et il travaille dans un Ehpad. Pour ce qui est des images qui illustrent le reportage, là aussi, il y a des incohérences. Certaines ont été tournées par l’Agence France Presse en octobre 2022, lors d’un refus d’obtempérer, comme le révèle le journaliste Clément Lanot sur X (Twitter). Enfin, la soi-disant interview par une journaliste de Closer, a été modifiée par IA : les mouvements de la bouche et du visage sont visiblement artificiels. La rédaction en chef du magazine people se dit choquée et affirme qu’aucun de leur journaliste n’a conduit pareille interview.
Enquête du jour se présente comme un média indépendant, où auraient été publiés quotidiennement, depuis des mois, des articles rédigés par des journalistes de StreetPress. / Crédits : DR
Enquête du jour prétend qu’un chirurgien, François Faivre, serait décédé le 29 juin 2025 alors qu’il s’apprêtait à faire des nouvelles révélations sur la première dame. / Crédits : DR
Une opération d’envergure
A peine la vidéo postée, la machine Storm-1516 se met en branle et active ses relais, français comme étrangers, sur les réseaux. Des comptes très suivis sur X s’en font instantanément l’écho pour toucher un maximum d’internautes. A l’heure où nous écrivons ces lignes, le faux reportage sur la mort du chirurgien a cumulé plus de 3,3 millions de vues, en à peine trois jours.
Dans ces tweets apparaît un lien vers le média Enquête du jour, créé pour reprendre et crédibiliser la fake news au milieu de centaines d’autres articles rédigés par IA. Ce faux média n’est que le dernier d’une longue série de sites au service de Storm-1516 : Les Echos de la France, Le Quotidien français ou Infos du jour… Et la France n’est pas le seul pays touché, comme l’a révélé NewsGuard. Cette entreprise spécialisée dans la détection et le débunkage des fakes news en a, par le passé, recensé 171 ciblant les Etats-Unis et 102 en Allemagne.
Derrière cette galaxie de sites, un américain passé sous pavillon russe : John Mark Dougan. Un ancien shérif de Floride de 48 ans, qui se fait appeler « Bad Wolf », et qui a depuis déménagé à Moscou. Il roule aujourd’hui ouvertement pour le Kremlin. A l’occasion d’une table ronde sur le « rôle des médias dans la lutte contre la désinformation stratégique », organisée en janvier dernier, il vantait son savoir-faire en matière de propagande. « Même si les journalistes ne veulent pas l’entendre, depuis mon domicile, avec un unique serveur, je peux rédiger 90.000 articles par mois à moi tout seul », fanfaronnait l’Américain :
« Il y a bien des façons d’amplifier une info mais si on le fait correctement, ça peut être incroyablement efficace (…) J’utilise l’IA pour amplifier ces sujets et, résultat, ces articles ont été vus par 40 millions de personnes par mois. »
John Mark Dougan (à gauche) fait la leçon lors d’une table ronde organisée à Moscou, le 28 janvier 2025. / Crédits : DR
Créer une fake news, la relayer, l’amplifier : autant d’étapes caractéristiques de Storm-1516, dont fait bel et bien partie la fake news détournant l’identité des journalistes de StreetPress, comme nous l’ont confirmé des sources proches de Matignon. Mais selon le lanceur d’alerte russe qui se cache derrière le Gnida Project et qui suit cette campagne depuis des mois, usurper les identités de journalistes constitue une évolution récente. Ainsi, le 27 juin, comme l’ont révélé Les Vérificateurs de TF1, les identités de plusieurs journalistes français étaient volées par le faux média Courrier France 24. Quelques jours plus tard, c’était au tour des rédacteurs de StreetPress d’être impliqués contre leur gré.
Objectif : fracturer la société
Attaquer la première dame n’a rien d’anodin. C’est même typique de Storm-1516, qui mise sur des thématiques « clivantes et anxiogènes », choisies en fonction du pays-cible, comme l’explique le rapport du service de vigilance et de protection contre les ingérences numériques étrangères. L’agence gouvernementale précise :
« Les acteurs derrière Storm-1516 cherchent à polariser le débat démocratique de nos sociétés, à saper la confiance envers les médias et les institutions européennes dans le but final et stratégique de mettre fin à l’aide occidentale à l’Ukraine. »
Ainsi, dans la quinzaine d’opérations menées en France depuis un peu plus d’un an, le couple Macron revient régulièrement, tout comme la guerre en Ukraine, le conflit à Gaza ou encore l’insécurité. Avec comme but, à terme, que l’une de ces fakes news finisse par être crédible et enflamme le débat public. Si cet objectif ne semble pas encore avoir été atteint, ces faux reportages ciblant la France ont été vus plus de 150 millions de fois sur X.
Dans le lot, certains y croient, comme le raconte Audrey Parmentier, la journaliste à qui est attribué l’article relatif à Brigitte Macron sur Enquête du jour :
« J’ai été surprise de voir l’ampleur que ça prenait sur les réseaux sociaux, les messages que je recevais, et le fait que beaucoup de personnes me demandaient pourquoi j’avais écrit ça… Il y a quand même des gens qui ont mordu à l’hameçon ! »
Les recours pour se défendre, face à cette galaxie d’acteurs difficilement identifiables ou alors trop loins de la France, sont complexes. StreetPress va saisir la justice. Valentine Rebérioux, l’avocate du média, étudie l’hypothèse d’une procédure au pénal pour usurpation d’identité afin de défendre la réputation des journalistes, mais aussi au civil, afin d’obtenir la fermeture pure et simple du site. Reporters Sans Frontières, qui apporte son soutien à StreetPress, va partager son expertise sur le sujet et incite les médias concernés à systématiquement porter plainte, tout en rappelant la grande responsabilité des plateformes dans la propagation de ces fake news. Côté Closer, la rédaction indique que le dossier est désormais entre les mains de leur service juridique.
Contacté, le cabinet de la première dame n’a pas répondu aux questions de StreetPress.
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