Passage à tabac, insultes racistes et slogans nazis, bienvenue chez les Hussards Paris

Enquête sur les héritiers du GUDhttps://backend.streetpress.com/sites/default/files/7-photo_actit0.jpg

03/07/2025

Par Daphné Deschamps , Mathieu Molard

Le 16 février 2025, 27 néonazis tabassent un syndicaliste antifasciste dans Paris, puis attaquent les serveurs d’un bar aux cris de « sale bougnoule ». Tous sont des militants expérimentés liés aux Hussards, groupe héritier du Gud. Enquête et vidéo.

Sur les bancs d’une petite salle au fond de la Cour d’appel de Paris, Charles Février tire sur le col de sa chemise en murmurant à l’oreille de son avocat, le très identitaire Mathieu Sassi. Avec deux autres membres du groupuscule d’extrême droite les Hussards, il attend de savoir s’il sera placé en détention provisoire. Il est poursuivi pour avoir, avec 26 autres militants d’extrême droite, attaqué la projection d’un film de Costa-Gavras organisée par Young struggle, une organisation internationaliste, le 16 février 2025. Après l’agression qui a envoyé Paul, un militant de la CGT, à l’hôpital, le groupe s’est enfui aux cris de « Paris est nazi, Lyon est nazi aussi ». Six membres du commando ont été interpellés dans une station de métro proche. Les autres, dont Charles Février, se sont rendus dans un bar du 1er arrondissement de Paris, où ils ont fini par s’en prendre aux serveurs et au gérant, avec une pluie d’insultes racistes, de coups et de menaces.

Dans cette après-midi violente et haineuse, victimes comme enquêteurs s’accordent à observer une distribution précise des rôles entre les différents militants d’extrême droite. Certains, les plus âgés ou les plus expérimentés, observent en retrait et donnent les ordres, pendant que les moins intégrés exécutent et laissent libre cours à leur violence. L’opération aurait pour but avoué, selon certains des prévenus, de « tester » des nouveaux membres, les fameux « prospects », qui souhaitent intégrer le noyau dur du groupuscule. Mais aucun des néofascistes présents n’est complètement novice en la matière, et la majorité d’entre eux sont déjà connus des services de police. Hommage au collabo Robert Brasillach ou à Jean-Marie Le Pen, descente raciste avortée lors du match France-Maroc en décembre 2022, « mobs » et guet-apens tendus à des antifascistes, tractages, tags ou encore participation au service d’ordre du Comité du 9 mai (C9M), le principal rassemblement des néofascistes français… Tous ont déjà pris part à des événements ou des actions de groupuscules d’extrême droite.

Cette opération commando, qu’aucun des protagonistes ne veut assumer, est gérée par un certain « Vicompte ». Sa toile se tisse à Paris, mais aussi à Lyon, à Versailles, ou encore dans les Hauts-de-France. Derrière ce pseudo se cache Charles Février, un cadre néofasciste actif depuis des années. Son CV révèle qu’il est l’un des lieutenants des Hussards. Derrière ce terme qui fait référence aux cavaliers militaires, il s’agit surtout d’un des nouveaux noms utilisés par le Groupe union défense (GUD), groupuscule néonazi historique dissous en juin 2024 par le gouvernement. En 2023, c’est lui qui a déposé en préfecture la manifestation néofasciste annuelle du C9M. En janvier 2024, il est interpellé avec une trentaine de militants du GUD à Maison-Alfort dans le cadre d’un graffiti. Il récidive en solo, en février, où il est interpellé en train de taguer : « Je suis néonazi bande de sales juifs » sur une vitrine. Avant d’être condamné pour port d’arme blanche de catégorie D en septembre.

Même sa vie professionnelle révèle ses engagements. Il travaillait jusqu’à très récemment pour une entreprise familiale liée au GUD, la Financière Wagram, dirigée par Axel Loustau, et son fils, l’actuel patron des Hussards, Gabriel Loustau. Charles Février donnait même de temps en temps un coup de main en tant que contrôleur d’agents pour Astoria Sécurité, une entreprise fondée et dirigée par Axel Loustau pendant plus de vingt ans (1). À la barre le 12 juin, Charles Février a déclaré avoir perdu son emploi depuis son placement sous contrôle judiciaire en mai. Pas très sympa de la part du boss des Hussards de virer un de ses bras droits au moindre souci judiciaire…

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Le nom de Loustau plane au-dessus de ce dossier. Gabriel Loustau n’est pas présent au moment des agressions, mais les policiers jugent qu’il est le véritable boss des Hussards. Il est le seul que certains des interpellés admettent connaître. Les cadres du commando sont régulièrement en contact avec lui par téléphone. L’un d’eux va même l’appeler au petit matin quand les policiers se présentent à son domicile pour le placer en garde à vue.

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StreetPress s’est procuré différents documents judiciaires sur cette attaque. / Crédits : Documents reconstitués

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Dans ce dossier, 15 personnes sont actuellement mises en examen, l’enquête est toujours en cours. / Crédits : Document reconstitué

L’agression était préméditée

Le dimanche 16 février, vers 17 heures, sur les ordres de Charles Février, les Hussards quittent le café des Grands Boulevards dans lequel ils sont attablés. Ils se sont auparavant retrouvés pour la plupart dans un autre troquet du 1er arrondissement. Ils se dirigent vers le local où Young struggle organise son événement, avec un objectif clair, donné dans un message envoyé par Charles Février sur une conversation intitulée « Prospects Hussards » : « Le but est de fumer l’équipe type ou des mecs isolés. » Il parle du groupe antifasciste la Jeune garde, proche de Young struggle et cible assumée des Hussards.

Au moment de partir du café, plusieurs Hussards sont équipés de casques de moto, alors que seulement deux sont arrivés en scooter. Deux autres quittent la terrasse du bar avec des bouteilles en verre à la main. Quelques minutes plus tard, le groupe arrive devant l’immeuble où se tient l’événement visé, et se met à tambouriner à la porte jusqu’à ce qu’elle s’ouvre. Sur une vidéo tournée par des voisins, on voit quatorze militants tourner autour de Paul, syndicaliste et militant de Young struggle, qui est déjà au sol et tente de se protéger. Huit d’entre eux lui portent de multiples coups de pied, lui marchent dessus, lui assènent un coup de poing… Le jeune homme finira aux urgences, d’abord en urgence absolue, puis avec quelques jours d’ITT, et une plaie de plusieurs centimètres dans le dos, probablement due à un tesson de verre.

Face aux juges d’instruction, la plupart des interpellés nieront avoir su qu’ils se rendaient à l’association culturelle des travailleurs immigrés de Turquie (Actit) pour y passer à tabac un militant antifasciste, et plusieurs diront avoir été « choqués » face à une « vraie scène de violence ». Pourtant, la préméditation ne fait aucun doute et l’essentiel de ces gros bras ont un passif de violence. Lenny M., qui a quitté le bar avec une bouteille en verre et qui assène de nombreux coups de pied et un coup de poing à Paul, est connu des services de police notamment pour des agressions et un port d’arme blanche. Il a notamment participé à la descente raciste organisée à Romans-sur-Isère en novembre 2023. Chez lui, les enquêteurs ont retrouvé de nombreux stickers d’extrême droite, dont des Hussards, mais aussi des drapeaux du Kop of Boulogne (KOB), dont les stickers ont été apposés sur la façade de l’Actit le 16 février. Cet ex-collectif de supporters du PSG, noyauté par l’extrême droite, a été dissous en 2010 mais sa « marque » est désormais reprise par les néonazis et les hooligans. En garde à vue, Lenny M. a nié ses liens avec le GUD. Sur la photo de profil d’un de ses réseaux sociaux, il pose pourtant avec un cache-cou du groupuscule.

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En plus de l’attaque chez Young struggle, les Hussards ont aussi attaqué un bar dans le 1er arrondissement. / Crédits : DR

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Chez Lenny M., les enquêteurs ont retrouvé de nombreux stickers d’extrême droite, dont des Hussards, mais aussi des drapeaux du Kop of Boulogne (KOB), dont les stickers ont été apposés sur la façade de l’Actit le 16 février. / Crédits : DR

Un témoin identifie plusieurs agresseurs

Alexandre C. est un des trois Hussards qui comparaissaient devant la Cour d’appel le 12 juin au sujet d’une potentielle détention provisoire. Au tribunal, il est venu en chemise et Samba blanches, avec des lunettes rondes. Quelques mois plus tôt, quand il entre dans la cour de l’Actit, sa dégaine est bien différente, en sweatshirt noir avec un casque de moto noir à la main. En fin de soirée, lorsque les militants d’extrême droite quittent précipitamment le bar du 1er arrondissement après avoir tabassé et insulté les serveurs, Alexandre C. ferait partie de ceux qui se sont fendus de menaces de mort : « On va revenir vous crever et brûler le restaurant » ou « On va brûler ta soeur sale arabe »…

Chez lui, les enquêteurs ont trouvé des gazeuses, un lance-pierre, des matraques télescopiques, et plusieurs centaines de stickers des Hussards. Un témoin, qui l’a croisé dans le métro, le désigne comme l’un des leaders du groupe. Crédible, au vu de son passif. Ainsi pour l’édition 2025 du C9M, il faisait partie du service d’ordre cagoulé qui empêchait les contacts entre les manifestants et l’extérieur. Tout comme Alexandre N., un ancien CRS de 29 ans, proche des Hussards, mais aussi des néofascistes versaillais d’Auctorum. Lui aussi était présent lors de l’attaque de l’Actit le 16 février, ainsi que lors du passage à tabac raciste des serveurs du bar du 1er arrondissement qui a suivi.

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Le 16 février, les militants d’extrême droite tabassent et insultent les serveurs d’un bar, avec des propos racistes et des menaces de mort. / Crédits : Document reconstitué

Dans le métro se trouvait aussi au moins un néofasciste lyonnais qui, selon le témoin, évoquait son futur retour dans la capitale des Gaules et donnait pour consigne de brûler les bombers que portaient les militants, « trop reconnaissables ». Nous n’avons pas pu déterminer son identité, mais il est à noter que l’un des administrateurs de la conversation créée pour la journée est un militant néofasciste lyonnais de Lyon populaire bien connu, un certain Calixte Mathon, dont StreetPress a déjà tiré le portrait. Également présent dans le métro, Evan H., le troisième Hussard qui comparaissait le 12 juin. Au tribunal, cet ingénieur informatique a déclaré qu’il était « sous le choc » dans le métro. Peu de temps après être arrivé au bar, il est parti, en direction, selon ses dires, d’une église pour aller à la messe :

« Au moment de mes prières, je pensais à l’incohérence de mon comportement. »

Le militant d’extrême droite raconte aussi avoir hésité à se rendre au pèlerinage de Chartres, événement majeur de la sphère catholique intégriste chaque année, par « peur » de ne pas respecter son contrôle judiciaire. Un autre Hussard a eu le même réflexe après l’agression des serveurs du bar : Mathis de S. de R. dit être allé « à l’église la plus proche afin de réfléchir et faire le point ». Et l’homme a des choses à confesser : cet ancien membre de la division Martel a été arrêté plusieurs fois entre 2022 et 2024 en compagnie d’autres gudards, dont le 14 décembre 2022 lors du match France-Maroc en compagnie de militants radicaux qui projetaient de mener une attaque raciste. C’est aussi le cas de Mathias R., un autre des Hussards mis en examen.

Des anciens de la Division Martel

Julian G., Hussard de 20 ans, ferait, selon les enquêteurs, partie de ceux qui s’acharnent sur Paul dans la cour de l’Actit. Pendant sa garde à vue, l’alarme de son téléphone portable sonne. Résonne un morceau de rock anti-communiste aux paroles évocatrices :

« Honneur à toi ! Jeune loup du Führer ! Car ton combat a fait toute ta valeur ! »

Lui aussi a déjà été repéré autour d’événements du GUD et, dans son téléphone portable, les enquêteurs tombent sur une conversation où il pose des questions de recrutement à un aspirant Hussard, un potentiel futur « prospect ». Plusieurs de ces profils sont dans le commando. Certains ont déjà une bonne expérience à l’extrême droite. Deux d’entre eux ont fait leurs classes au sein de la Division Martel, ce groupuscule néonazi parisien proche du GUD jusqu’à sa dissolution en décembre 2023. Alexandre Hervy, le premier, a été condamné en janvier 2024, alors qu’il était mineur, pour une descente raciste effectuée devant le lycée Victor Hugo en avril 2023. Louis T., le second, est devenu « prospect » des Hussards en janvier 2025. Dans sa chambre, le jeune homme, qui habite toujours chez ses parents dans le Pas-de-Calais, a suspendu un drapeau orné d’un soleil noir, symbole mystique du IIIème Reich, au-dessus de son bureau. Dans ses placards, des dizaines de stickers néonazis ou néofascistes, des brassards nazis, des tshirts à l’effigie de groupes militaires d’extrême droite, et une dizaine de drapeaux nazis ou ultra-orthodoxes.

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Tous les deux ont été interpellés le jour même sur le quai du métro, tout comme Alexis L.F., dit « Tchoupi ». Il est le premier, en février, à avoir été placé en détention provisoire. La chaussure de ce membre du groupuscule néofasciste versaillais Auctorum était maculée d’une tâche rouge. Chez lui, les enquêteurs ont trouvé un pistolet semi-automatique 9mm, un poing américain, des dizaines de stickers d’extrême droite, un drapeau de la division Charlemagne et de nombreuses écharpes liées à des groupes ultras du Paris Football Club.

À l’issue de l’audience du 12 juin, Charles Février, Alexandre C. et Evan H. ont été placés sous contrôle judiciaire. Les avocats de Paul, la victime, ont déclaré, au nom de leur client, privilégier ce dispositif à la détention provisoire. « Quel que soit le dégoût que nous inspire ces individus et ces scènes nauséeuses, les principes qu’on s’assigne ne valent pas seulement pour ceux qu’on aime, mais aussi pour ceux qu’on n’aime pas », a notamment insisté maître Laurent Pasquet-Marinacce. Le 24 juin, la Cour d’appel de Paris a aussi confirmé le placement en liberté conditionnelle d’Alexis L.F. Mais Lenny M. et Julian G. sont actuellement en détention provisoire, précise le parquet de Paris. Quinze personnes sont actuellement mises en examen, l’enquête est toujours en cours.

(1) Astoria Sécurité est aujourd’hui la propriété de Nicolas Chazot, un cousin de Axel Loustau.

Gabriel Loustau et Calixte Guy-Mathon apparaissent dans les documents d’instruction que StreetPress a pu consulter, mais ne sont pas officiellement mis en cause dans cette affaire.

StreetPress a contacté les différents mis en examen dans cette affaire, à l’exception de Lenny M. et Julian G., injoignables en raison de leur placement en détention provisoire. Martin B. et Evan H. nous ont fait savoir par leurs avocats respectifs qu’ils ne souhaitaient pas nous répondre et veulent laisser l’instruction suivre son cours. Les autres n’ont pas répondu à nos sollicitations. Ils sont tous présumés innocents.

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