Qui est (vraiment) Pierre-Édouard Stérin, le milliardaire adoré de l’extrême droite visé par une commission d’enquête

Portrait

Sur Stérin là. Pierre-Édouard Stérin est milliardaire, réactionnaire, il note tout le monde sur dix et il a un plan : investir 150 millions d’euros pour diffuser ses idées et faire «gagner mille villes» au RN aux municipales de 2026. Ce mercredi, pour la deuxième fois, il n’a pas répondu à la convocation des député·es pour s’expliquer sur son projet d’influence politique nommé Périclès.

  • 14/05/2025
  • Par Théo Mouraby

Pierre-Édouard Stérin n’a pas vraiment envie de dévoiler ses affaires. Convoqué une première fois par la commission d’enquête parlementaire sur l’organisation des élections en France, le 23 avril dernier, l’entrepreneur a fait faux-bond aux député·es. Il n’a pas non plus répondu aux questions de Vert, adressées par mail.

Ce mercredi, il devait enfin être questionné sur les objectifs de son projet d’influence politique, mais il a de nouveau décommandé. Révélé à l’été 2024 par le journal L’Humanité, son plan baptisé Périclès – pour «Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes» – doit faire gagner les idées des droites extrêmes dans les têtes et dans les urnes. Vert vous présente cet homme discret, connu pour noter sur dix dans un document Excel les personnes qu’il rencontre, comme Marine Le Pen, Bruno Retailleau… ou sa femme.

Pierre-Édouard Stérin en 2018. © Wikimedia

Pierre-Édouard Stérin est le fondateur de l’entreprise de coffrets-cadeaux Smartbox, avec laquelle il a bâti son immense fortune (estimée à 1,4 milliard d’euros). Ultralibéral et excédé par les impôts, le milliardaire est exilé fiscal en Belgique. «Je suis très critique de l’État et de toutes les restrictions de libertés qu’on peut avoir vis-à-vis des taxes que l’on nous impose. […] C’est la raison numéro un pour laquelle j’ai déménagé en Belgique en 2012», expliquait-il dans une émission sur Youtube en 2022.

Désormais, à 51 ans, il veut utiliser sa fortune pour «prêter, donner et investir pour le redressement de la France et la promotion du Christ».

Catholique conservateur, Pierre-Édouard Stérin est contre le mariage homosexuel, la procréation médicalement assistée (PMA) et l’avortement. «Je préfère parler d’ »infanticide », a-t-il lâché au Nouvel obs, le 27 janvier 2025. Je souhaite son interdiction dès le premier jour de la conception.» Il explique aussi – très sérieusement – qu’il veut être sanctifié plus tard : devenir un saint, donc. Il a d’ailleurs cherché sur Google comment faire, comme il l’a expliqué au Figaro en avril dernier.

Il prône aussi la «remigration», c’est-à-dire le retour des immigré·es et de leurs descendant·es dans leur pays d’origine. Une idée en vogue dans l’extrême droite radicale.

Dans sa croisade idéologique, l’entrepreneur cherche un champion capable d’incarner ses idées et de gagner la présidentielle. Pour ce faire, il note l’ensemble de ses interlocuteur·ices sur dix dans un grand tableau Excel. Un moyen, pour celui qui s’est auto-diagnostiqué autiste Asperger, de garder les idées claires, selon les enquêtes du Monde et du Nouvel Obs.

Ainsi, il a donné un 9/10 à Laurent Wauquiez, président du groupe Les Républicains à l’Assemblée nationale, un 8/10 à Christelle Morançais, présidente Horizons de la région Pays de la Loire, mais seulement 7/10 à Marine Le Pen et Jordan Bardella, du Rassemblement national (RN). «Ça ne va pas du tout, Le Pen était nulle ! Et, Bardella, ce n’est pas beaucoup mieux. Il faut qu’on crée un nouveau parti, ils ne gagneront jamais !», avait-t-il lancé après avoir déjeuné avec le président du RN à l’automne 2023, selon Le Monde.

Le problème, selon lui, c’est que les 7/10 auraient tendance à embaucher des gens en dessous d’eux – des 6, voire des 5 – pour ne pas se sentir menacé·es. Lui s’attribue un 8/10 et ne travaille qu’avec des 9 ou des 10.

Dans la liste des bénéficiaires de Périclès, on trouve l’Institut de recherches économiques et fiscales (Iref). Celui-ci publie des articles qui nient le réchauffement climatique ou la responsabilité des activités humaines dans la crise écologique.

L’investisseur soutien aussi l’Institut de formation politique (IFP). Cette école est un vivier de cadres pour l’extrême droite : Marion Maréchal, l’influenceuse identitaire Thaïs d’Escufon, ou Alice Cordier, la présidente du collectif «fémonationaliste» Némésis, en sont issues.

L’ancien directeur de l’IFP, Benoît Perrin, est aussi soutenu par le businessman. Il est le fondateur de l’association «Action écologie», qui a organisé un colloque climatosceptique en novembre 2024 ; et le directeur général du lobby ultralibéral «Contribuables associés». Ce dernier publie des contenus qui contestent les effets du changement climatique et critiquent les énergies renouvelables. D’après le média La Lettre, le lobby a d’ailleurs reçu des conseils des équipes de Pierre-Édouard Stérin pour sa stratégie vidéo en ligne.

François Durvye est le fidèle allié de Pierre-Édouard Stérin. Il est à la tête d’Otium Capital, le fonds d’investissement du milliardaire, et figure parmi les très proches conseillers du duo Le Pen-Bardella. Pierre-Édouard Stérin et François Durvye ont par ailleurs racheté à Jean-Marie Le Pen, et à sa femme Jany, le manoir familial de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine).

Le fondateur de Smartbox soutient aussi plusieurs personnalités installées à l’UDR, le parti d’Éric Ciotti, allié du RN à l’Assemblée nationale.

Mais, au-delà de ça, il trouve la classe politique française «médiocre». Dans son premier portrait paru dans la presse, dans L’Express début 2023, on apprenait qu’il déplore qu’aucun ne soit en mesure de lui présenter un plan de redressement du pays échelonné sur dix ou vingt ans. C’est pourtant simple : lui a prévu, pour son «fonds du bien commun», un schéma de développement… sur deux mille ans.

N’écrivez pas «milliardaire d’extrême droite». Stérin récuse le terme, il se dit «de droite». Sinon, il fait envoyer par ses avocat·es un courrier recommandé aux médias qui lui accolent le terme afin de les contraindre de le changer. C’est notamment arrivé à Mediapart, en début d’année. Le site d’investigation n’a pas cillé pour autant.

C’est l’un des grands points d’ombre que voudrait éclaircir la commission d’enquête parlementaire. Le financier a annoncé investir 150 millions d’euros en dix ans au service de son projet idéologique. Selon ses dires, dix millions ont été investis en 2024 et vingt autres sont prévus pour 2025. Sauf que le site officiel de Périclès mentionne peu de structures aidées. Surtout, certaines d’entre elles n’ont perçu qu’une somme dérisoire jusqu’ici, selon Le Monde et le Nouvel Obs.

Parmi les plus influentes, il soutient l’Observatoire de l’immigration et de la démographie. Une «étude» de ce dernier, qui indique que «580 millions de personnes sont éligibles au droit d’asile français», a fait le tour de la presse de droite et des plateaux télés. Un rapport biaisé, mais relayé par les élu·es du RN.

Enfin, un autre observatoire, nommé «Hexagone», produit notamment des sondages. L’un de ceux-ci, publié la semaine dernière, propulse Jordan Bardella au coude-à-coude avec Édouard Philippe au second tour de la présidentielle 2027.

Le 6 mai, le directeur de Périclès, Arnaud Rérolle, était le premier à passer devant la commission d’enquête. Sous serment, il a fini par confier avoir financé une opération de communication du média d’extrême droite Frontières. Les député·es en apprendront peut-être plus lorsque Pierre-Édouard Stérin acceptera de se présenter à son audition.

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