
« En tombant les masques ils font chuter les illusions. »
paru dans lundimatin#461, le 27 janvier 2025
« Néron profita de la destruction de sa patrie pour bâtir un palais où l’or et les pierres précieuses n’étaient pas ce qui suscitait le plus d’étonnement. »
Tacite, Annales, 66 ap. JC
Ce n’est pas Rome qui brûle, c’est Los Angeles. Et on ne les a pas vus récitant des poèmes depuis leurs balcons blindés, mais sur les écrans ça a cartonné. La ploutocratie [1][1] Ploutocratie, du grec Ploutokratia : Gouvernement ou… mondiale a bien fêté l’installation sur un de ses trônes principaux d’un de ses Gugusses les plus clinquants et l’assurance qu’elle va pouvoir, dans les jours et mois (et années ?) qui viennent, vampiriser tranquillement les populos et la planète sur laquelle ils errent.
Certains y voient la juste punition infligée à une humanité suffisamment conne pour fournir le couteau affuté aux bouchers qui vont la dépecer. « Comme s’il y avait une loi de la nature humaine poussant chacun à renoncer à sa dignité face au désastre. » [2]
[2] Hannah Arendt, Eichmann à Jerusalem,…
C’est négliger le fait qu’une bonne partie de cette humanité n’a rien souhaité de ce genre, et se montre même consciente des dégâts que ce triomphe va faire subir à son « sort » déjà peu brillant. C’est aussi ne pas tenir compte de la formidable machine à abrutir toujours mieux équipée qui, s’emparant des humains dès le berceau pour les formater le plus possible au rôle de rouage de son fonctionnement, fabrique en bonne part des ahuris, déboussolés, paumés, faciles à manipuler et faire marcher, y compris au pas de l’oie et à leur propre détriment.
Que les plus « performants » des prédateurs de l’humanité arrivent à se faire passer pour ennemis du « système » qui garantit leur truanderie en dit long sur l’état de désarroi dans lequel se trouvent bon nombre des victimes de ce système. Les « sans dents » qui se jettent dans les bras des milliardaires largement responsables de leurs « vies de merde » témoignent d’un décervelage funeste. Cette pandémie de connerie suicidaire confirme ce que ceux qui n’en sont pas infectés constatent clairement : confrontés à la dégradation constante de leurs conditions d’existence au profit des 1% de « décideurs » les serfs enchaînés à cette galère, désespérant de pouvoir en sortir, se laissent séduire par le baratin colossal qui leur promet un Eldorado « sécurisé » à condition de virer tous les miséreux qu’on leur présente comme des parasites : les « pas comme nous » qui fuient les famines et les guerres, les « assistés » auxquels on concède quelques petites miettes du gâteau royal pour qu’ils ne se révoltent pas, les bureaucrates « fainéants » des « services publics » qui, malgré la diminution constante des moyens que leur donne l’Etat, coûtent encore à celui-ci un « pognon de dingue » qui serait mieux dans la poche des ministres ou dans les bourses des copains du Cac 40. Le succès de cette propagande dressant les uns contre les autres tous les « employés » des saigneurs régnants tient à ce que toute perspective de pouvoir amméliorer la vie en changeant la société a été méthodiquement sabotée, transformée en « utopie » irréalisable, en épreuve redoutable à laquelle seuls quelques rêveurs osent imaginer de se risquer. Le prolo réaliste, lui, ne doit se préoccuper que de son « pouvoir d’achat », quelle que soit la manière de l’assurer, et tant pis si c’est au détriment de « libertés » dont il a, de toutes façons, largement oublié l’usage et qui, d’ailleurs, ne lui étaient officiellement garanties en « droit » qu’à condition qu’il n’essaie pas de s’en servir.
Le succès de ce « pragmatisme » carcéral est une grande victoire de la gôche caviar, qui, conformément au rôle de « mystification défensive » [3]
[3] Guy Debord, Réfutation de tous les jugements tant…
de la société capitaliste qu’elle a largement rempli dans l’Histoire, a su décevoir tous les espoirs placés en elle par ses naïfs clients qui avaient gobés ses slogans racoleurs promettant d’en finir avec le capitalisme pour « changer la vie ». En détournant les révoltes populaires vers l’abdication par le veaute et la dépendance aux guignolades parlementaires, et en encadrant pour les freiner le plus possible les mouvements s’insurgeant contre la servitude, ces roublards parvenus au pouvoir ont contribué au renforcement constant de ce qu’ils prétendaient combattre, et ont fait d’une démocrature soft un despotisme bien plus hard. Ils ont ainsi copieusement dégoûté leur public, ces « citoyens » ayant renoncé à l’être pour devenir de simple « clients » du business politicard, qui sont partis chercher chez d’autres camelots leurs vendeurs d’espoirs, et croient les avoirs trouvés dans les caporaux héritiers des ideaux du sabre et du goupillon.
Ces Nérons vont donc pouvoir faire danser leurs gouvernés au rythme de leurs fouets « sécuritaires » pendant quelques temps. Mais c’est une danse qui pourrait virer en carmagnole. Car ce renforcement de l’asservissement à la « ploutocratie », cet « ensauvagement » du capitalisme [4]
[4] Ludivine Bantigny, L’ensauvagement du capital,…
témoigne du fait que ses gérants les plus lucides sont conscients qu’il suscite une répulsion croissante chez les peuples du monde, et qu’ils savent ne plus pouvoir règner que par la peur qu’ils inspirent. S’ils réussissent à tromper une part des humains en instrumentalisant leur malaise d’être pris dans cette « civilisation » mortifère [5]
[5] C’est ce que nous appelons notre civilisation qu’il…
, une autre fraction croissante de l’humanité se révolte contre leur domination et la tournure fascisante qu’elle prend. En tombant les masques ils font chuter les illusions. En durcissant leur domination, ils durcissent aussi la résistance. Si celle-ci sait combattre, la Néronie nouvelle n’écrasera pas l’humanité. En l’an 68, Néron, « abandonné de tous, traqué comme le cerf aux abois, est réduit à se donner la mort ». [6]
[6] Léon Homo, Nouvelle Histoire romaine,…
Gédicus
Le 27 janvier 2025.
[1] Ploutocratie, du grec Ploutokratia : Gouvernement ou domination des riches, Alain Rey, Dictionnaire Historique de la langue française
[2] Hannah Arendt, Eichmann à Jerusalem, 1966.
[3] Guy Debord, Réfutation de tous les jugements tant élogieux qu’hostiles qui ont été jusqu’ici portés sur le film ’La société du spectacle’, 1975.
[4] Ludivine Bantigny, L’ensauvagement du capital, 2022.
[5] C’est ce que nous appelons notre civilisation qu’il convient de rendre responsable en grande partie de notre misère. » Freud, Malaise dans la civilisation, 1929
[6] Léon Homo, Nouvelle Histoire romaine, 1941.
Commentaires récents