22 janvier 2025 par Estelle Pereira
Violences et intimidations à l’égard des associations du réseau France nature environnement se multiplient. Les responsables des attaques sont à chercher du côté d’organisations agricoles. Que fait l’État ?
![Des hommes portent sur leurs épaules u cercueil sur lequel il est apposé des feuilles sur lesquelles il est écrit « FNE fossoyeur de la ruralité ». Du cercueil s'élèvent aussi des drapeaux blanc et rouge des Jeunes agriculteurs.](https://basta.media/local/adapt-img/960/10x/IMG/logo/fne.jpg?1737535396)
Publié dans Écologie
Il faisait nuit noire le 18 octobre dernier, lorsque Daniel Jarrige, président de l’association Saint-Junien environnement, en Haute-Vienne, entend le vrombissement d’un engin agricole devant chez lui. À peine sorti, il découvre un tracteur et une benne en train de déverser des pneus, des branches et de la terre devant son portail. Au-dessus du monticule, le drapeau jaune de la Coordination rurale, deuxième syndicat agricole français. « Je m’attendais à des représailles. Mais pas directement à mon domicile », témoigne-t-il, encore abasourdi.
Pour le militant, il n’y a pas l’ombre d’un doute : cet acte, également orchestré la même soirée devant le domicile du trésorier de son association, est une « vengeance », alors que se tenait, plus tôt dans la journée, le procès d’un ancien cadre de la Coordination rurale du département (CR87). Ce dernier était jugé pour avoir lâché des animaux sauvages, dont un ragondin, dans un cinéma, en janvier 2023 à Limoges, pour perturber la diffusion d’un film sur l’impact des mégabassines dans le marais poitevin.
![Post de la Coordination rurale du 21 janvier 2023.](https://basta.media/local/adapt-img/693/10x/IMG/png/coordination_rurale_haute-vienne_2.png?1737535314)
L’opération avait été revendiquée par le syndicat sur les réseaux sociaux avec cette phrase : « Les écolos terroristes veulent de la biodiversité, la CR87 leur en a livré. » « En sortant du tribunal, nous avons eu droit à une haie d’honneur avec des menaces du type : “on vous retrouvera”, “on sait où vous êtes”, “on s’occupera de vous” », relate Daniel Jarrige.
Des insultes taguées sur les murs
Les messages agressifs envers les membres des fédérations locales de France nature environnement (FNE), regroupement de 9000 associations de défense de l’environnement (parmi lesquelles celle de Daniel Jarrige), se multiplient. En 2023, FNE recensait à son encontre plus de 50 agressions, atteintes aux biens et menaces perpétrées entre 2015 et 2023 partout en France.
Depuis 2022, Basta! a répertorié dix-huit actions ciblées contre les associations membres de FNE dont la moitié en lien avec les récentes manifestations agricoles. Certaines sont perpétrées directement au domicile des représentants de FNE, comme en Charente-Maritime, où la propriété du vice-président de Nature environnement 17 a été saccagée et des insultes homophobes taguées sur ses murs.
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D’autres intimidations ont eu lieu en marge d’événements visant à sensibiliser le public aux enjeux environnementaux. Comme à Guéret, dans la Creuse, quand FNE23 a organisé une réunion publique sur les pesticides le 26 octobre. En réponse, la Coordination rurale revendique avoir tagué la mairie : « FNE foutez-nous la paix », « FNE on oublie pas Saint-Soline », « Les seuls vrais écolos de France sont les paysans ».
![Post de la Coordination rurale de la Creuse du 25 octobre 2024.](https://basta.media/local/adapt-img/681/10x/IMG/png/capture_tags_cr_gue_ret_re_union_info_pesticides.png?1737535314)
« Depuis qu’on a laissé le monde agricole vandaliser partout, on sent monter une forme d’impunité, observe Cécile Argentin, porte-parole de FNE Occitanie-Midi-Pyrénées. Et avec les élections professionnelles des chambres d’agriculture, on a l’impression que c’est à qui fera la plus grosse opération de communication. »
« Une sorte d’impunité »
Depuis le 15 janvier et jusqu’au 31 janvier, les agriculteurs sont appelés à voter pour leurs représentants dans les chambres d’agriculture des départements, actuellement dominées par la Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA). Deuxième syndicat du pays avec 21,54 % des voix, la Coordination rurale détient aujourd’hui la majorité dans trois chambres départementales. Sur le même sujet
Le 7 octobre 2024, pour la quatrième fois en quatre ans, l’antenne FNE Occitanie-Midi-Pyrennées, située à Toulouse, a été vandalisée. Cette fois-ci, l’attaque est revendiquée sur les réseaux sociaux par la Coordination rurale du Gers. « Tout comme nos lacs, nos retenues, nos quotas d’irrigation, sont attaqués par les extrémistes anti tout escrologistes nous sommes allés en plein centre de Toulouse, pour dire stop à ceux qui détruisent l’agriculture », a écrit l’organisation.
![Post de la Coordination rurale du Gers du 7 octobre 2024.](https://basta.media/local/adapt-img/693/10x/IMG/png/cooordination_rurale_du_gers_toulouse.png?1737535315)
« Il y a une forme de radicalisation qui s’installe même dans des territoires qui étaient autrefois épargnés », observe Cécile Argentin. Cette recrudescence de la violence est une conséquence directe, estime-t-elle, de la criminalisation des activistes de l’environnement orchestrée par les derniers gouvernements successifs.
« L’emploi du terme écoterroriste au plus haut sommet de l’État a fait beaucoup de mal », estime Michel Galliot, président de FNE Limousin, à propos du discours de l’ancien ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, pour justifier la répression policière, à Saint-Soline, le 25 mars 2023. « Le mot circule beaucoup, y compris parmi les élus locaux, et justifie d’avoir recours à la violence envers nous », déplore le militant associatif.
Des locaux vandalisés trois fois en moins d’un an
Dans le Tarn-et-Garonne, à Montauban, les locaux de FNE ont été dégradés trois fois en moins d’un an. Le portail et les caméras de surveillance ont à chaque fois été endommagés pour un montant total avoisinant les 60 000 euros. Pourtant, estime son président, Gaëtan Deltour, les relations avec le syndicat FDSEA, qui ne revendique pas officiellement ces actions, sont bonnes. « Certes, nous sommes rarement d’accord, mais nous arrivons à échanger. Nous avons même signé une charte commune sur la création de petites retenues d’eau », appuie le responsable de la section de France nature environnement.
Même stupeur et incompréhension dans l’Indre. L’association Indre Nature, regroupant quatorze salariés et 900 adhérents, a subi, le 26 novembre dernier, en marge de la manifestation agricole de Châteauroux, ce qu’elle qualifie d’agression de la part de la FDSEA36. « De la paille a été déversée devant nos locaux alors que six salariés étaient calfeutrés à l’intérieur, volets fermés. Les agriculteurs ont tambouriné sur les fenêtres sans réaction de la part de la police », décrit Jacques Lucbert, président d’Indre Nature.
« Mort aux écolos »
Si le déversement de déchets devant les locaux de FNE n’est pas une pratique nouvelle, la violence des slogans qui accompagnent ces actions inquiète les militants. En novembre dernier, Michel Galliot, président de FNE Limousin, alertait la procureure de la République de Limoges. « Les menaces et actes envers nos salariés, adhérents et sympathisants deviennent une réalité », écrivait-il. Citant le cas de la banderole « mort aux écolos » affichée lors d’une fête de village en Corrèze. Ou encore le communiqué de presse du président de la chambre d’agriculture de la Haute-Vienne, d’août 2023, invitant les propriétaires fonciers et forestiers à sortir les associations écologistes de leur propriété « par tous les moyens ».
« Ces menaces au grand jour peuvent dissuader des habitants qui seraient témoins d’une infraction ou d’une pollution de témoigner », regrette Michel Galliot. En effet, le message de la chambre d’agriculture de Haute-Vienne fait allusion aux bénévoles qui alimentent le programme de FNE « Sentinelles de la nature ». Cette carte participative permet de signaler une pollution ou à l’inverse des initiatives favorables à l’environnement. « Ces invectives nous inquiètent pour nos salariés qui sont missionnés par l’État pour réaliser les inventaires naturalistes sur le terrain », poursuit Michel Galliot.
Quasiment toutes les agressions font l’objet d’une plainte. « L’idée est de montrer que nous ne nous laisserons pas intimider et que nous continuerons notre travail », explique une juriste de l’association. FNE déplore que ces plaintes soient « systématiquement classées sans suite parfois sans enquêtes. Alors même que les personnes et les syndicats agricoles commanditaires de ces faits se sentant tellement au-dessus des lois, les signent, publient et revendiquent leurs forfaits sur les réseaux sociaux ». L’association environnementale dénonce le deux poids deux mesures de l’État. « Quand on voit la répression policière à l’œuvre lors des manifestations des mouvements écologistes, on se dit que deux logiques différentes sont à l’œuvre », accuse Gaëtan Deltour.
Pourquoi France nature environnement ?
Est-ce parce qu’elle n’hésite pas à porter plainte ou à déposer des recours contre des arrêtés préfectoraux que FNE est ainsi attaquée ? En août 2024, elle a obtenu un abaissement des quotas d’irrigation dans le sous-bassin de l’Adour. Le juge des référés du tribunal de Pau (Pyrénées-Atlantiques) a estimé l’arrêté préfectoral en vigueur illégal, car autorisant « une situation déséquilibrée où les volumes [d’eau, ndlr] prélevés sont supérieurs aux volumes prélevables ». La décision a provoqué la colère des irrigants.
Pourtant, dans les faits, les associations de défense de l’environnement travaillent énormément avec les agriculteurs. Que ce soit au sein des commissions administratives locales, sortes de mini-parlements encadrés par les préfectures autour de thématiques telles que l’eau, la chasse, les paysages, ou dans des programmes de préservation d’espèces protégées. « Dans notre territoire, nous avons mis en place des mesures agro-environnementales qui, depuis dix ans, ramènent un million d’euros par an aux agriculteurs », cite en exemple Jacques Lucbert, dans l’Indre.
FNE est même souvent au chevet des agriculteurs. « Certains viennent même nous demander directement de l’aide », témoigne Gaëtan Deltour, donnant l’exemple d’un membre de la FDSEA qui a signalé un pompage illégal d’eau pour le chantier d’un lotissement, en pleine période de sécheresse. Dans les Bouches-du-Rhône, un producteur, dont la certification bio est menacée par l’épandage de glyphosate à proximité de son terrain, a trouvé de l’aide auprès de FNE-Paca qui a porté plainte pour le non-respect des zones de non-traitement dans la plaine de la Crau.
« Nous sommes en réalité la cible facile alors que notre rôle est de veiller à l’application du droit de l’environnement », admet Cécile Argentin. « On se retrouve dans une situation où aller devant les tribunaux, avec le narratif actuel, c’est être un emmerdeur, regrette Morgane Piederrière, chargée de plaidoyer à FNE. Or, dans une démocratie, aller devant les tribunaux est une façon saine et légale de gérer un conflit. »
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