« Libérez Gino ! »

Affaire Budapest : des néo-nazis, des juges, la SDAT et Viktor Orban

paru dans lundimatin#460, le 20 janvier 2025

Le 12 novembre 2024, Gino était interpelé en région parisienne par la Sous-direction anti-terroriste (SDAT). La fine fleur de la police française avait pour mission de faire appliquer un mandat d’arrêt international émis par la justice hongroise. Cette dernière accuse Gino d’avoir agressé des militants néo-nazis en marge de la manifestation pour la Journée de l’honneur en février 2023. Une contre-manifestation avait été organisée par des militant.e.s antifascistes pour protester contre la tenue de cette marche annuelle à Budapest, où des centaines de personnes se sont réunies. Le jeune militant antifasciste conteste son extradition vers la Hongrie. Il est incarcéré à la prison de Fresnes dans l’attente d’une décision de justice française. Son comité de soutien parisien nous a transmis ce texte qui revient sur cette affaire aux enjeux éminemment politiques et à l’échelle européenne.

« N’arrêtons pas de contredire ceux qui nous combattent avec un tel acharnement, qui essaient de nous ridiculiser, de nous dénigrer et de nous enlever au cours de la nuit. Ils savent qu’ils commettent une injustice, leur dureté est donc un symptôme de peur. Au lieu de cela, faisons preuve de force par l’amitié, le soutien et la joie, toujours avec une porte ouverte pour celles/ceux qui osent s’interroger de manière critique. »
Extrait d’une lettre de Maja depuis une prison hongroise

L’arrestation de Gino rend visible en France une dynamique inquiétante à l’oeuvre depuis cette contre-manifestation, à savoir une forte répression au niveau européen qui s’abat depuis sur les militant.e.s antifascistes de plusieurs pays européens (essentiellement italien.ne.s et allemand.e.s) qui y auraient participé.

La réaction complètement démesurée de la Hongrie du néofasciste Orban, et la mobilisation d’unités spéciales de police révèlent deux choses : la fascisation progressive de l’Europe et l’utilisation des outils de l’UE à des fins autoritaires, et la multiplication de polices spécifiquement dédiées à la répression des militants de gauche. De ce point de vue, le recours à la SDAT rappelle les pratiques de polices politiques tels que Soko Links en Allemagne (Saxe) ainsi que des Digos en Italie. Il s’agit d’utiliser spectaculairement les moyens du renseignement et de l’antiterrorisme contre les activistes dissidents.

L’arrestation de Gino par la police française et les accusations de ’participation à une organisation criminelle’ et de ’coups et blessures provoquant un risque immédiat de mort’ par la justice hongroise, s’inscrivent dans une affaire plus large, parfois nommée ’l’affaire Budapest’ et qui a déjà défrayé la chronique dans d’autres pays européens. Le 29 janvier 2024, pour cette même affaire, la militante antifasciste italienne laria Salis [1]

comparaissait devant un tribunal hongrois dans une mise en scène moyenâgeuses : pieds et poings liés, tenue en laisse. Elle a depuis été élue députée européenne, ce qui lui a permis d’être libéré des geôles hongroises.

Pour le moment, cette affaire vise une vingtaine de militant.e.s, principalement italien.ne.s et allemand.e.s. – 14 mandats d’arrêts européens ont été émis par la Hongrie, et 20 personnes sont poursuivies. Une partie d’entre elles et eux est aujourd’hui détenue, d’autres sont toujours en cavale. Tobias et Ilaria, tous deux interpelés à Budapest et incarcérés décrivent des conditions de détention indignes, des violences physiques, des espaces insalubres, un accès restreint aux conditions nécessaires de survie (air, nourriture, hygiène, etc.) ainsi que des sévices psychologiques qui s’apparentent à de la ’torture blanche’ (privation sensorielle).

Pour Gino, comme pour Ilaria avant lui ou Maja en ce moment, c’est parce que c’est un militant antifasciste, donc un opposant politique aux yeux du gouvernement de Viktor Orban, qu’il risque une peine de prison démesurée pendant laquelle il subirait ces mêmes traitements. Rappelons que les peines encourues peuvent aller jusqu’à 24 ans de prison ferme. A titre d’exemple, le parquet de Budapest vient de proposer une procédure de plaider coupable à Maja : si elle collabore et reconnaît les faits, elle n’écopera, en échange, que de 14 années de prison [2]

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Les instances de l’Union Européenne ont pourtant produit plusieurs rapports [3]

[3] Dernier en date, le rapport contre la torture produit…

qui dénoncent le système carcéral hongrois, notamment en termes de torture et d’indépendance de la justice, ce qui participe, entre autres choses (détournement de fonds publics, libertés publiques…) à la remise en cause du caractère démocratique de ce pays. Événement symptomatique qui participera, nous l’espérons, à influencer la décision du juge, l’UE vient de geler les subventions accordées à la Hongrie pour manquements à l’État de droit, une première dans l’histoire de l’institution [4]

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Notons que de son côté, les autorités française sont sommées d’appliquer ce mandat d’arrêt à partir de ces seules accusations, la justice hongroise n’ayant pas transmis le moindre élément d’enquête ou de preuve jusqu’à présent.

Des décisions divergentes selon les pays et les tribunaux

Maja est aujourd’hui encore incarcéré.e en Hongrie et les charges contre Ilaria n’ont pas été abandonnées malgré son statu de parlementaire européenne. Les autorités hongroises ont d’ailleurs récemment demandé la levée de son immunité parlementaire après qu’elle ait critiqué les conditions de détention en Hongrie lors d’une session parlementaire.

Néanmoins, persistent quelques miettes de contre-pouvoir institutionnel qui peuvent jouer en faveur de notre camp : Gabriele par exemple, militant italien également inquiété par un mandat d’arrêt dans cette même affaire, a été libéré après que la cour d’appel de Milan ait refusé de prononcer son extradition. Les magistrats ont estimé qu’au vu des conditions de détention et de l’impossibilité de garantir un procès équitable en Hongrie, le mandat d’arrêt ne serait pas exécuté. La Cour s’est appuyée sur les rapports fournis par la défense qui dénoncent : l’absence de garantie de sécurité au vu de ses opinions politiques ; l’opacité des liens entre des groupes néonazis et le gouvernement hongrois ; le manque de fermeté dans la condamnation des agressions perpétrées par ces groupes néonazis, etc. La cour d’appel de Milan avait exigé de la Hongrie des “assurances diplomatiques”, garanties écrites par le gouvernement qui auraient pu dissiper tous doutes vis-à-vis des risques énoncés mais le gouvernement hongrois y a répondu avec retard, de façon incomplète et évasive. Il a donc été statuée que l’article 3 de la convention européenne des droits de l’homme n’était pas respecté et que les risques de torture, de traitement inhumain, etc., étaient tangibles.

Ce sont ces mêmes arguments qui sont actuellement défendus par les avocats de Gino en France pour convaincre la justice de ne pas accepter son extradition.

Le cas de Maja, en Allemagne – fantasque et scandaleux – nous offre malheureusement un contre-exemple qui nous pousse à rester vigilants quant à la propension des « démocraties exemplaires » à faire respecter les droits fondamentaux.

Il n’est à ce propos pas inutile de rappeler dans quelles circonstances ahurissantes a eu lieu son extradition. Fin juin 2024, en plein milieu de la nuit, Maja est extrait.e de sa cellule et mis.e de force dans un hélicoptère direction la Hongrie. Ni ses avocats, ni sa famille n’ont été prévenus afin qu’aucun recours ne puisse être déposé. À 10h50, la cour constitutionnelle d’Allemagne émettait une ordonnance de suspension de son extradition. Celle-ci est néanmoins arrivée trop tard, Maja ayant été livré.e aux autorités hongroises 50 minutes plus tôt. Sa famille dû apprendre les évènements par la presse.

Pourquoi soutenir Gino ?

Les moyens de l’antiterrorisme, en l’occurence la SDAT, sont encore une fois employés par le ministère de l’Intérieur dans une situation qui n’a strictement aucun rapport avec ses prérogatives. Après les garde à vues de journalistes ou la répression de militants écologistes [5]

, le cas de Gino vient s’ajouter à ce que d’aucuns analysent comme un glissement autoritaire du gouvernement français qui ne semble plus rater une occasion d’utiliser l’antiterrorisme pour mener la répression politique. Rappelons à tout fin utile le contexte politique français dans lequel cette séquence s’inscrit : celui de la fusion/acquisition de la place Beauvau et de la place Vendôme [6]

, depuis que Darmanin – qui est par ailleurs celui qui a initié cette séquence du terroriste-à-tout-va pour disqualifier le camp progressiste – chouchou des syndicats policiers, est passé de l’Intérieur à la Justice, participant à brouiller davantage la frontière entre les deux ministères.

Ce qu’il faut bien comprendre, c’est que l’affaire hongroise, le mandat d’arrêt international, l’interpellation par la SDAT et la possible extradition de Gino s’inscrivent dans une dynamique plus large et inquiétante. Il ne s’agit pas seulement de sauver la vie d’un ami ou d’un camarade mais de prendre la mesure des enjeux politiques qui se nouent autour de sa liberté.

Pendant de nombreux années, les polices européennes ont activement collaboré dans la répression des militants politiques. La question posée par l’arrestation de Gino est de savoir si cette collaboration peut continuer à aller de soi lorsque certains régimes européens prennent un tournant fasciste ou fascisant comme la Hongrie.
Par-delà, cette dimension policière de surveillance et de partage des informations, se pose une seconde question : la justice va-t-elle, de son côté, accepter de collaborer les yeux fermés et d’obéir aux injonctions de l’appareil répressif hongrois ?

En d’autres termes, les juges français vont-ils trouver cela normal que la police antiterroriste française leur amène, enferré, un militant antifasciste pour le remettre à la Hongrie de Orban qui souhaite l’emprisonner 10 ou 20 ans dans des conditions inhumaines à la suite d’une bagarre non avérée avec des néo-nazis ?

La cour d’appel devrait rendre sa décision quant à l’extradition de Gino le 12 février prochain. Les juges ont demandé à la Hongrie de transmettre des garanties sur les conditions de jugement et de détention, les mesures concrètes prises pour garantir sa sécurité du fait de ses opinions politiques, et préciser les garanties effectives pour protéger sa personne et garantir son droit à un procès équitable, notamment par rapport à l’indépendance et l’impartialité des tribunaux hongrois.

En attendant, le comité français contre l’extradition de Gino se mobilise pour sensibiliser et visibiliser cette affaire en organisant localement et internationalement des évènements de solidarité et en médiatisant les enjeux de cette lutte. Il récolte aussi des fonds pour les frais de justice et procurer à Gino le nécessaire pour survivre en prison.

Nous voulons la libération de Gino, de tous les militant.e.s de “l’affaire Budapest”, et de tous les antifascistes de manière générale.

Free Gino ! Free all antifas !

Le comité parisien contre l’extradition de Gino

Si vous souhaitez soutenir financièrement Gino, obtenir son numéro d’écrou pour lui écrire ou tout simplement vous tenir au courant des avancées de la lutte : suivez et/ou contactez la page Instagram @Libérez_Gino

[1https://www.lemonde.fr/international/article/2024/02/01/en-hongrie-le-proces-d-une-militante-antifasciste-italienne-declenche-une-crise-avec-rome_6214264_3210.html

[2https://attaque.noblogs.org/post/2025/01/15/budapest-hongrie-le-parquet-demande-quatorze-ans-de-prison-pour-maja/

[3] Dernier en date, le rapport contre la torture produit par le Conseil de l’Europe : https://www.coe.int/fr/web/portal/-/hungary-prison-overcrowding-ill-treatment-by-staff-and-inter-prisoner-violence-highlighted-in-anti-torture-committee-report ; Le parlement européen a remis en cause le statut de démocratie attribué à la Hongrie : https://www.europarl.europa.eu/news/fr/press-room/20220909IPR40137/la-hongrie-ne-peut-plus-etre-consideree-comme-une-democratie-a-part-entiere

[4https://www.nouvelobs.com/monde/20250101.OBS98507/l-ue-retire-definitivement-1-milliard-d-euros-de-subventions-a-la-hongrie-de-viktor-orban.html

[5https://reporterre.net/Affaire-Lafarge-des-mises-en-examen-pour-etouffer-le-mouvement-ecologiste

[6https://www.blast-info.fr/articles/2025/derniere-station-avant-le-fascisme-_4Y4t4eYTrSUdgOzw9MouQ

https://lundi.am/Liberez-Gino

  • Terreur

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