Qu’est-ce que l’économie ?
Jacques Fradin
paru dans lundimatin#417, le 26 février 2024
Si le droit féodal a été jusqu’à l’époque moderne, l’Ancien Testament de la domination ; l’économie politique est son Évangile – Jacques Fradin est, pour nous, le liquidateur testamentaire des faux prophètes et des bonnes paroles, le contre-prêtre, l’ingénieur rédempteur, l’huissier anarchiste mandaté pour expulser de son squat existentiel, tout le Règne de l’Économie. Il y a bientôt 10 ans, nous avions réalisé avec lui une série de 10 leçons d’une trentaine de minutes chacune : « Qu’est-ce que l’économie ? ». Il s’agissait de rendre accessible un travail dense mais salutaire que l’on pourrait résumer en quelques mots : l’économie n’est ni plus ni moins qu’une religion, une modalité de gouvernement et un despotisme. Démonstration implacable et punchlines garanties.
Nous venons de remettre cette série au propre et de réorganiser les épisodes dans une « playlist » youtube accessible ici.
Leçon 1 : Du conforme à l’uniforme
Que reste-t-il lorsque l’autorité se dissout de partout, lorsque la légitimité du pouvoir s’évanouit, lorsque des classes entières de la population deviennent « ingérables » ?
Il reste l’inscription dans les circuits monétaires.
L’économie est la dernière méthode de gouvernement.
Dernière méthode, bien archaïque, de dressage, de surveillance, de canalisation.
L’économie est un système politique particulier, celui du despotisme éclairé par la raison calculatoire.
Leçon 2 : La machinerie de l’uniformisation
Quel est l’objet du gouvernement économique, du despotisme économique qui nous dirige ?
L’objet de l’économie n’a jamais été de produire des objets appétissants ou des petites machines merveilleuses, des gadgets ou des drogues. Mais a toujours été de fabriquer un type humain bien dressé.
Bien dressé par et pour le travail.
Bien conformé pour mener la vie sous l’uniforme du touriste consommateur.
C’est cette uniformisation, l’obtention d’un mouvement régulier, à la limite invisible, l’obtention d’un effacement des individus soumis aux règles économiques, auto, boulot, caddie, qui permet de « laisser » l’autoentrepreneur de soi tourner comme le rouage agile de la grande machine despotique.
Leçon 3 : L’agence centrale de la conformation
Le despotisme exige la diligence et la surveillance.
L’action diligente pour protéger les fortunes des saints patrons.
La surveillance attentive pour punir « en temps réel » les infractions de la misère.
La finance, le système bancaire, est l’appui le plus intime du gouvernement. Et vice versa.
« Ma maîtresse ne s’appelle pas Sophie, ma maîtresse c’est la banque » (et en particulier une société si générale qu’elle officie même au paradis), tel est le soupir d’amour du bonhomme cynique, le despote républicain qui se glorifie d’être « démocrate ».
Leçon 4 : Fabriquer les ressorts de l’autoentreprise
Fabriquer des agents entreprenants, nerveux et tressautant, responsables et avec du répondant, voilà ce qu’usine le despotisme économique.
L’économie noire. Le royaume de l’informel.
L’économie n’a pas pour objectif la satisfaction des besoins ; elle fonctionne très bien sur un océan de misère.
L’économie a uniquement pour but, et c’est un but politique (voire de police), la mise en ordre indiscutable. Élever des hiérarchies pour l’ordre de la bataille.
« Bolloré », telle est son appellation métonymique.
Leçon 5 : La dogmatique économique
Dès que l’on a compris que l’économie est et n’est qu’un régime politique particulier, le despotisme éclairé, ce régime qui gouverne notre survie, dès que l’on a vu que l’économie repose sur l’usinage d’un type humain bien conformé, sous l’uniforme du touriste méthodique, la lumière du petit travailleur zélé, ressorts sans arrêt à remonter, il est facile de comprendre qu’il est indispensable d’embellir, magnifier, glorifier ce mode de la survie économique, l’écureuil excité dans sa cage d’acier.
Il est nécessaire de déployer une grande mythologie enchanteresse.
De mettre en scène des chants séraphiques.
Autant que l’humain est un animal de promesses et de caresses, de crédulité et d’amour.
La dogmatique économique, obligatoirement propagée comme « science » économique, est la religion civile de la république despotique.
La république économique des despotes bonhommes marche donc sur deux jambes.
Les rituels des hiérarchies, le conseil d’administration, le formalisme des commandements, l’exécution inventive, le shopping comme culture populaire, le tourisme comme défouloir du petit chef ;
Et les chants de la gloire, les « économistes » étant les troubadours difformes des dynasties survoltées (de « Bollorés »).
Leçon 6 : L’économie est un vaste système de planification
L’économie ouvre la boîte d’un monde mécanique, autorégulé, cybernétique.
La plus ancienne querelle du marché, ouvert et démocrate, contre le plan, impératif et totalitaire, cette querelle n’est qu’un leurre.
Pour que le marché marche convenablement, devienne cybernétique et ainsi parfaitement planifiable, il faut un ensemble dense de lois, règles, normes, etc., qui définisse son espace comme un plan calculable.
Et, surtout, il faut un agent zélé de l’économie, travailleur infatigable ou consommateur surendetté. Un individu, entrepreneur de lui-même, motivé uniquement par la réussite financière et le pouvoir qu’elle génère (un « Bolloré »).
Un rouage parfait de la grande mécanisation.
La planification par le marché calculable, au moyen de myriades de ressorts tressautant, remontés par la compétition, voilà la forme cybernétique du gouvernement despotique.
Leçon 7 : Le premier nœud de la domination économique : La croyance en une alternative économique
Il faut toujours voir l’économie comme un système politique.
Le système politique du despotisme, du despotisme d’usine universalisé.
Comme ce système de domination s’est déployé depuis plus de deux siècles, il s’est beaucoup ramifié.
Mais il est possible d’extraire quelques nœuds de domination.
Le premier nœud, et le plus étouffant, est celui qui serre les croyants autour d’une idole vénérée : l’idole de l’économie alternative (économie alternative plutôt qu’alternative à l’économie).
Leçon 8 : Le second nœud de la domination économique : Le néocolonialisme du minotaure financier
Comment comprendre l’hégémonie financière américaine ?
Le capital et sa finance, force politique concentrée, usine sans relâche un champ social totalisé, le chant de l’économie, l’évaluation totale, la comparabilité universelle.
Cette force politique possède un état-major et un quartier général.
Les institutions privées de la planification mondiale du commandement opérationnel sont les centres financiers et leurs maillages.
La finance est le commandement du déploiement néocolonial incessant, de la « concurrence » qui optimise le profit.
Qui possède un centre financier, un état-major stratégique, commande au mouvement du monde.
Leçon 9 : Le troisième nœud de la domination économique : La technocratie libérale
La république économique a besoin des dogmes énoncés par la pseudo « science » économique.
Certes l’analyse économique néoclassique est une imposture.
Mais, surtout, elle contient un projet politique qui se concrétise dans un libéralisme offensif, le libéralisme constructiviste et interventionniste.
Le libéralisme de la planification par le marché.
La dogmatique libérale autoritaire exige des légions de prêtres armées, les chevaliers croisés de la « science », les technocrates libéraux, les bureaucrates (externalisés) du marché.
Et ceux-ci, comme le mercenaire Jean Tirole, peuvent être récompensés par les plus hautes instances de l’État de l’économie.
Ces technocrates sont beaucoup plus que des imposteurs : ce sont les intellectuels organiques du despotisme.
Essentiellement issus du corps des ingénieurs.
Leçon 10 : Du gouvernement économique à la cybernétique
Que dévoile l’histoire de la dogmatique économique néoclassique ?
Que dévoile la déconstruction de la plus ancienne doctrine, qui remonte à Pareto, vers 1900, de la planification par le marché, Lange, Bénard, Vickrey ?
Que la gouvernance cybernétique, le social engineering promu par la pensée cybernétique, comme l’analyse statistique des données en masse, que cette gouvernance est la maximisation de la gouvernance économique.
L’économie et sa dogmatique, néoclassique, libérale technocrate, sont une modalité originale du despotisme actualisé, modalité reposant sur la désintégration de l’humain en individu calculable, sur la désintégration de toute forme de vie autonome en mode de vie profitable.
Parmi l’ensemble compact des réductions (jivaros) qu’exécute l’économie, bien entendu celle de la mise au travail, contrainte et forcée, sans libre choix, cette capture est la plus ancienne et la plus symptomatique.
Le despotisme économique est le gouvernement du servage rationnel.
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