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La Défense Collective de Rennes ciblée : une attaque de plus contre le mouvement social
Une dissolution est, en principe, une mesure exceptionnelle : elle permet de démanteler un groupe ou une association de façon extrajudiciaire, sur décision du Premier Ministre. Les «dissolutions administratives» apparaissent dans les années 1930, dans un contexte de montée du fascisme dans toute l’Europe. Alors qu’Hitler est au pouvoir en Allemagne et Mussolini en Italie, l’extrême droite française ne cache pas son intention de renverser la République. Le 6 février 1934, des Ligues Fascistes attaquent le Parlement. L’émeute fait plusieurs morts. Quelques jours plus tard, une manifestation antifasciste a lieu, elle aussi réprimée, avec à nouveau des morts.
En 1936, la gauche arrive au pouvoir avec la victoire du Front Populaire. C’est ainsi que sont utilisées les premières dissolutions administratives : elles ont pour but de «protéger la République» contre les menaces des «milices armées» d’extrême droite. Les Ligues sont donc dissoutes. Mais très rapidement, la mesure est utilisée bien au delà de la menace fasciste : des collectifs anticolonialistes, algériens notamment, sont à leur tour dissous dès 1937.
Au cours du vingtième siècle les dissolutions n’ont pas empêché Pétain d’accéder au pouvoir, ni freiné la violence et les idées fascistes, mais la procédure n’a jamais cessé de s’étendre. Après 1968, plusieurs groupes d’extrême gauche ont été dissous. Auparavant, de nombreux collectifs indépendantistes ont été frappés, mais aussi un certain nombre de groupes d’extrême droite, notamment néo-nazis ou responsables de violences physiques.
En 2021, Darmanin fait voter la «Loi séparatisme». Cette loi est un recul majeur pour les libertés publiques et une attaque frontale contre les droits associatifs. Elle permet de dissoudre non pas les associations qui «menaceraient la République» ou qui seraient des «milices de combat», mais tout groupement «incitant à la violence contre les biens et les personnes». Ce qui ne veut rien dire : appeler à une manifestation est-elle une incitation ? Dénoncer les violences policières, est-ce une incitation ? En réalité, la «Loi séparatisme» étend massivement la possibilité de dissoudre toute association dérangeant le gouvernement.
Cette mesure a immédiatement frappé plusieurs collectifs musulmans, notamment le CCIF – comité contre l’islamophobie en France – ou encore du CRI – comité contre le racisme et l’islamophobie. Le décret de dissolution expliquait qu’un représentant de cette association aurait «proféré des propos incitant les jeunes des quartiers populaires à se rebeller» lors d’une «manifestation publique visant à dénoncer la partialité des forces de l’ordre, de la municipalité et des magistrats présentés comme islamophobe».
Dénoncer le racisme, l’islamophobie ou appeler à la rébellion justifie dès lors la dissolution administrative d’une association. Loin, très loin de la menace de coup d’État fasciste de 1934. La procédure est devenue une arme pour mettre au pas les ennemis intérieurs, notamment les minorités et les contestataires. Une épée de Damoclès au-dessus de tout collectif dérangeant.
Le nombre de dissolutions a donc explosé ces dernières années : Macron a dissout plus d’associations et de groupements que tous ses prédécesseurs depuis le début de la 5ème République. Dès lors, des collectifs de défense de la Palestine ont été ciblés, mais aussi des collectifs antifascistes – comme la GALE à Lyon, pour de prétendues «provocations» sur internet, donc un délit d’opinion –, des associations anticapitalistes comme le Bloc Lorrain ou encore notre média en 2022, alors qu’il s’appelait Nantes Révoltée.
Face à la mobilisation, le gouvernement a parfois dû reculer. Cela a été le cas pour Nantes Révoltée, qui avait reçu un soutien populaire massif. Mais d’autres groupes ont été bel et bien dissous et sont menacés de poursuites et d’arrestations en cas de «reconstitution de ligue dissoute».
L’été dernier, une offensive inédite a même eu lieu avec la tentative de dissoudre Les Soulèvements de la Terre : pour la première fois, les autorités utilisaient cette procédure d’exception contre une coalition écologiste réunissant des centaines de collectifs et des dizaines de milliers de membres. La dissolution a été invalidée par le Conseil d’État, mais c’était une victoire en demie teinte. Les magistrats ont estimé que le décret de dissolution de Darmanin n’était pas assez fourni pour le moment, sous-entendant qu’un autre procédure plus étoffée pourrait être validée… En quelque sorte, un sursis.
Les macronistes réfléchissent d’ailleurs sérieusement à faire entrer dans une nouvelle loi la possibilité de dissoudre toute association provoquant à la violence, y compris de façon «subliminale». Un rapport parlementaire veut étendre toujours plus les dissolutions : il suffirait d’un «like» sur les réseaux sociaux sur une photo d’affrontement par exemple. Absolument n’importe quelle structure pourrait être dissoute : syndicats, partis… Durant l’automne 2023, plusieurs élus ont d’ailleurs réclamé la dissolution de la France Insoumise et du NPA pour avoir dénoncé le massacre à Gaza. Et Darmanin annonce son intention de dissoudre d’autres collectifs pro-palestiniens… Ce n’est donc probablement qu’un début.
C’est dans ce contexte qu’une procédure de dissolution est engagée contre la Défense Collective, un groupe de soutien juridique basé à Rennes, qui vient en aide aux personnes poursuivies depuis des années. En janvier, une manifestation contre la Loi Immigration a été émaillée d’affrontements, qui ont immédiatement été attribués à la Défense Collective par la police et la Préfecture. Le préfet avait même assimilé les manifestants à des «terroristes» dans la presse. Utilisant ce récit policier délirant, attribuant à un groupe la responsabilité de toutes les dégradations lors d’une manifestation, Darmanin vient de lancer la procédure contre le groupe rennais.
Il s’agit d’une attaque grave contre tous les collectifs proposant du soutien juridique face à la répression, et plus généralement contre le mouvement social. C’est la possibilité même de se défendre face aux attaque du gouvernement et de sa justice qui est menacée de dissolution. Une procédure contradictoire est désormais engagée, et le décret de dissolution pourrait être émis en Conseil des Ministres prochainement.
La Défense Collective déclare dans un communiqué son intention de se défendre farouchement, et précise : «Peu importe la suite des événements, le combat continuera».
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