Par Ariane Lavrilleux Journaliste à Disclose Ce ne sont pas des policiers ordinaires qui se sont présentés à mon domicile, mardi, à 6h05 du matin. Les neuf agents des services de renseignement intérieur (DGSI) qui ont perquisitionné mon appartement, en compagnie d’une juge d’instruction, sont spécialisés dans la lutte anti-terroriste. Trois d’entre eux étaient des experts en informatique. Alors que leurs collègues fouillaient mon appartement, ils se sont dirigés vers mes ordinateurs et mon téléphone, ils y ont branché des clés USB et d’autres équipements, avant d’aspirer leurs données. C’est d’ailleurs la principale raison qui explique pourquoi la fouille de mon appartement a duré près de dix heures. J’ai ensuite été conduite à l’hôtel de police de Marseille, où j’ai enfin pu être accompagnée d’un avocat. À chacune de mes auditions, face aux questions parfois manipulatoires des policiers, j’ai inlassablement fait valoir mon droit au silence. Au cours de l’un de mes nombreux interrogatoires, toujours entrecoupés de passages en cellule, un enquêteur m’a appris que je faisais l’objet d’une surveillance depuis un certain temps. J’ai ensuite passé la nuit en cellule, sur un matelas en mousse. J’ai eu soif et froid. Les auditions ont repris le lendemain, toute la journée, avant que je sois libérée en début de soirée, après 39 heures de garde à vue. Les policiers m’ont fait sortir du commissariat par la porte de derrière, et sans prévenir mon avocate, de sorte que j’ai raté le comité d’accueil qui m’attendait devant… Pendant ces deux jours de privation, j’ai été à la fois victime et témoin privilégiée d’un détournement des moyens de la lutte antiterroriste. En théorie, la mission des cerveaux brillants qui m’ont interrogée durant tout ce temps est de déjouer les attentats sur le sol français. Mais au cours de ces deux jours, ils n’ont cherché qu’une seule chose : traquer mes sources et celles de Disclose. Celles-là même qui nous ont permis de révéler les crimes commis contre les civils par plusieurs dictatures, de l’Arabie saoudite à l’Égypte, avec des armes made in France. La complicité de l’État français dans ces exactions devait-elle être connue des citoyens et des citoyennes ? Oui, sans réserve. Depuis 2019, nous sommes quatre journalistes de Disclose à avoir été convoqué·es ou placé·es en garde à vue par la DGSI. C’est plus que tout autre média en France. Est-ce en raison des ressources limitées de notre média, financé par le don, avec seulement trois salariés permanents ? Ou est-ce plutôt lié au fait que nos révélations dérangent le haut sommet de l’État ? Sans doute un peu des deux. Mais une chose est sûre : ces procédures, qui accaparent beaucoup de temps et d’énergie, menacent directement nos sources. C’est intolérable. Celles et ceux qui prennent les risques pour nous informer doivent être protégés. Car sans source, pas de journalisme et donc pas de démocratie éclairée. Comme toute l’équipe de Disclose, j’ai été profondément touchée par votre soutien et vos très nombreux messages — nous allons y répondre, un par un, dans les prochains jours. Les rassemblements organisés dans plusieurs villes de France et sous les fenêtres du commissariat de Marseille m’ont donné la force de tenir. La mobilisation de Reporters sans frontières, Amnesty International, le collectif Presse-Papiers et l’association Prenons la 1, d’une quarantaine de sociétés de journalistes, d’organisations internationales, de syndicats, d’élu·es… ont montré un élan sans précédent. Il doit durer. Désormais, la pression doit changer de camp. Dans quelques jours s’ouvriront les États généraux de l’information, voulus par Emmanuel Macron. À nous d’y faire entendre notre détermination à défendre la protection des sources des journalistes. Coûte que coûte, malgré les menaces. https://4zuwl.r.ag.d.sendibm3.com/mk/mr/sh/WCPxRrNLV1Ltv4PvBYOSaRyRJXH64Cbi/Bkg0Samg1aSx |
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