En vue de la mobilisation du 23 septembre contre les violences policières, Rapports de Force publie une série d’articles, dont le deuxième porte sur la réponse judiciaire mise en place lors des affrontements urbains qui ont suivi la mort du jeune Nahel. Les taux de comparutions immédiates et de condamnations à la prison ferme ont explosé, révèle un rapport des ministères de la Justice et de l’Intérieur.
Le rapport, rendu ce 25 août par les inspections générales de l’administration et de la justice, est de nature à faire couler beaucoup d’encre. D’abord celle des médias les plus droitiers. Ces 50 pages, commandées par le ministère de la Justice et intitulées « Analyse des profils et motivations des délinquants interpellés lors des violences urbaines du 27 juin au 7 juillet 2023 », ont fuité en premier lieu dans le Figaro, avant d’être reprises par Valeurs Actuelles.
Les deux médias se sont focalisés sur « le portrait robot », de l’émeutier. Oubliant de restituer les nombreux biais que le rapport énonce lui-même*. Le premier titre du Figaro, ronflant, « Émeutes de juin: le rapport qui pointe l’ultraviolence du désœuvrement ». Le second de Valeurs Actuelles : « Émeutes : une grande majorité des interpellés sont des jeunes Français originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne », alors que cette citation de la préfecture de Paris ne concerne que la capitale et sa première couronne.
Or, bien plus que le profil type de l’émeutier, ce rapport nous renseigne sur la nature des réponses judiciaires apportées aux révoltes contre les violences policières suite à la mort de Nahel. Car, sur les 2 519 manifestants majeurs (28% des mis en cause sont des mineurs) poursuivis dans le cadre d’infractions liées aux révoltes urbaines, au 31 juillet 2023, 1 249 ont déjà été jugés et condamnés lors de la remise du rapport.
60 % de comparutions immédiates
La stratégie de maintien de l’ordre mise en place sur la période des révoltes** a consisté à « vider la rue », explique un chef de juridiction s’exprimant anonymement dans le rapport. Corollaire : les forces de l’ordre ont rempli les commissariats, puis les salles d’audiences. Et, à situation exceptionnelle, justice exceptionnelle : « certains chefs de cour et de juridiction confrontés de manière récurrente aux épisodes de violences urbaines ont (…) pu intégrer la gestion de crise dans leur fonctionnement quotidien », pointe le rapport, sans détailler davantage.
Il est évident que le recours massif à la procédure de comparution immédiate a fait partie de cette « gestion de crise ». Ce recours a été décidé « en fonction de critères plus larges que ceux habituellement retenus. L’absence d’antécédents judiciaires n’a pas fait obstacle au choix de cette voie », continue le rapport.
Sur l’ensemble des affaires poursuivies, 65% l’ont été au tribunal correctionnel (le reste étant confié aux juges pour enfants – 25% – ou à des juges d’instruction – 5% -). Mais surtout, 60% des prévenus sont passés par des procédures de comparution immédiate. Un chiffre particulièrement élevé puisque la moyenne de l’année 2021 est de 11%.
Or, la comparution immédiate pose de nombreux problèmes : « vanter les mérites de la comparution immédiate, c’est promouvoir une procédure discriminante à l’égard d’hommes, jeunes, étrangers ou d’origine étrangère, sans emploi, résidant dans des zones géographiques défavorisées », avait rappelé le Syndicat de la Magistrature dans un communiqué courant juillet. « C’est se réjouir d’un jugement biaisé, dans des conditions hautement défavorables aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine et qui entraîne in fine une probabilité d’être incarcéré huit fois plus importante que les autres modes de jugement ».
Force est de constater que les émeutiers, en protestant contre les violences policières et la mort de Nahel, n’ont pas eu les mêmes chances que les autres.
Prison ferme à tout va
Les condamnations à de la prison ferme ont été importantes également. Un peu plus de 60 % des majeurs condamnés l’ont été à une peine d’emprisonnement ferme. Là aussi, le chiffre est bien supérieur à la moyenne nationale de 2022, qui est de 38 % de taux de prison ferme prononcé en 2021 par les tribunaux correctionnels.
Pour deux tiers d’entre elles, ces condamnations sont inférieures à 12 mois : 8,9 mois en moyenne. À titre de comparaison, pour l’année 2021, elles s’élevaient à 9,7 mois au national, étant précisé que ce dernier chiffre concerne un périmètre d’infractions plus large.
Des mandats de dépôt ou maintiens en détention ont été prononcés dans 53 % des cas, ce qui a contribué pour l’essentiel à l’exécution immédiate des peines d’emprisonnement. Le taux d’aménagement de peine à l’audience s’est élevé à 20 %, soit un niveau inférieur au taux moyen national de 29 % constaté sur l’ensemble de l’année 2021.
« Vider la rue en mettant tout le monde en prison, il est évident que cela produit des effets immédiats et visibles. Mais la réponse judiciaire s’apprécie sur un temps long : que vont devenir ces condamnés ? Vont-il se réinsérer ? Ne pas récidiver ? Ce rapport répond à une commande politique. Il n’a aucun sens pour l’efficacité de la justice », conclut Samra Lambert, secrétaire nationale du syndicat de la magistrature.
* Premier biais : le rapport ne constitue sont portrait robot qu’à partir des émeutiers condamnés. Le second : les déclarations retenues peuvent faire partie d’une stratégie de défense avant exercice de poursuites puis à l’audience. Elles doivent être appréhendées avec un certain recul.
** La presse a pris l’habitude de qualifier « d’émeute » les situations de confrontation avec la police, ou de casse, lorsqu’elles sont menées massivement par des personnes issues des quartiers populaires. Nous lui préférons celui de « révolte », qui n’oublie pas que ces violences ont des causes politiques.
Crédit photo : Serge D’ignazio.
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