● LDH● Politique
La Ligue des droits de l’homme (LDH) présente ce lundi un rapport, «fruit du travail conjoint» de plusieurs des observatoires des libertés publiques et des pratiques policières qui se sont créés partout en France à son initiative, consacré à ce qui s’est réellement passé le 25 mars dernier à Sainte-Soline – où était organisée une manifestation écologiste et citoyenne contre la construction d’une «mégabassine» catastrophique pour l’environnement. Et le moins qui se puisse dire est que ce dense document de 161 pages, «dont les conclusions découlent des observations effectuées directement sur le terrain», est accablant pour le gouvernement.
Ses auteurs constatent d’abord que la préfète des Deux-Sèvres, en édictant, dans un courrier daté du 22 mars, que «les observateurs de la Ligue des droits de l’Homme présents sur les lieux de manifestation» seraient «assimilés à des manifestants» a pris quelques étonnantes libertés avec le droit international en privant de facto les observateurs de la LDH «de la possibilité d’exercer leur mission d’observation».
Stigmatisation et criminalisation
Le rapport relève ensuite qu’à l’approche de la manifestation de Sainte-Soline, «la communication gouvernementale a consisté à disqualifier le mouvement pour assimiler les manifestant·es à des délinquant·es et même à des terroristes», et que cette manipulation langagière a préparé une «gestion du maintien de l’ordre» proportionnée à cette prétendue menace.
La LDH, citant l’association de critique des médias Acrimed, insiste : l’activisme écologique est devenu «l’épouvantail médiatique du moment», et les actions de désobéissance civile sont désormais présentées comme du «terrorisme à basse intensité». Un homme, en particulier, a beaucoup contribué, expliquent les auteurs du rapport, à cette extravagante criminalisation : c’est Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron et auteur de l’impérissable analyse selon laquelle «des gens (…) veulent, par la violence, par la terreur, et donc par le terrorisme, empêcher l’État de droit de fonctionner». Puis de cette inévitable conclusion : «N’ayons pas peur des mots. (…) Il y a un certain nombre d’actes qui s’apparentent à de l’écoterrorisme.»
Bien sûr, et comme le rappelle ensuite le rapport, «la qualification d’“éco-terrorisme“ n’existe pas en droit pénal français ». Et le fait de se mobiliser pour l’environnement n’a évidemment rien à voir avec le terrorisme. Mais l’objectif de Gérald Darmanin, lorsqu’il use de ce lexique extravagant, n’est bien sûr pas de se conformer à la réalité factuelle : en criminalisant ainsi les mobilisations écologiques et environnementales, ce ministre manipulateur cherche, comme le relève la LDH – reprenant une analyse du chercheur Alexandre Truc – à «délégitim(er) une action militante en la présentant comme violente tout en justifiant, dans le même temps, l’utilisation », contre les militants et militantes investis dans cette action, « de moyens juridiques et policiers d’une extrême intensité».
En somme, résument les auteurs du rapport, «en qualifiant d’“éco-terroristes“ des pratiques militantes, le gouvernement stigmatise et criminalise un mouvement social», et construit «un groupe social dont la présence est considérée comme illégitime dans l’espace public», et qui peut dès lors «être réprimé violemment (…) au nom de l’ordre public » lorsqu’il ose prétendre au libre «exercice» de ses «droits».
Provocation et répression
Cette «construction d’ennemis de l’intérieur annonçant une répression exceptionnelle» transparaît aussi dans ce que la LDH appelle «la communication provocatrice des autorités avant la manifestation du 25 mars». En principe, ces dernières doivent évidemment «avoir pour but d’apaiser la situation et non de créer des tensions». Mais Gérald Darmanin, apparemment rétif à la détente, préfère plutôt prévenir, à la veille du rassemblement de Sainte-Soline, et dans une nouvelle surenchère : « Nous verrons des images extrêmement dures, parce qu’il y a une très grande mobilisation de l’extrême gauche et de ceux qui veulent s’en prendre aux gendarmes et peut-être tuer des gendarmes et tuer les institutions.»
Et de fait : les images de la manifestation seront terrifiantes, pour ce qu’elles montreront du déchaînement de violence qui s’abat, le 25 mars, sur les militants et militantes qui se rassemblent à Sainte-Soline – en dépit de «contrôles généralisés, bien en amont de la manifestation et jusqu’après son déroulement», dont «la légalité est incertaine». Et pour cause : « il semble », écrivent les auteurs du rapport de la LDH, «que les autorités aient souhaité faire une démonstration de force, s’obstinant à empêcher l’accès à la bassine, quel qu’en soit le coût humain ». Il s’ensuit un déchaînement de violence guerrière – dont les observateurs font un long et minutieux compte-rendu.
Extrait 1 : «À 12 heures 53 des tirs quasi continus de grenades lacrymogènes sont observés.» Une équipe d’observateurs «note quinze tirs de lacrymogènes en quatre secondes, puis à 12 heures 55 onze tirs en 19 secondes. L’air est saturé de gaz lacrymogène ». À 12 heures 54, une autre équipe «entend plus d’une douzaine de fortes détonations semblables à des grenades de type GENL, ASSD ou GM2L, puis une nouvelle salve de grenades à 12 heures 55, heure à laquelle sont entendus de nombreux appels » à l’aide lancés vers des « médics».
Extrait 2 : «De 13 heures 02 à 13 heures 12 des grenades lacrymogènes et explosives (même au milieu de groupes de manifestant·e·s compacts) sont tirées en continu, et le canon à eau est utilisé plusieurs fois. Les tirs sont de plus en plus indiscriminés sur l’ensemble du cortège, et de nombreuses demandes de “médics“ suivent les tirs de grenades explosives. (…) À 13 heures 12, une équipe entend 21 explosions de grenades explosives (probablement des GM2L) en quarante-huit secondes, auxquelles s’ajoutent des grenades lacrymogènes, (soit) une moyenne d’une grenade par seconde. Dans ce laps de temps, il est observé́ qu’à de multiples endroits, nombre de grenades n’explosent pas et restent dans le champ.»
Extrait 3 : «De 13 heures 30 à 14 heures, le maintien de l’ordre se caractérise par un nouveau seuil de violence, avec un usage encore plus massif de grenades explosives sur les manifestant·e·s. Le nombre d’appels aux “médics“augmente encore et les observateur·ice·s font le constat de blessures d’une extrême gravité. En particulier, les équipes présentes sur le terrain observent plusieurs tirs tendus de grenades, ainsi que l’usage massif de dispositifs de propulsion à retard (DPR), attestant de la volonté́ de réaliser des tirs de longue portée. Ceux-ci sont ainsi effectués en direction de groupes de manifestant·e·s, de manière indiscriminée. En outre, les équipes observent dans ce laps de temps l’usage de LBD 40, du canon à eau et la présence d’un véhicule blindé de la gendarmerie.
Entre 13h30 et 14h00, toutes les équipes d’observation mentionnent dans leurs rapports le caractère massif et continu des tirs de grenades lacrymogènes (à l’aide de lanceurs Cougar) et de grenades explosives de types GENL, GM2L et ASSD. Les différents comptages du recours aux grenades explosives (GENL/GM2L/ASSD) opérés par (l’une des équipes d’observateurs) traduisent une moyenne d’une détonation toutes les trois secondes, soit environ 600 grenades en 30 minutes. A ce chiffre, il faut ajouter celui des grenades lacrymogènes, dont le gaz a saturé l’air à de multiples reprises.»
Le bilan de cette répression, durant laquelle «il a été fait usage des milliers de fois d’armes de guerre» et où «en seulement deux heures, ce sont plus de 5 000 grenades» lacrymogènes et de désencerclement «qui ont été utilisées contre les manifestant·es» est effroyable, constatent les auteurs du rapport – qui reproduit plusieurs images de blessures et témoignages «susceptibles de choquer» : au moins 200 personnes sont blessées parmi les manifestants, parmi lesquelles se comptent «40 blessé·e·es graves», victimes «en particulier» de «beaucoup de plaies délabrantes aux jambes et au visage», et «vingt personnes mutilées ou au pronostic fonctionnel engagé, parmi lesquelles une personne au pronostic vital engagé».
Pis : « les autorités », qui avaient «manifestement anticipé l’intensité des affrontements» – les déclarations martiales de Gérald Darmanin promettant quelques heures avant la manifestation «des images extrêmement dures» en témoignent -, n’ont rien prévu «pour permettre aux blessé·e·s un accès au soin effectif». Tout au rebours, note la LDH : «Les secours se sont vu dénier l’autorisation d’intervenir une partie de l’après-midi, en violation du droit international relatif à la prise en charge des blessé·e·s.»
Exonération et légitimation
Après quoi, constatent les auteurs du rapport : «Une véritable stratégie d’exonération de l’action des forces de l’ordre et de légitimation de la violence de la part de ces dernières a été opérée à différents niveaux, et notamment aux plus hauts sommets de l’État, dans les semaines qui ont suivi le rassemblement de Sainte-Soline.»
Ainsi, «lors de sa première prise de parole officielle, de nombreux éléments avancés hâtivement par le ministre de l’Intérieur relatifs aux armes employées, aux méthodes utilisées et à la stratégie du maintien de l’ordre et de la prise en charge des blessé·e·s se sont révélés faux. Le ministre a aussi présenté les manifestant∙e∙s comme des individus radicaux et violents, dont le seul objectif serait de s’en prendre aux forces de l’ordre, passant de facto sous silence les revendications politiques de la manifestation. Dans les jours qui ont suivi, le ministre de l’Intérieur a persisté et répété des éléments de langage erronés». Pour le dire autrement, et plus directement : Gérald Darmanin, dont le rapport «dément de nombreuses allégations», a menti – lorsqu’il a par exemple soutenu, avec un aplomb phénoménal, qu’«aucune arme de guerre n’a(vait) été utilisée à Sainte-Soline».
Il est vrai : l’exemple de la désinvolture lui venait de haut. Car, comme le souligne aussi la LDH, Emmanuel Macron, chef de l’État français, a quant à lui déclaré que «des milliers de personnes» étaient «simplement venues» dans les Deux-Sèvres, le 25 mars, «pour faire la guerre». Commentaire contenu des auteurs du rapport : « Il n’apparaît pas que la communication du président de la République ait eu vocation à avoir une autre portée que celle de légitimer la violence et la dangerosité du maintien de l’ordre le 25mars 2023.» En effet : «Cette rhétorique employée par Emmanuel Macron a vocation à désigner un adversaire, un ennemi, dont l’intégrité physique et psychique ainsi que la vie, peuvent, en conséquence, être légitimement menacées.»
Pour finir, le rapport observe qu’ «au-delà de la répression» observée à Sainte-Soline, «ce sont plus largement» des «associations et collectifs qui ont été intimidés par plusieurs biais». Les Soulèvements de la Terre ont ainsi «fait l’objet le 21 juin 2023 d’une dissolution administrative en conseil des ministres, sur proposition» de Gérald Darmanin – qui s’en est ensuite pris à la LDH en jugeant qu’il convenait de se pencher sur les « subventions à cette association ».
Laquelle tire de ces attaques cette conclusion alarmante – et alarmée : «Il convient de rappeler que les événements qui se sont déroulés à Sainte-Soline s’inscrivent dans un contexte plus général de répression violente des mouvements sociaux et d’atteinte à la liberté́ de manifester et d’expression.» Puisqu’en effet : «Partout en France, que ce soient lors de rassemblements écologistes ou lors du mouvement national contre la réforme de retraite, on assiste à un nombre croissant d’arrêtés d’interdiction de manifestation, à une répression tant policière que judiciaire des manifestant·e·s et à de nombreux cas de blessé·e·s en manifestation.»
On ne sait s’il y a un nom pour ces pratiques – mais rien n’empêche de méditer cette tranchante question de la chercheuse Caroline Guibet Lafaye, citée par les auteurs du rapport de la LDH : à Sainte-Soline, «qui a éprouvé́ un sentiment de terreur, à part les manifestants écologistes ?»
Crédits photo/illustration en haut de page :
Blast, le souffle de l’info
Commentaires récents