Le 30 mai, une grève massive a éclaté à Disneyland Paris. Née en dehors des syndicats, elle bouscule une direction peu habituée à des mouvements de cette ampleur. Mais que se passe-t-il chez Disney ?
« Libéré, délivré », assis en plein milieu de leur parc d’attraction, les salarié•es de Disneyland Paris reprennent en cœur le hit de la Reine des Neiges. Cette fois ce n’est pas pour amuser les touristes. Ce 30 mai, c’est de leur travail qu’ils sont « libérés délivrés », puisque 1000 à 2000 d’entre eux ont décidé de débrayer. Douze heures de manifestation à travers le parc, des attractions qui ferment et les files d’attente qui rallongent : « je n’avais jamais vu ça à Disney », certifie Paul, représentant de la section syndicale CNT-SO, 20 ans de boîte au compteur.
À l’appel du mouvement anti-inflation (MAI) les casts members (salarié•es) de Disneyland Paris exigent 200€ net d’augmentation de salaire mensuel, le doublement de la rémunération du dimanche, une augmentation des frais kilométriques et la fin des horaires dits « choisis ».
Chez le premier employeur privé d’Île-de-France – 17 000 salarié•es – un débrayage a déjà eu lieu le 23 mai et 500 personnes se sont jointes à la manifestation. « Cette fois, des organisations syndicales de Disneyland Paris ont également appelé à la grève, ce qui a fait grossir les effectifs. Le mouvement est loin d’être fini : après la manifestation, l’assemblée générale a décidé qu’un nouveau débrayage aurait lieu samedi 3 juin », explique Aurélien*, membre du MAI, dont c’est la première grève.
Une grève préparée en dehors des syndicats
Ce mouvement historique chez Disney, tout spontané qu’il ait l’air, a bel et bien été préparé en amont et en dehors des organisations syndicales. Depuis quelque temps, des salariés des équipes de maintenance ont pris l’habitude de se réunir pour parler de leurs conditions de travail. Parallèlement, des discussions de même nature ont lieu sur Facebook. Cette fois, ce groupe concerne l’ensemble des salariés, qui effectuent plus de 500 métiers différents dans le parc. « C’est comme ça que j’ai pris contact avec eux et que j’ai pu participer à leurs assemblées générales », raconte Aurélien.
Mi-mai, les contestataires, désormais réunis sous le nom de mouvement anti-inflation, effectuent leurs premières séances de tractage. « Je ne m’attendais pas à ce que ça marche à ce point. Le mouvement n’a pas été cantonné à la maintenance. On a été rejoints par des salariés des hôtels, des boutiques, des guichets… Ça montre bien que le malaise était là », constate Aurélien.
Bien que certains des membres du collectif soient syndiqués, il leur apparaît important d’agir en dehors des syndicats. Ils ne souhaitent pas pâtir de la mauvaise réputation de certains d’entre eux. D’autant plus que les élections professionnelles approchent. Quoiqu’il en soit après le succès du débrayage du 23 mai, la CGT, la CFTC, la CNT-SO et l’UNSA se joignent à eux et reprennent les revendications des grévistes. « Nous sommes un syndicat de terrain, donc nous sommes attentifs aux revendications de la base », soutient Ahmed Masrour, délégué syndical UNSA.
Des horaires dits « choisis »
Le 26 mai, les organisations syndicales sont reçues par la direction. Élément notable : un membre du MAI est également convié à la table. « La direction nous a fait des propositions qui n’avaient aucun rapport avec nos revendications et qui ne lui coûtaient rien : 125€ de prime annuelle, la possibilité de racheter ses jours de congés… », déplore Aurélien. Des propositions inaudibles tant pour le MAI que pour les organisations syndicales impliquées dans la grève.
C’est qu’à Disney, les nombreux salarié•es payé•es au ras du SMIC ressentent très clairement le poids de l’inflation. « Alexia et Élodie, 4 et 10 ans d’ancienneté, ne font pas grève car elle ne pourraient pas payer les couches et le lait de leurs bébés le mois prochain », peut-on lire sur une pancarte. Les augmentations de salaire de 5,5%, concédées lors des négociations annuelles obligatoires (NAO) ont été jugées insuffisantes.
Les « cast members » sont également particulièrement remonté•es contre leurs conditions de travail. Notamment la mise en place d’horaires dits « choisis ». « Après le COVID, pour gagner compétitivité, la direction a mis en place un système dit “d’horaires choisis”. Les salariés sont restés aux 35 heures semaines, mais au lieu d’effectuer des journées de 7 heures, leurs journées sont devenues modulables et peuvent durer entre 4h15 et 9h15. Or tout cela est désormais imposé par la direction », détaille Paul de la CNT-SO.
« Bien que cet avenant à l’accord sur le temps de travail n’ait été signé que par la CFDT, la direction a décidé de l’appliquer. Mais c’est une catastrophe, certains salariés peuvent faire un déplacement pour seulement 4h de travail et repartir chez eux. Un autre jour ils devront bosser pendant 9h. C’est difficile d’avoir une vie de famille avec des horaires désorganisés et subis comme cela », complète Ahmed Masrour, délégué syndical UNSA.
« Appeler ça “horaires choisis”… tout le monde l’a pris pour un manque de respect ! », confirme Aurélien du MAI. Face à toute cette colère, la grève du samedi 3 juin à Disneyland Paris, journée de haute affluence touristique, pourrait bien s’annoncer encore plus forte.
*Le prénom a été modifié à la demande de l’intéressé.
Crédit photo : DR
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