De Lyon à Paris, trois grèves du nettoyage ont concerné ces dernières semaines l’entreprise Arc-en-ciel, acteur majeur de la sous-traitance dans le secteur. Elles sont en train de s’achever. Chacune avait un point de départ différent, mais toutes ont mis en lumière des entorses au droit du travail communes. Alors, quelles perspectives pour les salariés à l’heure de ces fins de conflit ?
Après plus d’un mois de grève, les salariés de l’entreprise Arc en ciel Environnement (filiale du groupe Arc-en-ciel) ont repris le travail sur le site Pierre Mendès France Tolbiac de Paris 1, rattaché à Sorbonne Université. Le 6 décembre, un protocole de fin de conflit a été signé. « Des hausses de qualifications dans la grille salariale, l’embauche de CDD en CDI, la mise en place progressive du 13ème mois et le paiement de la prime de décapage » ont été obtenus, détaille CNT-Solidarité Ouvrière (SO) dans son communiqué.
Le syndicat n’évoque qu’une « première victoire ». C’est en effet le licenciement de Sivamohana Jothivadivel, une agente de maîtrise de 59 ans, qui avait poussé ses collègues à cesser le travail par solidarité le 28 octobre. Or, l’ex-salariée – dont le témoignage a été recueilli par Mediapart – n’a pas été réintégrée, malgré la mobilisation. « Ils s’y opposent totalement. Nous sommes donc en train de saisir les Prud’hommes pour obtenir, sur la base du harcèlement moral, une annulation de ce licenciement », nous indique Étienne Deschamps, juriste à la CNT-SO.
Et l’histoire ne s’arrêtera pas là. Les autres salariés « ont tous rempli un dossier Prud’hommes pour faire annuler des pratiques frauduleuses de la société », poursuit Étienne Deschamps. Malgré la reprise du travail, beaucoup continuent de dénoncer, avec leurs soutiens syndicaux et universitaires, nombre d’irrégularités. Entre autres : « Arc-en-ciel retient une journée de congé payé en remplacement de la journée de solidarité, ce qui est interdit. Ou encore, elle ne remet jamais les documents administratifs, comme les attestations Pôle Emploi, dans des délais raisonnables », liste Étienne Deschamps. Le responsable syndical pointe aussi des heures complémentaires non rémunérées.
Interrogée sur ces manquements, l’entreprise n’a pas, pour l’heure, répondu à nos questions.
Arc-en-ciel, une entreprise aux multiples condamnations
Fin octobre, Arc-en-ciel a été condamné pour licenciements abusifs de cinq salariés. Cette affaire concerne le campus de Jussieu, également rattaché à Sorbonne Université. En septembre 2021, un mouvement de grève s’y était déployé. Au moins « 1080 heures complémentaires non payées, 294 heures normales non payées » et « une dizaine de salariés travaillant sans contrat » avaient été décomptés par le collectif nettoyage de la CGT.
L’administration de la Sorbonne nous assurait alors que « l’université, qui ne saurait accepter des pratiques non conformes au droit du travail, a demandé à la société Arc-en-ciel des informations écrites sur les graves accusations portées par les grévistes et syndicats ». Un an plus tard, c’est pourtant le même prestataire qui se trouve dans la tourmente sur le campus Pierre Mendès France.
Depuis 2013, Arc-en-Ciel enregistre une vingtaine de condamnations en justice. « Les graves manquements au Code du Travail que nous constatons à Sorbonne Université ne sont pas de simples incidents, mais constituent le mode ordinaire de fonctionnement de l’entreprise Arc-en-Ciel », écrit à ce propos le syndicat Sud éducation Sorbonne Université, dressant la liste des jugements.
« Vu le nombre de fois où ils ont été condamnés, ils devraient être interdits de marchés publics. Le paradoxe, c’est que c’est l’entreprise phare des marchés publics aujourd’hui…», fustige Étienne Deschamps. Certes, « ils sont les moins chers. Mais il faut se demander comment ils le sont ! »
« Les problèmes sont les mêmes partout »
Ces dernières semaines, trois mouvements de grève ont concerné l’entreprise Arc-en-Ciel. À Paris donc, mais aussi à Lyon et Puteaux (Hauts-de-Seine). Une situation rare dans le domaine de la sous-traitance du nettoyage. Le plus souvent, « il y a une grève sur un seul site, alors que les problèmes sont les mêmes partout », expose le juriste de la CNT-SO. Comment expliquer leur multiplication ce dernier mois ?
D’abord, par un concours de circonstances : ces grèves n’ont pas démarré pour les mêmes raisons. À Puteaux par exemple, la mobilisation a démarré au mois de novembre en raison d’un retard dans le versement des salaires. Une soixantaine d’agents étaient en grève. « Au bout de quelques jours, les salaires ont été versés. Ils ont repris le travail », retrace Étienne Deschamps.
À Lyon, dans la gare de Perrache, la mobilisation a démarré dès le 10 octobre, en raison d’un nouvel appel d’offres lancé par la métropole de Lyon. Celle-ci compte faire intervenir une entreprise d’insertion à partir du 1er janvier 2023. Ce qui laisse sur le banc les agents d’Arc en Ciel, qui oeuvraient jusqu’ici dans la gare.
Un plan social présenté jeudi aux agents lyonnais
Ce jeudi, l’entreprise lancera son plan de sauvegarde de l’emploi (PSE). « Le matin, il y a aura une réunion de fin de conflit, pour négocier le paiement des jours de grève. Ensuite, le CSE se réunit pour recevoir la présentation du PSE », nous indique Arnaud de Rivière de la Mure, de la CNT-SO, également en soutien des grévistes de Perrache.
Et le donneur d’ordre, dans tout ça ? La métropole de Lyon promet, dans la presse, d’étudier les cas des salariés non repris par Arc-en-ciel. Mais « pour l’instant, on a rien », relate le représentant syndical. Face à la grève, la présidence de la métropole a même envoyé une entreprise concurrente pour assurer le nettoyage. Cette décision a divisé au sein même de la majorité. Le 2 décembre, les élus du groupe La Métropole en Commun sont montés au créneau, estimant que cette décision ne constituait « pas un bon signal alors que (…) la Métropole n’a toujours pas avancé avec [l’entreprise] à une solution ».
Depuis lors, ces trois mobilisations ont fait du bruit parmi les salariés Arc en ciel, partout en France. « Grâce aux réseaux sociaux et à la presse, des gens travaillant sur d’autres sites nous ont contacté », raconte Arnaud de Rivière de la Mure. C’est le cas d’agents sur Lisieux en Normandie, par exemple. Ces derniers ont alerté sur des conditions de travail délétères, et l’inspection du travail est intervenue cette semaine.
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