Pour avoir enquêté sur les contrats passés entre l’armée et des entreprises privées, le cofondateur de Disclose et deux journalistes de Radio France sont convoqués par les services de renseignement intérieur français.
publié le 07 déc. 2022
par disclose
Est-il encore possible d’enquêter sur l’armée française ? La question se pose, alors que le journaliste et cofondateur de Disclose, Geoffrey Livolsi, ainsi que ses confrères de Radio France, Benoît Collombat et Jacques Monin, sont convoqués, mercredi 14 décembre, par les policiers de la section des atteintes au secret de la défense nationale de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI).
Les autorités leur reprochent d’avoir publié, en mars 2018, des informations sur des faits de favoritisme dans des marchés publics au sein du ministère des armées. L’enquête publiée sur France Inter dévoilait, documents à l’appui, que plusieurs hauts gradés avaient favorisé des sociétés privées dans l’attribution de contrats de transport militaire. Et ce, pendant plusieurs années, notamment dans le cadre de l’opération Barkhane au Sahel. Ces informations étaient et restent d’intérêt public. Elles font même l’objet d’une enquête du Parquet national financier pour favoritisme et trafic d’influence depuis 2017.
Cette convocation, sous le statut d’audition libre, s’inscrit dans le cadre d’une commission rogatoire délivrée par un magistrat. Elle intervient près de cinq ans après la publication de l’enquête sur France Inter. Déclenchée en 2021, la procédure vise directement les journalistes pour avoir révélé l’identité d’un membre d’une unité des forces spéciales. Dans les faits, le haut gradé évoqué dans l’enquête n’est pas en mission sur des terrains de conflit, mais travaille au sein des bureaux de l’Etat-major, dans les services de logistique.
Pour avoir dévoilé le nom du militaire, les trois journalistes sont passibles d’une peine de cinq ans de prison et de 75 000 euros d’amende. Alors que les trois journalistes n’ont jamais eu connaissance, depuis mars 2018, qu’une enquête judiciaire les visait eux et leurs sources, ces convocations constituent une énième atteinte à la liberté de la presse et un inquiétant précédent pour les journalistes enquêtant sur l’armée.
Pour Disclose, c’est la troisième enquête des services de renseignement qui cible un de ses journalistes. Depuis sa création en 2018, Disclose a fait l’objet de plusieurs procédures exceptionnelles au nom du secret de la défense nationale. Exceptionnelles, car elles permettent de contourner le droit de la presse, et donnent à la DGSI des moyens d’enquête élargis, qui entravent au quotidien le travail de notre rédaction.
En 2019, trois journalistes de notre média avaient été convoqués pour violation du secret de la défense nationale à la suite de nos révélations sur l’utilisation d’armes françaises au Yémen. Pendant plus d’un an, les services de renseignement ont pu enquêter sur nos sources.
Nouvelle procédure en novembre 2021, après nos révélations sur la complicité du renseignement militaire français dans les exécutions arbitraires de civils en Égypte. Le ministère des armées avait déposé plainte pour violation du secret de la défense nationale. Une enquête judiciaire sur laquelle nous n’avons toujours pas la moindre information.
A chaque fois, les journalistes n’ont fait que leur travail : porter à la connaissance des citoyens des informations d’intérêt public.
Cette procédure judiciaire porte un nouveau coup de canif à la loi de 1881 sur la liberté de la presse. Elle s’ajoute à la longue liste de journalistes convoqués par la DGSI ces dernières années, et renforce le climat d’intimidation des médias par les autorités françaises.
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