11 octobre 2022
Alexandre Jacob (1879-1954), à la tête des Travailleurs de la nuit, écuma la France pendant trois ans, cambriolant les riches pour financer notamment des oeuvre libertaires et soutenir les familles d’amis emprisonnés ou déportés au bagne. Dans un texte fameux, rédigé pendant son procès en mars 1905 et paru dans Germinal, il revendique et assume haut et fort ce dont on l’accuse. Un choix de lettres complète ce volume et raconte la suite de son existence.
« Plus un homme travail, moins il gagne ; moins il produit, plus il bénéficie. Le mérite n’est donc pas considéré. Les audacieux seuls s’emparent du pouvoir et s’empressent de légaliser leurs rapines. Du haut en bas de l’échelle sociale, tout n’est que friponnerie d’une part et idiotie de l’autre. » « Ceux qui produisent tout n’ont rien, et ceux qui ne produisent rien ont tout. Un tel état de choses ne peut que produire l’antagonisme entre les classes laborieuses et la classe possédante, c’est-à-dire fainéante. » Après une rapide critique de la société capitaliste, il justifie son choix : « La société ne m’accordait que trois moyens d’existence : le travail, la mendicité, le vol. Le travail, loin de me répugner, me plaît. […] Ce qui m’a répugné, c’est de suer sang et eau pour l’aumône d’un salaire, c’est de créer des richesses dont j’aurais été frustré. En un mot, il m’a répugné de me livrer à la prostitution du travail. La mendicité, c’est l’avilissement, la négation de toute dignité. Tout homme a droit au banquet de la vie. Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend. Le vol, c’est la restitution, la reprise de possession. Plutôt que d’être cloîtré dans une usine, comme dans un bagne ; plutôt que de mendier ce à quoi j’avais droit, j’ai préféré m’insurger et combattre pied à pied mes ennemis en faisant la guerre aux riches, en attaquant leurs biens. » Ces aveux ne correspondent certes pas à ceux qu’attendait le tribunal d’Amiens : « Je ne coupe pas dans votre prétendue morale, je prône le respect de la propriété comme une vertu, alors qu’en réalité il n’y a de pires voleurs que les propriétaires. » À la société, représentée par le juge, il adresse une violente mise en garde, en forme de menaces : « Le peuple évolue tous les jours. Vous voyez qu’instruits de ses vérités, conscients de leurs droits, tous les meurt-de-faim, tous les gueux, en un mot, toutes vos victimes, s’armant d’une pince-monseigneur, aillent livrer l’assaut à vos demeures pour reprendre leurs richesses, qu’ils ont créées et que vous leur avez volées. » Magnanime cependant, il se fend d’un conseil : « Pour détruire un effet, il faut au préalable en détruire la cause. S’il y a vol, ce n’est que parce qu’il y a abondance d’une part et disette de l’autre, que parce que tout n’appartient qu’à quelques-uns. La lutte ne disparaîtra que lorsque les hommes mettrons en commun leurs joie et leurs peines, leurs travaux et leurs richesses ; que lorsque tout appartiendra à tous. »
Condamné aux travaux forcés à perpétuité, il écrit à sa mère et à Rose, sa compagne, depuis la prison d’Orléans, leur racontant ses conditions de détention et dissertant sur « l’égalité devant la loi » : « En mécanique, il y a des forces chimiques, physiques, musculaires ; la force centrifuge, la force centripète, la force d’inertie ; en justice, il n’y a qu’une seule force, la force de l’argent. » « La loi n’est pas une justice, c’est une tumeur. Tu aurais beau protester, crier, te plaindre, tu as eu tort de te laisser arrêter. Tu es la plus faible et le droit d’appartient qu’aux forts. » « Si la loi était juste, [le juge] n’aurait pas besoin de tout son attirail de gendarmes, de policiers, de soldats armés de fusils, de sabres et de revolvers pour la faire observer : tous les hommes s’y soumettraient sans contrainte, comme l’on se soumet aux lois naturelles. Ai-je besoin d’un gendarme me dise de ne pas mettre la main dans le feu, de ne pas marcher sur l’eau, de ne pas manger du poison ? »
Après vingt ans de bagne, il est incarcéré à Rennes, Melun, Fresnes et s’installe dans l’Indre, à sa libération fin 1928. Il correspond avec Jean Maitron, historien des mouvements ouvrier et anarchiste, à qui il raconte son enfance, son initiation précoce, entre 13 et 14 ans, à la doctrine anarchiste, sa première arrestation puis sa révolte « contre l’ordre social » par l’application de son programme de « reprise individuelle chez tout parasite social : prêtres, militaires, juges, etc ».
Suivent quelques lettres à un couple de jeunes instituteurs amis, Robert et Josette Passas, issues d’une correspondance qu’on devine régulière. Dans les dernières, il organise, dans les moindres détails, son suicide tranquille, ses funérailles et la succession de ses biens.
Belle brochure soigneusement éditée et judicieuse sélection de textes qui permet de suivre et comprendre le parcours, les principes et les revendications d’Alexandre Marius Jacob.
Ernest London
Le bibliothécaire-armurier
« TOUT HOMME A DROIT AU BANQUET DE LA VIE »
Alexandre Marius Jacob
328 pages – 15 euros
Les éditions du bout de la ville – Collection « Adresses » – Le Mas-d’Azil – Mai 2022
leseditionsduboutdelaville.com/index.php
https://bibliothequefahrenheit.blogspot.com/2022/10/tout-homme-droit-au-banquet-de-la-vie.html#more
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