■ Auteur d’une œuvre théorique aussi vaste qu’irréductible aux catégories disciplinaires communément admises par l’Alma Mater, Cornelius Castoriadis (1922-1997) demeure, vingt-cinq après sa mort, une sorte d’exemple de maquisard de la pensée émancipatrice. Par la forme non systématique qu’elle adopte, par le « style » singulier qu’il lui confère, par le sens politique qui l’inspire, par l’inconfort qu’elle suscite, sa pensée résiste, en effet – et telle est sa principale force –, aux reflux d’un temps de basses eaux critiques charriées par l’impensée postmoderne devenue culturellement dominante. Étroitement liés de la fin des années 1940 au milieu des années 1960 à une débordante activité politique et militante au sein du groupe-revue « Socialisme ou Barbarie », ses écrits s’inscrivent alors dans une perspective socio-politique révolutionnaire plus marxienne que marxiste et d’inspiration conseilliste. Sa prise de distance critique précoce et claire avec les positions très majoritaires défendues à l’époque par la gauche ou son extrême sur la nature du régime social de l’URSS va l’inscrire dans un questionnement du marxisme comme idéologie de légitimation. Et ce, jusqu’à la rupture. Le bilan critique qu’il élabore, entre 1964 et 1965, dans les derniers numéros de Socialisme ou Barbarie, atteste, en effet, d’une mise en cause sévère de nombre de présupposés philosophiques de Marx dont il juge nécessaire de s’émanciper pour penser la praxis de l’autonomie de manière renouvelée et pertinente. Dix ans plus tard, ce « tournant philosophique » se voit confirmé dans la deuxième partie de son ouvrage L’Institution imaginaire de la société (1975). Cette décennie, Castoriadis l’a employée à élargir considérablement – notamment à la psychanalyse – son champ de recherche théorique dans la perspective, chaque fois réaffirmée et amplifiée, de restaurer le sens originel du projet émancipateur. Datant de 2008 et publié dans un premier temps en espagnol [1], cet entretien avec Xavier Pedrol et Jordi Torrent Bestit [2], deux grands connaisseurs de l’œuvre de Castoriadis, nous semble exemplaire à deux titres : d’abord parce que les deux interviewés fournissent des réponses extrêmement fouillées à des questions parfois vagues ; ensuite parce que, l’un et l’autre, amis dans la vie, peuvent diverger sur certaines interprétations de l’œuvre de Castoriadis sans jamais jouer les exégètes. Bonne lecture ! À contretemps
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