Cette semaine, les concertations sur les salaires des enseignants au ministère de l’Éducation nationale ont débuté. Après une série d’annonces gouvernementales au moment de la rentrée scolaire, les organisations syndicales restent prudentes. Elles comptent faire entendre leurs interrogations sur les contours réels des revalorisations à venir. Mais aussi leur opposition à certains principes, comme la revalorisation conditionnée à des missions volontaires.
Ce lundi, le ministre de l’Éducation nationale, Pap Ndiaye, a reçu les organisations syndicales pour une première réunion de négociation autour des salaires des enseignants. « Trois réunions sont prévues d’ici la mi-novembre », explique Guislaine David, co-secrétaire générale du Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (Snuipp-FSU). Puis, les négociations seront suspendues le temps des élections professionnelles au mois de décembre. Elles reprendront ensuite en janvier, « pour entrer plus dans les détails, et se conclueront en février », poursuit la responsable syndicale. La mise en oeuvre des revalorisations salariales doit ensuite débuter à la rentrée 2023.
À quoi les enseignent peuvent-ils s’attendre ? La réponse est loin d’être définitive. D’un côté, le gouvernement a fait des annonces en grandes pompes au moment de la rentrée scolaire. Dans un courriel adressé aux enseignants mi-septembre, Emmanuel Macron évoque une augmentation globale « d’environ 10 % ». Il prend aussi l’engagement qu’« aucun professeur ne débutera sa carrière à moins de 2 000 euros nets à compter de la rentrée 2023 ».
Une enveloppe de 935 millions d’euros, inscrite dans le projet de lois de finances 2023, est dédiée à ces revalorisations. Ce budget se découpe en deux parties. D’un côté, 635 millions d’euros pour une augmentation inconditionnelle des salaires des enseignants. De l’autre, 300 millions pour des revalorisations conditionnées à la réalisation de certaines missions basées sur le volontariat.
« Notre priorité : que personne n’y perde, et que tout le monde y gagne »
Mais derrière ces annonces, qui sera réellement concerné ? Plusieurs organisations syndicales craignent des déceptions à venir. On ne sait toujours pas si des revalorisations actées sous le précédent quinquennat sont inclues dans ce fameux chiffre de 10 %. Et quand bien même : pour certains responsables syndicaux, le compte n’y est pas. « Pour augmenter la rémunération de 10 % de tous les personnels de septembre à décembre 2023, il faudrait engager 1,2 milliard, et sur une année pleine, 3,6 milliards », calcule Sophie Venetitay, la secrétaire générale du Snes-FSU, auprès de nos confrères de 20Minutes. « Or, le gouvernement annonce 635 millions en 2023, puis 1,9 milliard en année pleine. Donc tout ne rentre pas dans l’enveloppe de 2023 ! Il y aura nécessairement des perdants. »
Le début des concertations n’a, semble-t-il, pas permis d’éclairer ces flous. Lundi, le ministre a assuré « qu’un nouveau titulaire ne pourrait pas gagner plus que quelqu’un qui a 15 ans d’ancienneté », raconte Guislaine David. Et promis que « les fins de carrière ne seraient pas oubliées ». Pour le reste, « ce n’est toujours pas plus clair ».
Par exemple, pour les enseignants en fin de carrière, il semblerait que le ministère se dirige non pas vers une revalorisation, mais vers « une augmentation du ratio d’accès aux grades de fins de carrière », comme la classe exceptionnelle ou la hors-classe, relate la responsable syndicale. Le Snuipp-FSU milite de longue date pour un meilleur accès à ces grades. « Mais il faudra voir, dans le détail, comment cela se présente », commente-t-elle prudemment.
Les prochaines réunions de concertation devraient, peu à peu, aiguiller les syndicats sur les orientations ministérielles. « Notre priorité : que personne n’y perde, et que tout le monde y gagne », martèle Guislaine David. Or, la responsable syndicale déplore d’ores et déjà de grands absents des concertations : les AESH (accompagnantes d’élèves en situation de handicap). Indispensables au bon fonctionnement des établissements scolaires, ces professionnelles, fortement mobilisées durant le précédent quinquennat, demeurent toujours avec un statut précaire.
Augmentation sous conditions : les syndicats opposés
Une enveloppe de 300 millions est également prévue en 2023 pour revaloriser les enseignants assumant volontairement d’autres missions. Le gouvernement la fera évoluer en 2024. Cette enveloppe concrétise l’annonce par Emmanuel Macron, alors candidat à sa propre succession, d’un « pacte enseignant » : à savoir, de nouvelles missions rémunérées comme des remplacements, du suivi individuel d’élèves, de la formation de collègues…
La plupart des syndicats y sont opposés. « Les enseignants travaillent en moyenne 44 heures par semaine, donc on ne pourra pas faire plus. Et puis, on estime déjà que nos missions ne sont pas assez reconnues », soupire Guislaine David. Surtout, le gouvernement assume ainsi un différentiel de rémunérations basé sur du volontariat. « Ce n’est pas un moyen de la revalorisation, c’est du travailler plus pour gagner plus », critique Sophie Venetitay dans l’article de 20Minutes.
En outre, ces fameuses missions du « pacte enseignant », encore peu détaillées, ne concerne pas, à première vue, les écoles maternelles et primaires. Seule la piste de formations rémunérées durant les vacances, évoquée par le gouvernement, pourrait concerner les enseignants du premier degré. Ce type de formations « existe déjà, mais ça n’attire personne », fustige Guislaine David. La responsable syndicale estime aussi que cela risque de creuser les inégalités salariales entre les hommes et les femmes. Ces dernières peinent davantage à se libérer du temps en raison des charges domestiques, comme la garde des enfants.
Salaires des enseignants français : un décrochage européen
Le jour-même du début des concertations, l’OCDE a publié sa dernière étude comparative annuelle, Regards sur l’éducation. Le rapport démontre que le salaire statutaire annuel des enseignants français en milieu de carrière reste inférieur de 19 % à la moyenne de celui de leurs collègues européens.
Et ce, malgré une augmentation de ce salaire statutaire annuel de 4 % entre 2015 et 2021. Lors du précédent quinquennat, les primes accordées sous le mandat du ministre Jean-Michel Blanquer, dans la foulée du Grenelle de l’Éducation, n’avaient bénéficié qu’à un enseignant sur deux.
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