Amiante : Le dossier qui empoisonne encore et toujours Paris

28 juillet, par Georges H 1 com

Qu’est-ce qui fera encore 100000 morts en France d’ici 2025 ? L’amiante ! Ce chiffre terrifiant ne semble pourtant pas déranger les pouvoirs publics et la justice. Il serait temps de régler une bonne fois pour toutes cette bombe à retardement.

« L’amiante, ce poison invisible, hautement toxique et cancérigène, est à l’origine d’un scandale sanitaire sans précédent qui n’est pas terminé. Nous devons prendre à bras le corps le risque amiante à Paris en développant un plan parisien de lutte globale. » Ce cri d’alarme de la jeune élue parisienne écologiste Chloé Sagaspe ne date pas de 1997 – année où l’amiante a été déclarée matériau non grata dans les infrastructures françaises –, mais de juin 2022 ! Car 25 ans après l’interdiction de son usage, l’amiante continue de tuer : chaque jour en France, 10 personnes meurent de l’amiante. D’ici 2025, ce produit toxique pourrait encore causer 100000 morts. Cent mille ! Mais quel chiffre plus macabre faudrait-il pour que l’Etat français et les collectivités locales réagissent vraiment ?

Pourtant, partout en France, comme à Cherbourgou à Bresten passant par Marseilleet Dunkerque, les associations de victimes tentent désespérément de faire entendre leur voix. Le pire exemple reste la région parisienne, épicentre des sites contaminés à l’amiante. Alors Paris, ville sacrifiée ? Ce n’est pas peu de le dire.

La mairie de Paris préfère parler des rats plutôt que de l’amiante

Le problème pour la population et les salariés travaillant encore dans des sites contaminés, c’est que l’amiante reste un ennemi invisible. Invisible pour nos yeux et désormais pour les radars des médias, obnubilés pendant deux ans par le Covid-19 et préférant faire leurs choux gras de la lutte de la mairie de Paris contre les rats qui envahissent rues, souterrains du métro et voies du tramway. Et que trouve la mairie de Paris à dire au sujet de ces rongeurs nuisibles ? Que c’est de notre faute ! C’est même Anne Souyris – adjointe d’Anne Hidalgo à la mairie de Paris, en charge de la santé publique et des relations avec l’APHP, de la santé environnementale, de la lutte contre les pollutions et de la réduction des risques – qui en parle le mieux : « Une des premières sources de limitation des rats en surface, c’est un comportement responsable de chacun, notamment pour le nourrissage : ne pas laisser de déchets, ne pas nourrir les animaux – souvent des gens nourrissent les pigeons, et en fait ce sont les rats qui mangent leur nourriture. Si les gens étaient plus attentifs, il y aurait beaucoup moins de rats en surface. » Non madame Sourys, les Parisiens sont avant tout les victimes d’un laisser-faire coupable et d’une mauvaise gestion municipale.

L’amiante, c’est du pareil au même. Loin des yeux, loin des médias. Prenez par exemple ces salariés se rendant quotidiennement dans leurs bureaux de la Tour Montparnasse. Les travaux de désamiantage y ont commencé en 2006 et ne sont toujours pas terminés ! C’est vrai, le cas de la plus grande tour de Paris est particulier : cette nouvelle Tour de Babel souffre de nombreux maux. D’abord à cause de la multiplicité des propriétaires, et donc décisionnaires, ce qui a provoqué de multiples retards dans le désamiantage de la Tour Montparnasse. Retards que dénoncent depuis des années l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante(Andeva) et son emblématique fondateur et vice-président Michel Parigot : « Plutôt que d’évacuer toute la Tour Montparnasse avant de la désamianter, comme le demandait l’Andeva, les copropriétaires, croyant faire des économies, ont choisi de faire des travaux par petits bouts. Le bilan est calamiteux : 72 dépassements du seuil réglementaire de 5 fibres par litre d’air entre 2009 et 2013, un désamiantage incomplet, des délais supplémentaires de longues années… »

Parmi les autres maux dans ce dossier : les relations entre Frédéric Lemos, président de LFPI REIM (l’un des plus gros propriétaires fonciers de la Tour Montparnasse avec 17 étages), et ses copropriétaires, se sont envenimées au fil du temps et des ukases que ces derniers ont subis. Et le prochain appel d’offre pour la tour, qui s’élève à 40 millions d’euros, ne devrait pas contribuer à atténuer les crispations. La SNADEC, entreprise francilienne de désamiantage en lice pour l’obtention du marché, n’a pour autre actionnaire majoritaire que… LFPI. Qui s’en félicite, d’ailleurs : « Le Groupe LFPI a acquis la majorité du capital du groupe Snadec auprès de son management et de 4 fonds minoritaires, en association avec son dirigeant historique, André Benita, et Amundi Private Equity qui ont réinvesti significativement dans l’opération. » Il n’en faudrait pas davantage pour faire naître dans l’esprit de certains occupants des craintes de favoritisme, voire de dérapage budgétaire, lorsque d’autres redoutent déjà de futurs recours contre l’attribution du marché pour ces mêmes raisons, et les retards de chantiers qui vont avec… Mais mieux vaut préserver ces motifs de brouille des regards : les autres copropriétaires sont des filiales de grands groupes, comme AXA et MGEN, pourtant aux premières loges des sujets de prévention des risques sanitaires. Or, c’est bien la santé des occupants du lieu, comme celle des intervenants, dont il retourne.

Que dit la justice ?

Que ce soit dans le cadre des nombreux procès encore inachevés – qui ajoutent de la peine à la souffrance des victimes –, ou dans celui du respect des adjudications de marchés de désamiantage, la justice française ne semble pas irréprochable . Pour s’en convaincre, il suffit d’entendre la juge d’instruction du pôle de santé publique au tribunal de grande instance de Paris, Marie-Odile Bertella-Geffroy, s’exprimer dans une émission de France Culture intitulée Le procès de l’amiante aura-t-il lieu ? : « Vous savez, la justice en France, elle n’est pas indépendante ! Le parquet est soumis au ministère de la Justice. Regardez le cas de l’Italie : j’étais en relation étroite avec le procureur de Turin qui avait 5 usines Eternit. J’avais aussi 5 usines Eternit avec différents PDG. Lui, il a mis les moyens à sa disposition, il a pris des experts, des magistrats, des enquêteurs et il a fini son dossier en 4 ans. C’est passé à la cour d’assise, des peines de 18 à 20 ans pour les PDG. Moi je n’ai même pas pu faire de renvoi des PDG. En France, le politique a la main sur la justice. » Édifiant ! Les Italiens sont logés à meilleur enseigne que les Français.

Alors justice et politique françaises sont-elles complices d’un scandale d’Etat ? C’est un pas facile à franchir tant l’inaction rend la situation – couplée au « rassurisme » des élites – encore plus insupportable. Pire encore, début juillet après la déconvenue aux législatives de la macronie, le nom de Pascale Romenteau est apparu sur la liste des responsables à faire sauter probablement pour faire de la place aux hauts fonctionnaires de l’ancienne majorité : la directrice du FIVA (Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante), dont le mandat devait être renouvelé, ne sera probablement pas reconduite. Une nouvelle qui a scandalisé les associations de victimes de l’amiante comme l’Andeva : « Non seulement, la directrice actuelle a réussi à améliorer le service rendu aux malades de l’amiante, notamment s’agissant des délais d’indemnisation et de la qualité de l’accueil, mais elle s’est engagée, avec les associations, dans un travail de fond pour améliorer le recours au Fiva. De trop nombreuses victimes ignorent l’accès à l’indemnisation à laquelle elles peuvent prétendre. L’arrivée d’un nouveau directeur, sans aucune discussion préalable, alors que l’indemnisation des victimes de l’amiante est un sujet sensible, et dans un contexte tendu, risque de briser cet élan. »

Peut-être faudra-t-il compter sur les nouveaux visages de la politique française, comme la conseillère municipale écologiste Chloé Sagaspe ou le tout frais député insoumis Louis Boyard pour remettre le dossier amiante sur le tapis. Malgré son jeune âge (22 ans), Louis Boyard pourrait devenir le poil à gratter de ceux que l’amiante ne semble plus déranger. Il s’était déjà fait un nom en 2018 alors qu’il était président de l’Union nationale lycéenne (UNL), en menant une action spectaculaire pour protester contre la passivité des pouvoirs publics face à la présence d’amiante dans son lycée de Villeneuve-le-Roi, dans le Val-de-Marne. En tout cas, espérons que les choses changent, car la capitale est en passe de battre le record du monde du chantier de désamiantage le plus long avec celui de la Tour Montparnasse. A trois ans des Jeux olympiques, Paris ne peut plus se permettre le luxe de voir son image ternie par ce scandale qui n’en finit plus.

https://bellaciao.org/Amiante-Le-dossier-qui-empoisonne-encore-et-toujours-Paris

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.