Je ne voterai pas Macron ce dimanche. Il ne s’agit nullement d’une manifestation de colère ou de dégoût mais d’un choix mûrement réfléchi dont je tiens à rendre compte pour répondre à ceux qui penseraient qu’une telle décision serait irresponsable.
petrus borel professeur de français en lycée Abonné·e de Mediapart
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Je ne voterai pas Macron dimanche. Et je tiens à préciser tout de suite que ma décision n’est pas l’expression d’un mouvement de colère ou de dégoût face à la politique de l’actuel locataire de l’Elysée mais résulte d’un choix mûrement réfléchi reposant sur une réflexion parfaitement rationnelle dont j’entends m’expliquer ici, non dans le but de convaincre qui que ce soit, mais pour qu’on ne considère pas que ma décision serait irresponsable.
Commençons d’abord par clarifier un point précis : je ne mets pas un signe égal entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron. Je sais que la politique de la première, si tant est qu’elle puisse la mettre en œuvre, serait pire que celle du second. Et pourtant ce n’est pas ce qui peut me convaincre de mettre un bulletin Macron dans l’urne ce dimanche, pour la simple et bonne raison qu’il n’est pas suffisant, dans l’époque troublée où nous vivons, d’éviter momentanément le pire. Il faut réfléchir à long terme si on ne veut pas se retrouver dans cinq ans confrontés aux mêmes problèmes qui, s’ils ne sont pas réglés, reviendront encore et encore.
Je n’avais déjà pas voté Macron au deuxième tour de l’élection de 2017. Pour deux raisons. La première peut être considérée comme irrationnelle, elle reposait sur l’intuition, vague mais persistante, que Macron n’était pas le gentil démocrate qu’il avait l’air d’être et que derrière la figure du gendre idéal se cachait en réalité un personnage autoritaire ayant une conception verticale du pouvoir. La deuxième, parfaitement rationnelle quant à elle, reposait sur l’idée que la politique néolibérale qu’il entendait mettre en œuvre allait mécaniquement faire augmenter le taux de mécontentement dans ce pays et par là accroître l’assise électorale du Rassemblement national. Malheureusement, car j’aurais préféré que mes prévisions fussent fausses, je suis obligé de constater que sur ces deux points je ne m’étais pas vraiment trompé. Et j’avoue avoir eu beaucoup de mal à supporter, durant la campagne de second tour de 2017, le discours infantilisant d’une bonne partie des médias à l’égard de ceux qui avaient fait le même choix que moi.
Confrontés à un choix qui est le même que celui que nous avons dû faire il y a cinq ans, il nous faut donc nous livrer à un peu de prospective. Imaginons que ceux qui représentent les forces progressistes, mettons les électeurs de gauche, ceux qui ont voté Mélenchon et quelques autres, votent tous pour Macron pour assurer sa réélection, que se passerait-il ? Il serait bien sûr réélu, dans la foulée obtiendrait une majorité à l’assemblée, et il continuerait, comme il l’a déjà annoncé, à mener une politique néolibérale de casse du service public, de destruction du code du travail, de stigmatisation des chômeurs et des précaires. Le taux de pauvreté continuerait à augmenter tandis que les milliardaires continueraient d’accroître leurs fortunes. Comment imaginer dans ces conditions que le problème de la montée de l’extrême-droite auquel nous croyions avoir momentanément échappé en votant Macron puisse se résorber ? Il ne fera au contraire que croître.
Pour savoir de quoi le paysage électoral de demain sera fait, il faut observer le paysage actuel : on a constaté lors du premier tour que l’électorat se divisait en trois blocs sensiblement égaux. D’une part un bloc de gauche progressiste et réformiste représenté par les votes LFI, EELV, PCF, d’autre part un bloc de droite néolibérale représenté par les votes EM et LR, et enfin un bloc d’extrême-droite représenté par les votes RN, Reconquête et Debout la France. La question qui nous intéresse est évidemment de savoir comment et dans quel sens peut évoluer ce rapport de force. On peut raisonnablement penser que le bloc néolibéral sortirait affaibli d’un deuxième quinquennat Macron. D’abord pour des raisons purement mécaniques de pyramide des âges : l’électorat d’Emmanuel Macron se recrute essentiellement chez les plus de soixante-cinq ans. Ces électeurs seront donc dans cinq ans moins nombreux.
Si on regarde bien les chiffres, ce bloc sort en réalité considérablement affaibli du premier quinquennat de Macron : en 2017, les scores cumulés de Macron et Fillon représentaient au premier tour 44 % des suffrages exprimés ; en 2022, les scores de Macron et Pécresse ne représentent plus que 32 % soit une baisse de plus de dix points. Le bloc de gauche progressiste, lui se maintient à peu près, progressant légèrement de 27 % à 29 %. Le seul bloc qui connaisse une progression significative est celui constitué par l’extrême-droite, il s’établissait à 27 % en 2017, il est dorénavant à 32 %.
Comme il n’est pas raisonnable de penser que les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets, on peut imaginer que dans cinq ans, nous aurons un recul du bloc néolibéral, une légère progression du bloc de gauche progressiste et une forte augmentation du bloc d’extrême-droite. La question est de savoir dans quelles proportions. Imaginons qu’au deuxième tour le bloc néolibéral soit éliminé. On se retrouverait donc avec un second tour entre la gauche et l’extrême-droite. On le sait le barrage républicain fonctionne à gauche, assez peu à droite. Peu de chance donc que le bloc néolibéral se mobilise en faveur du bloc progressiste et social, ce qui donnerait toutes les chances à l’extrême-droite de remporter l’élection. Et le rapport de force ne serait pas le même qu’aujourd’hui.
Imaginons maintenant que Marine Le Pen soit élue en 2022. Les forces de résistance à l’extrême-droite sont encore vives dans le pays. On peut raisonnablement parier sur le fait que les électeurs s’opposant au RN se mobilisent pour les législatives. Et il suffit de regarder la carte électorale des résultats du premier tour pour constater que Marine Le Pen n’arrive en premier que dans une quarantaine de départements et encore parfois d’une courte tête devant Emmnuel Macron ou Jean-Luc Mélenchon. Il serait donc pour elle particulièrement difficile, voire impossible d’obtenir une majorité à l’Assemblée nationale.
Nous nous retrouverions confrontés comme cela a déjà été le cas dans la cinquième République à un gouvernement de cohabitation. Mieux, il se pourrait qu’aucun des groupes parlementaires n’obtienne la majorité absolue, ce qui forcerait la présidente de la République à former un gouvernement de coalition. Il y aurait donc pendant cinq ans une forme de statu quo qui n’engagerait pas les réformes économiques et écologiques annoncées par la France Insoumise, mais qui ne se livrerait pas non plus à la casse sociale promise par Emmanuel Macron. On serait donc dans la politique du moindre mal. Une telle situation permettrait de surcroît de clarifier les positions de chacun, les débats à l’assemblée et au sein du gouvernement permettant à l’ensemble des citoyens de se faire une opinion sur les différentes options proposées, ce qui, généralement, se révèle favorable à la gauche.
Certes, me dira-t-on, mais pourquoi serait-il préférable que cette situation arrive maintenant plutôt que dans cinq ans ? Parce que, comme je le disais, dans cinq ans le rapport de force ne sera plus le même. Emmanuel Macron à l’orée de son quinquennat promettait d’être un rempart contre l’extrême-droite. Cinq ans ont passé et on a pu constater que l’actuel président ne s’est pas contenté d’être une passoire face au fascisme mais qu’il s’est révélé être une passerelle. Nous nous sommes habitués à l’intolérable, nous avons accepté l’inacceptable. Nous ne rappellerons pas les tentes de migrants lacérés, les mains arrachés, les yeux crevés, les morts, parce qu’il faut le souligner, le régime sous lequel nous vivons tue et a tué. Faut-il évoquer les discours de plus en plus droitiers qui trouvent notamment Marine Le Pen « un peu molle », la dérive autoritaire sans précédent qui fait de la France selon les observateurs internationaux « une démocratie défaillante » ?
Et comment pourrait-il en être autrement ? Face aux contestations sociales des politiques qu’il met en oeuvre, le bloc néolibéral est entraîné dans une escalade sans fin vers toujours plus de répression et d’autoritarisme. À mesure que ses forces s’affaiblissent, il est obligé de s’adosser au bloc d’extrême-droite pour pouvoir maintenir son emprise sur la société. La police a été ainsi laissée en roue libre. L’extrême-droitisation des discours dans la sphère médiatique est ainsi devenue la norme au point que Jean-Luc Mélenchon, le seul homme politique d’envergure à ne jamais avoir cédé sur les principes républicains, a été taxé d’ambiguïté. Au point que la candidate d’un parti censément républicain reprenne à son compte l’expression de « grand remplacement ». Macron réélu, il n’y a aucune raison pour que cette fuite en avant s’interrompe. Les discours d’extrême-droite vont continuer à saturer l’espace médiatique et vont infuser encore plus qu’ils ne l’ont déjà fait dans l’ensemble de la société.
Face à cela, quelle possibilité aurons-nous de répliquer ? Les syndicats ont été affaiblis, ils continueront à l’être. L’école pouvait jouer jusqu’ici le rôle de contre-pouvoir. Mais là encore, le travail de sape entamé avec Blanquer va se poursuivre et s’amplifier. On le voit déjà, les enseignants porteurs de valeurs de gauche sont menacés, ils le seront encore plus avec le pouvoir accru des chefs d’établissement et des directeurs d’école. L’école dans son ensemble va subir une caporalisation sans précédent où ceux qui prônent une éducation émancipatrice seront priés d’aller voir ailleurs et de dégager. Ce que nous annonce Emmanuel Macron a le mérite d’être assez clair : apprentissage dès la cinquième, augmentation des frais d’inscription à l’université. Le but évident est de transformer l’ensemble des classes populaires en employés corvéables à merci, surtout pas d’en faire des citoyens éclairés et émancipés.
Comment imaginer dans ces conditions qu’une conscience de gauche puisse émerger dans les jeunes générations qui obtiendront le droit de vote dans les cinq ans à venir ? Si l’on ajoute à cela la récente nomination d’un catho traditionaliste à la tête du conseil supérieur des programmes et le fait que la plupart des éditeurs de manuels scolaires soient tombés sous la coupe de Bolloré, le tableau a de quoi saisir d’effroi l’électeur de gauche.
On connaît la métaphore : plongée directement dans une casserole d’eau bouillante, une grenouille en saute immédiatement échappant ainsi à la mort. En revanche, plongée dans la même casserole d’eau tiède placée sur le feu, ses défenses s’affaiblissent progressivement et elle finit par mourir ébouillantée sans réagir. Emmanuel Macron nous amène inexorablement à nous habituer à l’inacceptable, il prépare ainsi bien plus sûrement la victoire idéologique de l’extrême-droite que pourrait ne le faire Marine Le Pen. Imagine-t-on la réaction des médias si Marine Le Pen avait fait en matière de répression ne serait-ce que la moitié de ce qu’Emmanuel Macron a accompli ? On imagine dorénavant l’argumentaire : « ce que nous faisons n’est pas pire que ce qu’Emmanuel Macron a fait ».
Arrivé à ce point de mon raisonnement, il convient d’envisager les principaux arguments que l’on pourrait m’opposer pour m’inciter à voter Macron. J’entends les examiner un par un afin de bien prouver que j’y ai réfléchi.
1. L’élection de Marine Le Pen encouragerait le passage à l’acte de factions d’extrême-droite qui prônent la violence.
Pas besoin d’être un observateur avisé pour se rendre compte que c’est, dans une large mesure, déjà le cas. On a pu assister à des appels au meurtre sur les réseaux sociaux sans que cela ne semble émouvoir grand monde. On assiste à des actions coups de poing contre des militants de gauche, les forces d’extrême-droite n’ont pas attendu l’élection de Marine Le Pen pour se manifester dans l’espace public. La question n’est pas tant de savoir si ces forces se manifesteraient que de déterminer quelle résistance la société serait en mesure de lui opposer. Mon analyse est qu’une élection de Marine Le Pen rendrait ces manifestations de force plus scandaleuse pour l’ensemble des médias et de l’opinion publique. Le rapport de force médiatique s’inverserait : l’extrême-droite redeviendrait l’ennemi puisqu’il s’agirait pour le bloc néolibéral de reconquérir le pouvoir, en s’alliant au besoin avec la gauche sociétale.
2. Marine Le Pen pourrait passer outre le pouvoir du parlement en utilisant le référendum pour imposer une modification de la constitution lui donnant davantage de pouvoirs.
Comme nous l’avons dit, le rapport électoral n’est pas favorable aux idées d’extrême-droite, on peut raisonnablement tabler sur le fait qu’une majorité de deux tiers des électeurs s’opposerait dans les urnes à un tel projet. Et comme nous l’avons dit, il y a des risques non négligeables que le rapport de force ne soit pas le même dans cinq ans.
3. Une fois au pouvoir, l’extrême-droite ne le lâche pas.
Sur quels exemples s’appuie-t-on pour étayer cette affirmation ? La Hongrie ? La Russie (si tant est que Poutine soit d’extrême-droite) ? Ce sont des régimes qui n’ont pas une culture démocratique bien ancrée et qui vivent dans la nostalgie d’une époque où leur place sur la scène internationale était liée à une forme de régime autoritaire. Les démocraties illibérales que sont en train de devenir la Turquie d’Erdogan et l’Inde de Modi ? Ces démocraties ont vécu pendant des années avec un parti dominant qui écrasait tous les autres et dont l’effondrement a permis l’émergence d’un pouvoir autoritaire marqué par l’intégrisme religieux. Si on veut comparer ce qui est comparable, il faudrait rapprocher la France d’autres pays semblables où l’extrême-droite a été amenée à exercer des responsabilités, soit l’Italie, l’Autriche ou encore les Etats-unis. On constatera que, dans ces trois exemples, l’alternance a eu lieu et que l’extrême-droite a été chassée par les urnes.
Fort de ce raisonnement et les principales objections qu’on pouvait lui opposer ayant été écartées, il conviendrait en toute logique que je ne me contente pas de ne pas voter Macron mais, comme certains électeurs de gauche comptent le faire, que j’aille jusqu’à poser un bulletin Marine Le Pen dans l’urne. Je ne le ferai pas. Pour deux raisons. La première est viscérale : tout dans mon parcours et dans ma vision du monde m’oppose au projet porté par Marine Le Pen et je me refuse à lui apporter ma caution même dans une perspective purement tactique. La deuxième est que mon analyse repose sur une série de suppositions qui ne sont que des suppositions. Autrement dit je ne suis pas certain d’avoir raison. Et je pourrais difficilement me pardonner de m’être trompé.
Je me cantonnerai donc à m’abstenir (ou à voter blanc, je n’ai pas encore décidé) en vertu du raisonnement qui me semble le plus rationnel dans la circonstance présente : si Marine Le Pen est élue cette fois-ci, c’est qu’elle le sera dans une proportion encore plus large en 2027. Plutôt que de jouer le castor, il convient donc de tout mettre en œuvre pour que cette élection soit la moins nocive possible.
J’ajouterai pour finir que mon choix n’est pas définitivement arrêté. Ceux qui pensent que j’ai intérêt à voter Macron peuvent encore essayer de me convaincre. Mais il va falloir être plus convaincant que les partisans de cette option ne l’ont été jusqu’à présent. Je m’étonne du fait que ceux qui se présentent comme le camp de la raison essayent essentiellement de peser sur mes affects. Donc je vous le dis de façon à ce que ce soit clair : inutile de jouer la carte de la culpabilisation, je ne suis pas responsable de la montée de l’extrême-droite, inutile également de jouer sur la peur. J’aurai de toute façon peur quelle que soit l’issue du scrutin, mais c’est précisément parce que je ne me laisse pas dominer par la peur qui est souvent mauvaise conseillère que je ne voterai pas Macron ce dimanche. Maintenant si vous avez des arguments rationnels à faire entendre, je suis prêt à en tenir compte.
https://blogs.mediapart.fr/petrus-borel/blog/180422/pourquoi-je-ne-voterai-pas-macron
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